Le président du Rassemblement national (RN) est arrivé en Guadeloupe jeudi 7 décembre. Jordan Bardella, lui-même candidat à un nouveau mandat d’eurodéputé pour 5 ans, affirme vouloir mobiliser ses militants dans l’optique des élections européennes de juin 2024.
La fédération guadeloupéenne du RN compte 400 adhérents selon ses dirigeants. Un petit nombre que le leader nationaliste n’a pas réussi à faire venir à l’unique réunion publique organisée sur l’île.
Seuls 200 sympathisants sont venus jeudi soir pour écouter leur leader d’opinion derrière les portes closes de la salle de réception d’un hôtel du Gosier.
« Il n’y avait pas besoin de mobiliser des militants en pleine semaine pour un accueil à l’aéroport », s’est dédouané Rody Tolassy, tête d’affiche du RN guadeloupéen, en haussant les épaules.
« Imaginez le chemin que nous avons parcouru« , a lancé celui qui sera tête de liste de son parti pour l’élection européenne du 9 juin 2024.
Le programme du séjour s’est cantonné aux cercles d’initiés. Pas de grandes rencontres avec la population dans des déambulations diverses. Seulement des réunions avec des militants et des visites ciblées.
Plus que du chiffre, Jordan Bardella est venu aux anciennes colonies faire une démonstration. Et chercher des images qui alimentent le trafic d’opinion et l’opération de dédiabolisation et de normalisation du parti d’extrême droite.
Côté pile, sur son compte X, Jordan Bardella a soigneusement sélectionné les photos qu’il a voulu montrer à son audience française et internationale : un casting composé majoritairement de Guadeloupéens bon teint. Ceux-là même qui dans les rues de Paris pourraient passer pour des Pakistanais, Arabes ou Africains.
Bref tous les faciès d’immigrés que le Rassemblement national s’applique à particulariser et stigmatiser dans l’opinion publique française. Mais qui apportent ici une caution anti-raciste au dirigeant d’extrême droite.
Le côté face est plus sombre. À l’hôtel du Gosier, les premiers rangs sont majoritairement occupés par des sympathisants à la carnation claire, qui sur la palette des 25 nuances de brun, ont la peau dans les tons beige à grège. Les participants aux nuances de brun qui tirent vers le marron, le basané, le caramel, le café au lait, le chocolat et le chaudron se sont eux plutôt glissés en bordure et fond de salle.
« À ceux qui nous ont dit que nous n’étions pas les bienvenus, nous rappelons que ‘Nous sommes ici chez nous’ », a déclamé le président du RN. Un mensonge dans la bouche de celui qui a plus d’attaches présentes et passées avec l’Italie natale de ses parents, qu’avec les reliefs caribéens. Mais le slogan chauvin et xénophobe semble ravir l’auditoire. Chacun élude la contradiction qui sous-tend qu’à l’échelle régionale, les Guadeloupéens sont en Guadeloupe chez eux, et que les autres n’y sont pas les bienvenus, Jordan Bardella compris.
La devise identitaire sera reprise et appuyée d’un « nous prouvons » victorieux dès le lendemain 8 décembre sur le compte X de Jordan Bardella : « À ceux qui ont dit que nous n’étions pas les bienvenus, nous prouvons que nous sommes chez nous ici en Guadeloupe : merci pour votre mobilisation » (@J_Bardella).
Les mouvements politiques et syndicaux qui pour s’indigner de la présence du leader d’extrême droite sur le territoire guadeloupéen, ont emprunté la voie des communiqués et déclarations symboliques, sont relégués au rang d’impuissants.
En 1987, Jean-Marie Le Pen n’avait pas pu atterrir sur le sol antillais, empêché par une mobilisation populaire. En 2022 lors de la campagne présidentielle, sa fille Marine Le Pen avait essuyé un concert de casseroles et avait vu l’enregistrement d’une interview perturbée à son hôtel par les mouvements nationalistes.
Pour 2023, six organisations dont le Mouvement international pour les réparations et le Comité international des peuples noirs, dans la mouvance autonomiste ou indépendantiste, ont protesté contre ce déplacement, rappelant l’histoire du RN et « son idéologie raciste et xénophobe ».
« Le Rassemblement national français n’est pas le bienvenu en Guadeloupe », ont-ils affirmé dans un communiqué.
L’Alyans nasyonal gwadloup, parti arrivé troisième localement aux dernières élections européennes, qui défend la souveraineté de la Guadeloupe, a déclaré que le RN « n’a pas sa place ici ».
Olivier Nicolas, secrétaire fédéral du Parti socialiste en Guadeloupe, a lui rappelé que « les actes [du RN] l’ont souvent conduit à unir ses voix aux macronistes et à la droite (…) pour faire obstacle à tout progrès social significatif pour nos territoires », selon un communiqué.
En Guadeloupe, Jordan Bardella et André Rougé, également député européen pour le RN et délégué national à l’Outre-mer de la formation d’extrême droite, ont décliné leurs thèmes de campagne pour les élections européennes à venir en juin 2024 : insécurité, présence de l’Outre-mer dans les politiques nationales et européennes et soutien à l’agriculture locale. Sans aucun détail mesurable ou observable.
« Nos compatriotes d’Outre-mer ont le droit, eux aussi, à la sécurité, à la santé, aux services publics, à la continuité territoriale, au développement économique. Ils ne sont pas des citoyens de seconde zone mais des Français à part entière » a twitté Monsieur Bardella. Ou encore « En #Guadeloupe aussi, il y a une flambée des violences : nous rétablirons partout l’autorité de l’État et nous mettrons fin au laxisme judiciaire. Ce n’est pas à la République de reculer face aux délinquants ! » Et de conclure : « La vague d’espoir monte dans toute la France, et ce sont les Antilles qui donneront le coup d’envoi des élections européennes. »
Jordan Bardella interrogé par l’AFP, a décrit la Guadeloupe comme « une terre d’avenir pour les idées qu’on représente ».
Lors du second tour de l’élection présidentielle de 2022, la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, en lice face au président sortant Emmanuel Macron, avait enregistré en Guadeloupe un score de 69,6%, le plus haut de l’ensemble du territoire français.
Pour le prochain scrutin à venir, et alors que les politiques européennes occupent une place importante dans les affaires publiques locales, les élections des eurodéputés intéressent peu les foules. L’abstention est même « notre principal adversaire », a reconnu André Rougé.
En Guadeloupe, l’abstention avait frôlé les 87 % aux européennes en 2019, mettant en tête du scrutin la liste RN avec 9072 voix soit, 2,95% des inscrits (23,71% des votants). Un score insignifiant (contrairement aux élections municipales, départementales et législatives nationales, le scrutin européen n’est soumis à aucun seuil de participation minimum en nombre d’inscrits), mais suffisant pour envoyer au Parlement européen, la Guadeloupéenne et candidate RN Maxette Pirbakas.
Aperçue nulle part lors de la venue du dirigeant du parti auquel elle s’était affiliée, l’eurodéputée sortante désormais étiquetée « Non inscrit – Indépendant » conserve des liens avec le parti d’extrême droite. Louis-Armand de Béjarry, premier candidat RN à être élu au conseil municipal de Dieppe (Normandie) en 2020 figure toujours parmi ses assistants parlementaires accrédités.
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