Victorin Lurel, président du conseil régional de Guadeloupe à l'inauguration du Mémorial acte le 10 mai 2015

Paris. Le 24 novembre 2023. Victorin Lurel

Cela fait des mois que je m’astreins au silence sur un dossier qui, pourtant, me tient à cœur, chacun le comprendra. Mais, après la publication cette semaine du rapport de la Chambre régionale des comptes sur la gestion 2019-2022 du Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite et de l’esclavage, et à entendre les commentaires qui en sont fait, je ne peux demeurer plus longtemps sans exprimer mon écœurement. Un écœurement devant le gâchis que représente aujourd’hui ce qui devait être une œuvre majeure de notre politique mémorielle, une passerelle nécessaire entre un passé douloureux et tragique, un présent encore fait d’ombres et de lumières, et un avenir à dessiner collectivement dans la reconnaissance, la réconciliation et la réparation.

Devant ce gâchis, j’entends bien sûr la chorale de celles et ceux qui veulent faire porter à la directrice générale Laurella Rinçon la responsabilité pleine et entière des difficultés, des dysfonctionnements, des dérives, des troubles sociaux et de la mauvaise gestion de cette institution. Cette chorale est efficace, avec ses hauts-parleurs politiques, pseudo-syndicaux et médiatiques pour s’en prendre sans relâche depuis des mois à une femme guadeloupéenne diplômée et revenue au pays qui, étrangement, ne semble jamais devoir mériter le moindre soutien public des habituels défenseurs opportunistes de la cause des femmes qui, décidément, ne se mobilisent que lorsque cela peut servir les intérêts de ceux qui les actionnent.

Évidemment, en tant qu’ordonnateur d’un établissement public de coopération culturelle en crise depuis 4 ans, la directrice générale a sa part d’erreurs et de responsabilités. Elle en a d’ailleurs déjà payé le prix en étant révoquée de son poste à la 3e tentative en 4 ans, au terme d’une campagne politique et médiatique qui l’aura délibérément déstabilisée en mettnt en cause ses compétences et sa probité.

Mais, la lecture du rapport de la Chambre régionale des comptes, et même celle d’autres rapports pourtant encore plus à charge qu’il l’ont précédé, dessine une autre histoire, différente de celle que l’on nous matraque : celle d’une directrice qui serait devenue soudainement incontrôlable au point d’imposer pendant des mois ses volontés aux plus hautes autorités politiques du pays que sont l’État et la Région. Cette autre histoire, on la comprend en lisant attentivement le rapport de la CRC, malgré les flagrantes prudences d’écriture destinées à ne pas trop mettre en cause ces deux autorités.

Car ce que décrit le rapport, c’est en réalité la défaillance complète et totale du pilotage politique et administratif du Macte par la Région et par l’État et ce, dès sa transformation en Établissement public de coopération culturelle (EPCC) en juillet 2019. C’est-à-dire avant même la nomination de Mme Rinçon. De la composition irrégulière du conseil d’administration, au transfert jamais réalisé de l’immobilier du Macte à l’EPCC ; des 423 000 euros de billetterie de l’époque de la SEM Patrimoniale apparemment volatilisés dans la comptabilité de l’EPCC, à « l’ingérence de la Région » dans la gestion quotidienne du Macte clairement critiquée par les magistrats financiers : rien ne va dans cette histoire. Et depuis le début.

Dans ce foutoir où règne le plus grand désordre, la Région peut ainsi, pèle-mêle, fixer indûment en lieu et place du Macte un loyer dérisoire pour l’exploitation du restaurant « L’intemporelle » sans pour autant chercher à le percevoir ; prendre en charge tout aussi indûment les dépenses de gardiennage des bâtiments par des marchés faisant a posteriori l’objet de transactions douteuses ; tenter de révoquer la directrice générale en juillet 2021 lors d’un conseil d’administraon où certains administrateurs n’avaient plus la qualité d’élus régionaux après le renouvellement du conseil régional intervenu quelques semaines auparavant ; ordonner le paiement des salaires d’agents visés par des procédures de licenciement en allant sciemment à l’encontre de décisions de justice ; ou encore organiser sur place les festivités de l’arrivée de la Route du Rhum comme si elle était chez elle, en violation complet du statut du Macte qu’elle a pourtant choisi.

Et, dans ce foutoir, il est notoire que le président de Région a tenté de recaser de force son ancien chef de cabinet qu’il fallait éloigner de Basse-Terre en vitesse à cause de ses démêlés judiciaires, en créant pour cela de toute pièce un poste de secrétaire général du Macte. Et je ne peux m’empêcher de soupçonner que c’est le refus de Mme Rinçon d’accepter ce fait du Prince qui a déclenché le commencement de ses ennuis…

En tout cas, cette litanie d’impréparations, d’approximations, d’irrégularités et d’illégalités s’est déroulée pendant toute la période examinée par la CRC sous le regard d’un conseil d’administration où 12 des 24 administrateurs sont des élus régionaux, sans compter les personnalités qualifiées nommées par la Région, mais pire encore, où siègent deux représentants de l’État et non des moindres : le préfet et le directeur des affaires culturelles. Un conseil d’administration qui, selon la CRC, réussit l’exploit de ne pas remplir convenablement ses missions, tout en empiétant sur les compétences de la directrice générale. Mais, malgré ces réalités aussi incontestables que troublantes, qui montrent que tout le monde a fermé les yeux et a laissé faire, on continue de nous vendre la même fable : celle d’une directrice générale que ni la Région, ni l’État ne seraient parvenus à remettre dans le droit chemin.

Au regard de tous ces éléments pour la plupart documentés dans le rapport de la CRC, j’ose poser la question : Laurella Rinçon avait-elle finalement la moindre chance de réussir sa mission dans un tel contexte ? Et une autre question m’assaille et je regrette d’observer que je suis bien seul à me la poser : comment l’État a-t-il pu laisser un tel désordre s’installer dans un établissement public dont il exerce la co-tutelle en laissant déstabiliser de la sorte une fonctionnaire d’État qui – ayons le courage de le dire – aurait probablement été mieux accompagnée, mieux défendue et mieux protégée si elle avait été issue du sérail parisien, plutôt que Guadeloupéenne ?

Chacun se fera son sentiment. Mais le mien, c’est bel et bien l’écœurement. L’écœurement de celui qui a eu son rôle, avec d’autres, dans la fondation du Mémorial Aact que j’ai eu l’honneur d’inaugurer et que je n’aurai eu à gérer au total que les 6 premiers mois. Lire sous la plume des magistrats que cette réalisation unique au monde « ne répond pas aux ambitions de son projet initial de faire de la Guadeloupe la capitale mondiale de la recherche sur la traite négrière et l’esclavage » est assurément un crève-cœur.

Mais, en définitive, pouvait-il en être autrement ?

Pouvait-il en être autrement quand on doit faire le constat que pas un seul des satellites de la Région n’a échappé à de graves crises de gouvernance depuis 2015 : ni le CTIG – dont on peut virer la présidente (tiens donc, encore une femme) sans donner la moindre explication publique ; ni Guadeloupe formation qui a vu se succéder les directeurs sans jamais parvenir à remplir ses missions ; ni l’École de la 2e chance, disparue des radars depuis fort longtemps. Et je peux également rajouter les saccages de Guadeloupe expansion, de l’Institut de coopération franco-caraïbe ou encore de la Grivelière…

Oui, pouvait-il en être autrement, tant j’ai la conviction profonde que l’exécutif régional n’a en réalité jamais su quoi faire du Macte qui, pour lui, est et restera pour toujours l’œuvre de son prédécesseur. Il me revient d’ailleurs un souvenir qui fonde cette conviction et que je partage ici. En 2015, quelques jours après les attentats du 13 novembre à Paris en hommage aux victimes du terrorisme, il avait été décidé de faire une marche qui devait se conclure par un recueillement sur l’esplanade du Macte. Nous étions alors en pleine campagne pour les régionales et il s’agissait de marquer une pause pour ce moment solennel. Ary Chalus et ses partisans avaient accepté de défiler. Mais ils avaient quitté le cortège après la Darse en refusant fermement de se rendre au Macte pour ne surtout pas être vus auprès de cette construction qui était au cœur de ses attaques les plus violentes contre moi durant cette campagne électorale. Ironie de l’histoire : un mois après, il en héritait.

Tout aujourd’hui démontre qu’il n’est jamais réellement sorti de cette posture d’hostilité et qu’il n’a jamais su se hisser à la hauteur des enjeux de cette institution et de son projet mémoriel qu’il s’est acharné à abîmer et à casser, sans jamais l’assumer. Ce gâchis, c’est l’image de la Guadeloupe, sa crédibilité et son rayonnement national et international qui en pâtissent et qui en pâtiront durablement. Mais, comme toujours, notre bon président s’endormira la conscience tranquille. Du moment que d’autres payent à sa place.

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