La grève qui touche EDF PEI (voir notre article) continue de faire planer le spectre d’une tempête dans l’approvisionnement électrique pour des milliers de foyers en Guadeloupe. Frédéric Maillard, président d’EDF PEI, a exprimé son incompréhension face aux revendications syndicales, arguant que les questions soulevées auraient pu être traitées par le dialogue social interne. La grève qui grippe EDF PEI et gronde dans les foyers, questionne la gestion de l’énergie.
Dans cette interview, Antoine Tacite, cadre retraité d’EDF archipel Guadeloupe et ancien responsable de l’association Force Ouvrière Consommateur, partage son éclairage sur cette crise et ses répercussions.
Le Courrier de Guadeloupe : Comment une grève d’un des opérateurs de la fourniture d’électricité peut-elle impacter à ce point la population qui n’y est pour rien, alors que lorsque le client est fautif en cas d’impayés la réglementation préconise non pas la coupure du courant mais sa réduction ?
Antoine Tacite : On ne peut opposer le fonctionnement normal de l’entreprise au fonctionnement en période de grève. La grève est un droit dont bénéficient tous les salariés, quel que soit leur secteur d’activité. Dans ce secteur, c’est la direction de l’entreprise qui détermine du qui et du quand, quel secteur à quelle heure, sur quelle durée, sera privé d’électricité.
Il est négocié, lors des mouvements de grève, des baisses de production qui entraînent des délestages sur le réseau. D’où un manque d’énergie qui impose de priver une partie de la clientèle à son accès. À l’heure d’Internet, des SMS et autres technologies d’information, il est regrettable que la clientèle, pour qu’elle s’organise, ne soit pas informée au préalable des coupures qu’elle sera amenée à subir.
En quoi EDF PEI diffère-t-elle de la maison mère EDF ?
Antoine Tacite : EDF PEI est une filiale détenue à 100 % par EDF. Elle est née de la volonté d’EDF de limiter les pertes qu’elle subissait en zone insulaire du fait de la péréquation tarifaire. Cette disposition lui impose de revendre à perte une électricité produite à partir d’énergies fossiles. La sortie de la production d’énergie des comptes d’EDF Guadeloupe avec la création de cette filiale permet désormais à EDF Guadeloupe d’afficher de meilleurs résultats financiers et à EDF maison mère de faire subventionner la production d’énergie électrique dans les Dom et la Corse.
Filialiser l’activité insulaire et créer EDF PEI, c’est profitable pour qui selon vous ? Comment le consommateur peut s’y retrouver ?
Antoine Tacite : C’est profitable directement à EDF et à EDF Guadeloupe en tout premier lieu. Et cela, quoi qu’en disent les intéressés, c’était le seul but de la manœuvre. Il aurait été profitable aux consommateurs aussi, si EDF fort de ses meilleurs ratios financiers renforçait sa position en tant que producteur majeur d’énergie dans les Dom et singulièrement en Guadeloupe. On peut par ailleurs à l’avenir, craindre une cession de cette filiale. Car loin de combattre la venue d’acteurs nouveaux, EDF semble le souhaiter, voire l’encourager.
Que dire de la politique énergétique locale ? Est-elle adaptée aux besoins actuels et futurs du territoire ?
Antoine Tacite : La politique énergétique locale n’est pas de la compétence d’EDF. Elle est déterminée et menée par le couple Région/État. Pour répondre à cette question, il faudrait en premier lieu déterminer les réels besoins actuels et futurs du territoire. Faire de la prospective et assurer à la Guadeloupe un développement en cohérence avec son état actuel et sa place dans la région serait souhaitable. Malgré les beaux discours, difficile de dire que c’est le cas.
Avec le recul, certains choix stratégiques dans la gestion de l’énergie en Guadeloupe auraient dû être différents ? Y a-t-il des opportunités manquées ?
Antoine Tacite : Avec le recul on peut toujours prétendre faire différemment. Nous sommes sur une petite île. Nous n’avons pas de matières premières dans notre sous-sol. Nous souhaitons vivre à l’européenne. On en revient à la question précédente. Quelle est la politique énergétique de la Guadeloupe ? Est-elle en adéquation avec le territoire ?
Ne nous limitons pas à la seule énergie électrique. Peut-on observer une orientation énergétique favorable à la Guadeloupe et à la collectivité quand on analyse nos modes de déplacement et l’organisation des transports en Guadeloupe ? On pourrait se poser la même question sur l’organisation des villes, l’implantation des grandes enseignes commerciales, l’installation des lieux d’enseignement et de culture. Le chantier est grand ouvert, non ?
Il y a cependant une opportunité manquée : la géothermie. Une des rares matières premières en matière d’énergie disponible en Guadeloupe. Une à creuser, la valorisation, à la dimension du territoire, des déchets et de la biomasse.
Les élus et la population sont-ils informés de ces transformations au sein d’EDF ? Sont-ils conscients de toutes ses conséquences ?
Antoine Tacite : Il est du devoir des élus de s’informer de cela. EDF a inévitablement communiqué en leur direction sur le sujet quand il lui est venu l’idée d’ôter la production du giron d’EDF Guadeloupe. Sont-ils au fait de la stratégie entière d’EDF sur le sujet ?
En ce qui concerne la population, je pense qu’elle est loin de tout cela. Combien, quel pourcentage de la population à connaissance de l’existence du PEI accolé à EDF et de sa signification ? L’important pour elle est de pouvoir jouir de l’électricité pour sa consommation personnelle.
Les factures EDF atteignent aujourd’hui des montants vertigineux ? Comment envisager l’avenir énergétique de la Guadeloupe ? Quelles seraient les priorités pour garantir une sécurité énergétique durable ?
Antoine Tacite : Le prix de l’énergie électrique a certes augmenté depuis la privatisation d’EDF et son passage du statut d’Epic (Établissement public industriel et commercial, N.D.L.R.) à celui de SA (Société anonyme, N.D.L.R.). Encore qu’en Guadeloupe nous ne sommes pas en marché ouvert et bénéficions du tarif réglementé.
Cela nous a tenus éloignés des belles offres des fournisseurs concurrençant EDF dans l’Hexagone, mais nous a protégés des variations de coûts dictés par le marché de l’énergie. Le consommateur doit apprendre à bien gérer son usage. Il doit savoir maîtriser sa consommation, depuis ses choix en matière de logement et d’équipements jusqu’à l’utilisation de cette énergie.
Garantir une sécurité énergétique durable est un programme compliqué en des territoires tels que les nôtres. Si nous voulons vivre à l’européenne, voire à l’américaine, c’est une gageure. Il faudrait prendre le sujet dans son ensemble. Notre consommation énergétique dépend de la manière dont nous vivons dans notre espace.
Tourner le dos à la croissance à tout va est souhaitable. La première action, déjà prise dans les orientations actuelles, est de limiter notre dépendance aux énergies fossiles. Les autres possibles, sans être exhaustif, seraient : limiter et valoriser à tous niveaux, individuels et collectifs, nos déchets. Utiliser nos ressources naturelles disponibles. Mieux penser nos déplacements et transports.
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