Les magistrats financiers accablent un comité du tourisme mal géré, qui distribue trop d’argent à Jet blue, aux salariés, à Yoann Paulin

La Chambre régionale des comptes dans son rapport du 29 novembre vient de démontrer que le Comité du tourisme des îles de Guadeloupe (CTIG) abuse du chéquier, sans résultats.

Selon les juges financiers, l’arrêté des comptes 2022 du CTIG présente un déficit de 3 191 644,34 euros. « Les comptes sont insincères, mal tenus et masquent la situation financière réelle du CTIG », écrivent les magistrats.

La CRC dit ne pas pouvoir établir un bilan des dettes à réintégrer, parce que les pièces comptables disponibles ne sont pas fiables. « Le CTIG n’a pas de comptabilité d’engagement, ce qui a pour conséquence un report irrégulier sur l’année suivante de dépenses importantes. Sa gestion repose sur de la cavalerie », conclut la CRC.

Autorisé à conclure un bail de 6 ans, Rodrigue Solitude signe pour 10 ans

« Le CTIG a conclu un bail commercial avec la société Kepler, pour la location sur une durée de 10 ans d’un immeuble dénommé ANTARES situé sur le territoire de la commune des Abymes, dans la ZAC de Providence – Dothémare » décrit la CRC. La société Kepler est détenue par les associés Jean-Charles Mépor et Yoann Paulin. Ce dernier étant également directeur général délégué de la compagnie Air Caraïbes.

Au chapitre des sommes dilapidées le CTIG a réussi l’exploit de payer 144 681,57 euros en vertu d’un bail signé depuis le 10 novembre 2022 sans avoir jusqu’à ce jour occupé les locaux. Le nouveau local du CTIG lui coûtera 300 000 euros par an. Les deux sites qu’occupe actuellement l’institution lui coûtent 45 444 euros.

Les différents conseils d’administration du comité ont certes évoqué la vétusté et l’exiguïté de l’actuel local. Fallait-il pour autant multiplier par 6,5 le prix du loyer ? Le tout au bénéfice d’un bailleur, Yoann Paulin, qui était administrateur du CTIG et a quitté ses fonctions quelque temps avant la transaction.

Ladite transaction consistant en un bail d’une durée de 10 ans alors que le conseil d’administration du 5 septembre 2022 (lire PV du conseil d’administration ci-dessous) avait expressément donné mandat à Rodrigue Solitude pour signer un bail de 6 ans. Le directeur général par intérim a rallongé de 4 ans l’avantage consenti pour des locaux « considérés aujourd’hui comme onéreux (plus de 300 000 euros par an) et surdimensionnés pour les besoins de l’établissement, [qui] souhaite se désengager de ce contrat » souligne la CRC.

Delibration-n9-2022-CTIG

Parmi les six mesures de redressement préconisées par la CRC, une concerne l’immobilier et consiste en la « dénonciation du bail de l’immeuble Antares à Dothémare sur la commune des Abymes (0,3 M€) ».

Des agents surpayés

Les 32 salariés en contrat à durée indéterminée sont surpayés. « Le salaire moyen d’un agent au CTIG s’élève à 3 200 euros. Le salaire brut de certains est supérieur de 56% voire 85% pour l’un d’entre eux au salaire de base prévu pour son échelon », pointe la CRC. Et ce n’est pas tout.

Outre le 13e mois, les agents du CTIG ont perçu une prime exceptionnelle de 500 euros en 2019. Prime qui grimpe à 600 euros en 2020. Le compte n’y est toujours pas. Chaque agent bénéficie d’une enveloppe de 600 euros par an pour l’achat d’un billet d’avion ou de croisière.

Le montant très élevé de la masse salariale s’explique par un ensemble d’avantages irréguliers « qui vont bien au-delà de ce qui est prévu par la réglementation ou les conventions applicables » pointe la CRC. Une pratique d’autant plus dommageable pour les deniers communs que ces rémunérations premium ne produisent pas de richesses. Le CTIG doit développer « une politique de commercialisation de prestations pour accroître les recettes propres de l’établissement » souligne la CRC. Travaillez plus pour justifier vos salaires en somme.

Trois des six mesures de redressement proposées par les magistrats de l’argent public local ciblent les dépenses de personnel : suppression de 11 postes en CDI (0,7 M€); application de la grille de classification des emplois adoptée par le CTIG en 2019 (0,4 M€); suppression des avantages en nature (billet d’avion ou de croisière).

1 million pour Jet blue

Au CTIG, la propension au gaspillage d’argent public au profit du personnel se double d’un choix stratégique mal négocié qui s’est transformé en gouffre financier. Le comité a conclu avec Jet blue un contrat qui octroie à cette compagnie aérienne un niveau de revenus garanti.

Modalités : Jet blue exploite une ligne aérienne entre New York et la Guadeloupe. Si la compagnie n’atteint pas un certain montant prévu grâce à la seule exploitation de la ligne, le CTIG s’engage à combler la différence entre le produit de l’exploitation de la ligne et le montant minimal fixé dans le contrat. À la saison 3 (novembre 2021 – avril 2022), le CTIG a cumulé au titre de ce contrat, une dette de 1 095 254 euros au profit de Jet blue.

« Tout s’est bien passé au cours des deux premières saisons » indique un agent du CTIG qui veut garder l’anonymat. « C’est le covid qui nous a plantés sur ce coup-là » poursuit-il. Un autre agent ne trouve en revanche aucune excuse à ce qu’il appelle « un fiasco ». « Quand on signe un contrat de cette envergure qui engage autant d’argent on prévoit une clause de force majeure », assène-t-il. « Il convient d’inscrire ce montant dû à Jet blue en reste à réaliser » a sèchement tranché la CRC.

Le 1 février 2020 l’exécutif régional Ary Chalus (en cravate) présente à l’aéroport Guadeloupe Pôle Caraïbes le 1er vol inaugural de Jet Blue, qui rallie New York 3 fois/semaine. Photo : Aéroport Guadeloupe Pôle Caraïbes

La dette de ‘CTIG association’ incombe à ‘CTIG Épic’

439 489,74 euros de dettes restant dues au titre de la liquidation de l’ex-association CTIG, traîne encore dans les comptes du CTIG devenu Épic. La Région et le Département auraient promis d’éponger cette dette au prorata de leur participation à l’association. Sauf qu’il n’existe aucune délibération de la Région ni du Département qui entérine cet engagement.

« À la date du présent avis, les pièces produites par l’ordonnateur ne permettent pas d’établir un bilan fiable de ces dettes, ni leur ventilation par compte. Il convient d’inscrire ce montant en restes à réaliser au chapitre charges exceptionnelles », a conclu la CRC.

Les Épic pour contourner l’ordre public social

Le passage du CTIG du statut d’association à celui d’établissement public industriel et commercial (Épic) intervient en janvier 2018. La nouvelle forme juridique du CTIG devait selon les mots d’Ary Chalus au micro de la chaîne Alizés télévision en décembre 2017, « lui assurer une pérennité, une dotation qui serait contrôlée par le percepteur (sic). Il n’y aurait plus de chèque par ci ou par-là ».

Le Comité du tourisme des Iles de Guadeloupe et Guadeloupe formation, changent de statut pour devenir des Épic (Établissement public industriel et commercial)

Bref, le président de Région promettait organisation, rigueur et profits industriels et commerciaux. Le rapport de la CRC fait état d’une inorganisation et d’un gaspillage des ressources publiques.

Selon la CRC, le CTIG dégage très peu de recettes d’exploitation. Leur poids représente 1% des recettes totales. « En vertu de ce constat et des critères retenus par la jurisprudence administrative qui prend en compte la part des recettes commerciales, le CTIG ne saurait être qualifié d’établissement public à caractère industriel et commercial (Épic). Le CTIG devrait être un établissement public à caractère administratif (EPA) », prescrit la CRC.

Avec Guadeloupe formation et le Mémorial acte, le CTIG a subi lui aussi la mode de l’Épic très en vogue à la Région en 2018. Pour des résultats médiocres.

Derrière cette course à l’Épic se cacherait une volonté de se soustraire à l’ordre public en droit du travail. Par ordre public en droit du travail, s’entendent les dispositions légales d’ordre public absolu, auxquelles on ne peut déroger dans quelque sens que ce soit parce que touchant à l’intérêt général ou aux droits fondamentaux de l’Homme et de ses libertés individuelles et collectives.

Le syndicaliste Johnny Gitany, secrétaire de l’UET (Union des experts territoriaux) explique au Courrier de Guadeloupe que le statut d’EPA contraint à respecter « des grilles indiciaires, des cadres d’emploi » auxquels sont attachés des diplômes, concours et compétences. Alors que les Épic, socialement plus souples, permettent d’embaucher qui on veut et les payer autant qu’on veut.

À l’heure où, compte tenu de la jurisprudence, la CRC évoque le passage du CTIG et du Mémorial acte sous statut d’EPA, le syndicaliste prévient, l’UET ne laissera rien passer.

Degré zéro de la politique touristique

Les milieux économiques et politiques tous bords confondus en sont convaincus : le destin de la Guadeloupe rime avec tourisme. Les collectivités Région et Département adhèrent à ce credo. Ils ont créé le CTIG, outil chargé de mettre en œuvre la politique touristique du territoire qui doit accroître le développement économique de la Guadeloupe.

Pour être performant, encore faut-il que cet outil soit efficace. Sauf qu’au lieu de produire des richesses, le comité se contente de gaspiller les deniers du compte collectif des contribuables. La CRC rappelle à l’ordre : « L’établissement doit également optimiser ses recettes (…) en développant une politique de commercialisation de prestations pour accroître les recettes propres de l’établissement ».

Outre les quatre mesures de redressement précitées, la CRC préconise la suppression des crédits ‘divers’ (1 M€) et la réduction de 50% des dépenses de promotion, salons, expositions, publications (0,8 M€). Une direction qui, selon le gendarme des comptes territoriaux, permettra au CTIG de « résorber son déficit au 31 décembre 2026, au plus tard, et retrouver à cet horizon une réelle autonomie de gestion ».

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