Un habitant agite le drapeau kanak au passage d’un agent de la gendarmerie montée dans le sillage des manifestations contre le dégel du corps électoral. Nouvelle-Calédonie, 11 mai 2024. Photo : DR

Les Kanaks présents depuis 3 000 ans sur la terre qu’ils ont nommée Kanaky ont le sentiment une fois encore, d’être floués ou qu’ils vont l’être. Comment pourrait-il en être autrement ? Floués, ils l’ont toujours été.

Le drame de la Kanaky, c’est le résultat du processus d’une longue histoire coloniale qui a commencé en 1853. Au moment où l’empereur des Français, Napoléon III dit le petit, selon le bon mot de l’écrivain et parlementaire Victor Hugo, s’approprie le plus naturellement du monde, de cet archipel pour en faire une colonie pénale et y déverser les indésirables de la France (repris de justice et autres malfrats).

La Kanaky est alors transformée en bagne. Par la suite, les Français amateurs d’aventure, d’exotisme et de nouveaux horizons ensoleillés débarqueront toujours plus nombreux. Les Kanaks seront privés de leur terre et parqués dans des réserves. La France, réputée patrie des droits de l’homme, chantre autoproclamé de l’universalisme, mais en réalité profondément colonialiste, impose aux Kanaks un statut d’indigène, leur vole leur terre, bafoue leur dignité, blesse leur âme.

Les Kanaks n’ont jamais accepté la dépossession de leur pays et le sort qui leur est fait. L’histoire retient volontiers la grande révolte kanake de 1878, menée par le chef Ataï. Pourtant, les soulèvements ont été continuels. Mais ils se sont toujours heurtés à la loi qui porte le colonialisme : celle du plus fort. Celle de la ruse au long cours aussi. Ou plus exactement celle de la stratégie fourbe qui consiste à « faire du blanc », selon l’expression chère à Pierre Messmer, Premier ministre de la France sous Pompidou de 1972 à 1974.

À partir des années 1860, date de la mise en exploitation des mines calédoniennes de nickel, il s’agissait de recourir à une main-d’œuvre nombreuse, docile et très bon marché fournie par les contrats acquis auprès de l’administration pénitentiaire de la colonie de peuplement pénal.

Outre dans la mine, le besoin de main-d’œuvre dans l’agriculture augmente les flux immigratoires depuis le bassin pacifique et continue de diluer la population autochtone. Et on fait quoi du peuple premier ? Qu’y a-t-il de mal, rétorquent ceux des Français qui jurent que la Nouvelle-Calédonie a toujours été une terre française. Parce que pour eux, les Mélanésiens trouvés sur place ne comptent pas. Ou si peu.

C’est l’avis d’abord des dirigeants politiques du même acabit que Pierre Messmer. C’est aussi celui des aventuriers qui sous l’effet du boom du nickel sont venus s’installer ou des autres arrivés plus tard. « On est chez nous », slogan de l’extrême droite française et européenne, était criée en chœur par « les loyalistes » lors d’une manifestation du 28 mars dernier à Nouméa pour soutenir le dégel du corps électoral. Oui, tout comme les Français étaient chez eux en Algérie française. On connaît la suite.

Du point de vue du colonisateur, « les petites misères » faites aux Kanaks, c’est sans doute de l’histoire ancienne qu’il ne faut plus remuer. Du côté Kanak où le culte des ancêtres et le respect des morts sont omniprésents, la mémoire est au contraire vive. Normal, ceux qui subissent exactions et injustices s’en souviennent toujours plus longtemps, et de façon plus vivace que ceux qui les font subir.

Le drame de la grotte d’Ouvéa avait officiellement débouché sur des accords qui permettaient le rétablissement de la paix civile, et marquaient « la volonté des habitants de la Nouvelle-Calédonie, Kanaks et Caldoches, de tourner la page de la violence et du mépris, pour écrire ensemble des pages de paix ».

Dans cette affaire, les Kanaks, bons princes ou contraints, ont accepté de considérer les descendants des colons comme des Calédoniens à part entière. De vivre en paix avec eux, sinon en harmonie. En revanche, les Français débarqués après 1992 ne participeraient pas aux scrutins locaux et aux trois référendums programmés. Cette clause de l’accord est aujourd’hui piétinée.

La date du dernier référendum sur l’indépendance, décembre 2021, a été maintenue par le gouvernement Castex, alors que les Kanaks en demandaient un report, eu égard aux morts provoquées dans leurs rangs par la pandémie covid-19, et au temps coutumier qu’il leur fallait pour en faire le deuil. Alors que les accords de Matignon en 1988 puis de Nouméa en 1998 prévoyaient que rien ne soit entrepris sans l’assentiment des Kanaks, et qui ne soit en respect avec leur culture.

Et puis un éclair de malin génie a jailli des têtes des dirigeants de la France. Toujours prompts à trouver la solution qui perpétuera le fait colonial. Dans la foulée se sont-ils dit, et si on dégelait le corps électoral ? D’accord ont répondu une majorité de sénateurs et de députés.

Certains voient dans cette volte-face politique l’alignement sur des intérêts purement économiques. De plus en plus utilisé dans les technologies bas-carbone, en particulier dans les batteries et les panneaux solaires, avec des prévisions à la hausse la demande de 75 % d’ici 2040, la France aurait un regain d’intérêt pour le nickel dont 20 à 30 % des réserves mondiales se trouveraient en Nouvelle-Calédonie.

Un scénario qui perpétue une tradition et une pratique colonialiste qu’on croyait d’un autre âge. En plein XXIe siècle. Curieusement, c’est celui-là même, Emmanuel Macron qui en 2017 avait qualifié, la colonisation de « crime contre l’humanité » qui a ravivé et nourri les braises du colonialisme en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Un comble.

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