Pierre Thicot voulait être payé au prix fort sans travailler. Le président de l’Agrexam, Gérard Maximin, n’y trouvait rien à redire. Laurent Jacoby-Koaly s’est opposé à cette volonté d’abuser de fonds publics, jusqu’à en être licencié. Récit d’une incroyable saga dont les échos judiciaires dépassent la Guadeloupe.

Août 2009. Laurent Jacoby-Koaly, avec l’aide de quelques professionnels de santé dont le docteur Pierre Thicot, crée une association d’examens de santé gratuits. La structure est financée par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) par l’entremise de la caisse générale de sécurité sociale qui en assure localement la tutelle. Ainsi naît l’Association de gestion et de réalisation d’examens de santé (Agrexam). Le conseil d’administration est présidé par le docteur Gérard Maximin. Lucien Botte, ancien fondé de pouvoir de la Caisse d’allocations familiales (CAF), en est le trésorier. Laurent Jacoby-Koaly est embauché en tant que directeur administratif et financier. L’établissement lancé en octobre 2009 débute très mal.

20 décembre 2009. Pierre Thicot présente au directeur administratif et financier une facture de 15 600 euros alors qu’il n’a pas travaillé à l’Agrexam. Laurent Jacoby-Koaly refuse de l’honorer, et la renvoie auprès du président Gérard Maximin. Pierre Thicot entend bénéficier d’un contrat de travail à temps plein alors qu’il n’est pratiquement pas dans l’établissement. Salaire réclamé : 5 800 euros sur quatorze mois. À l’Agrexam, l’ambiance est exécrable.

Juin 2010. Moins d’un an après son ouverture, le docteur Giordanelle, inspecteur de santé publique procède à l’audit de l’association. Sa sentence est sans appel :  » Agrexam ne remplira pas les conditions de la certification, si elle ne recrute pas un médecin responsable à temps plein « . C’est d’ailleurs la principale carence de l’établissement. L’inspecteur met en lumière la fonction essentielle que devrait exercer un médecin pleinement dévoué à Agrexam. Fonction que ne remplit pas Pierre Thicot puisqu’il est, la plupart de son temps, à son cabinet. Le Centre bénéficie tout de même d’un sursis. Franck Lodin président de la CGSS se fend d’un courrier sévère qu’il adresse au président Gérard Maximin. Il le met en garde et lui «  rappelle qu’il s’agit d’argent public. Que sa responsabilité est engagée « .

Août 2010. Gérard Maximin signe et valide le contrat de travail de Pierre Thicot avec date d’effet à partir de novembre 2009. Le contrat est transmis à la CGSS. Ainsi que la lettre recommandée du président Maximin à Laurent Jacoby-Koaly dont Le Courrier de Guadeloupe a pu prendre connaissance, et dans laquelle il s’inquiète du sort réservé au contrat de travail de Pierre Thicot. Le président Franck Lodin réagit énergiquement. Dans sa lettre à Gérard Maximin, il indique qu’il ne cautionne pas ce contrat de travail abusif. La pression exercée sur Laurent Jacoby-Koaly se fait plus forte. 20 octobre 2010. Laurent Jacoby-Koaly écrit au procureur général à qui il signale les faits. Plus tard, la cour d’appel de Basse-Terre et la Cour de cassation estimeront que les faits rapportés peuvent être pénalement qualifiés. La plainte est classée sans suite le 15 février 2011. La procédure de licenciement à l’encontre de Laurent Jacoby-Koaly est lancée le 11 mars et aboutit à son licenciement le 29 mars 2011. Cause du licenciement de Laurent Jacoby-Koaly : sa lettre au procureur de la République. Laurent Jacoby-Koaly intente une action au Conseil de prud’hommes. Il est débouté. Il fait appel de cette décision et c’est le début d’une saga judiciaire qui fera de lui le premier lanceur d’alerte français consacré par la Cour de cassation.

Un chassé-croisé de chèques qui fait désordre

Au-delà de la tentative de Gérard Maximin, président d’Agrexam de faire valider à tout prix un contrat de travail jugé abusif par le président de la Caisse générale de sécurité sociale Franck Lodin, au profit de Pierre Thicot, Le Courrier de Guadeloupe a pu se procurer deux pièces du dossier qui expliquent le déroulement des faits. À la suite de la lettre de Laurent Jacoby-Koaly au procureur de la République, des investigations sont menées par les services de police. Plusieurs personnes sont entendues au début de décembre 2010, dont Pierre Thicot, Gérard Maximin, le trésorier Lucien Botte et Laurent Jacoby-Koaly. À la suite de ces interrogatoires, Pierre Thicot établit un chèque BNP de 9 000 euros daté du 24 décembre 2010 au profit d’Agrexam. Or, un autre chèque toujours tiré sur la BNP, d’une même valeur (9 000 euros) d’Agrexam, a été signé de Gérard Maximin et daté du 31 mars 2010 au profit de Pierre Thicot. Un document intitulé « bordereau » précise que ces 9 000 euros constituent une avance sur rémunération au profit de Pierre Thicot. Le document est daté du 31 mars 2010 et signé de Pierre Thicot et Gérard Maximin. Le président de l’Agrexam avait passé outre la réticence de Laurent Jacoby-Koaly et avait payé en partie Pierre Thicot. Après son interrogatoire, le Dr Thicot a remboursé les 9 000 euros avec le chèque du 24 décembre 2010.

Bilans et examens de santé gratuits

Crée en 2009, l’Agrexam a Sainte-Geneviève disparu après lui aussi avoir subi quelques tripatouillages de la part de certains de ses dirigeants. Les deux premières années tourmentées écoulées, le centre a repris un fonctionnement normal au profit des patients démunis à qui il dispense bilans et examens de santé gratuits. La structure emploie une quinzaine de salariés entre personnels médicaux, et administratifs.

Ces examens, situés dans le champ de la prévention, à l’exclusion de tout acte de soins, ont été voulus par le législateur pour que tous les assurés sociaux et leurs ayants droit (enfants à compter de l’âge de 5 ans), et surtout les personnes inactives de plus de 16 ans, les demandeurs d’emploi, les personnes bénéficiaires de la CMU, les personnes pré ou retraités, puissent accéder régulièrement à un examen de dépistage et des conseils de prévention.

Ils constituent en outre, la base d’un observatoire permanent de l’état de santé de la population Guadeloupéenne qui permet de préconiser des orientations de prise en charge et d’actions de prévention.

Érigé en modèle

Honnête, rigoureux, de bonne foi, empreint d’une grande humilité, Laurent Jacoby-Koaly, premier lanceur d’alerte de France, n’avait rien demandé. Portrait.

« Non-surtout pas de photo. Je veux bien parler de la Cour de cassation, pas de moi« . Il faudra déployer des trésors d’arguments et revenir plusieurs fois à la charge avant que le premier lanceur d’alerte reconnu de France accepte de raconter au Courrier de Guadeloupe son histoire. Jusqu’à sa photo, qu’il a acceptée qu’elle soit publiée, parce qu’il a admis qu’au-delà de lui, c’est la Guadeloupe qui est concernée. Debout, le torse dressé, l’homme, la cinquantaine alerte, se gratte la tête. Il inspire fortement et lâche :  » Vous savez il n’y a pas de quoi en tirer ni gloire ni fierté démesurée « . C’est la dernière tentative de l’homme qui cherche à se soustraire à un article sur son aventure. Dominique Biras, un ami avec lequel il a mené quelques projets, n’est pas du tout étonné de la réaction très mesurée de Laurent Jacoby-Koaly devant l’événement :  » C’est un homme droit, capable d’un altruisme incroyable. Avec un autre ami, nous avons élaboré ensemble des projets. Certains ont abouti. Il n’était jamais question de lui. C’était toujours l’autre ami ou moi qui étions mis en avant « . Laurent Jacoby-Koaly se révèle au fil de la conversation. Il parle de valeurs, d’honnêteté surtout. Il croit en Dieu et précise aussitôt :  » En l’homme, surtout en ce qu’il peut faire de bien. »

Il s’est entêté à dire non

Celui qui contribue à la construction de la jurisprudence française, se montre hermétique sur sa vie familiale. Il ouvre de grands yeux, inscrit trois plis à son front et martèle : «  Cela n’intéresse personne. Cela ne devrait intéresser personne  » reprend-il. Laurent Jacoby-Koaly exclu qu’on parle de ses enfants.  » Ils n’ont rien à voir dans cette histoire. Il ne faut surtout pas qu’ils apparaissent. Je veux qu’on leur fiche la paix « . Alors, timide, effacé, anxieux, craintif, le lanceur d’alerte ? Rien de tout cela, assure Joël, un autre de ses amis qui à ses dires le connaît depuis plus de 20 ans : «  Laurent est un homme compétent dans son métier, et pas seulement. Il est rigoureux, presque méticuleux. Il sait rire et s’amuser. Quand il s’agit d’enfreindre la morale, ce n’est pas la peine de compter sur lui « . Pierre qui a travaillé plus de deux ans avec Laurent Jacoby-Koaly se veut encore plus précis :  » C’est un homme du terroir qui s’est forgé tout seul. Il porte un nom qui lui impose une tenue, une droiture. Il n’a rien d’un prédateur et cultive une bonne foi à toute épreuve « . Les salariés qui ont travaillé sous sa direction à l’Agrexam gardent de Laurent Jacoby-Koaly un « excellent souvenir« . Une secrétaire rencontrée à l’antenne située au Morne Caruel aux Abymes ne tarit plus d’éloges :  » Il connaissait son métier. Il savait motiver sans engueuler personne. En plus, il est un as de l’outil informatique « . Laurent Jacoby Koaly ne voulait être en première ligne de quoi que ce soit. Il a rencontré de mauvaises personnes qui voulaient lui faire renoncer à ses valeurs et à sa bonne foi. Il s’est simplement entêté à dire non. Cela peut mener fort loin. Jusqu’à devenir un modèle.

L’immunité des salariés saluée par la presse

« Une première  » selon Le Point du 30 juin.  » Une petite victoire pour les lanceurs d’alerte « , pour Le Monde daté du même jour. «  La Cour de cassation a innové jeudi en bonifiant sa jurisprudence sur la protection des lanceurs d’alerte  » indique Libération également le 30 juin. La presse française salue une décision qui  » est de nature à protéger les lanceurs d’alerte, dans la mesure où la chambre sociale instaure cette immunité non seulement lorsque les faits illicites sont portés à la connaissance du procureur de la République, mais également, de façon plus générale, dès lors qu’ils sont dénoncés à des tiers « , selon la note explicative de la Cour. À l’unisson, les médias évoquent l' » immunité  » des salariés vis-à-vis de leur employeur dès lors qu’ils dénoncent, de bonne foi, des actes illicites commis sur leur lieu de travail.

« Cette décision intervient au lendemain du verdict dans le procès Luxleaks  » où deux lanceurs d’alerte ont été condamnés rappelle l’hebdomadaire Le Point.  » Le tribunal avait reconnu aux deux hommes leur qualité de lanceurs d’alerte et salué le fait que leur action avait servi l’intérêt général. Mais il avait aussi constaté qu’il n’existait  » aucune protection en droit luxembourgeois « , ni au  » niveau européen « , pour les lanceurs d›alerte, la nouvelle proposition de directive instaurant une protection européenne n’ayant pas encore été adoptée par le Parlement européen  » rajoute le journaliste. Le quotidien La croix indique que  » 39 % des salariés gardent le silence par peur des représailles « , selon un sondage pour l’ONG Transparency International France.

Raphaël Spéronel :  » Cette victoire doit servir d’exemple à tous ceux qui ne se sont pas battus « 

Une lecture fine des soubresauts qui agitent le territoire, Raphaël Spéronel est l’un des psychologues les plus pertinents quant à l’analyse de la société guadeloupéenne. Le psychologue juge la décision de la Cour de cassation essentielle pour la reconstitution de l’image de Laurent Jacoby-Koaly. L’événement rejaillit aussi sur toute une Guadeloupe précurseur dans beaucoup de domaines.

Le courrier de Guadeloupe : Quelle est selon vous la signification d’être le premier lanceur d’alerte reconnu par la Cour de cassation ?

Raphaël Spéronel : Laurent Jacoby-Koaly a été maltraité, malmené dans sa carrière, dans ses biens. Le plus grave cependant c’est l’humiliation, le regard des autres. Grâce à cette victoire, il entame sa restauration. Il faut évaluer toute cette dimension sociale, symbolique qu’il va pouvoir réintégrer. Le pire c’est qu’il peut encore se sentir coupable d’avoir dérangé toute cette nomenclature engoncée dans la triche. Il faut lui dire qu’il est un grand Monsieur. Toute la Guadeloupe doit le lui dire.

C’est peut-être beaucoup, non ?

Non, pas du tout. L’impact d’une telle décision est énorme. Quand vous êtes condamné à vous battre contre tous, que vous portez comme seule arme votre bonne foi en étendard, lorsque vous gagnez, les bienfaits de cette victoire vont bien au-delà de ce que vous pouvez vous-même vous imaginer. Votre victoire vous appartient pleinement. Elle doit servir d’exemple, de tremplin à tous ceux qui ne se sont pas battus. Cette décision de la Cour de cassation reconstruit Laurent Jacoby-Koaly. Elle restitue aussi au groupe que Cela veut-il dire que la Guadeloupe en tire profit ? Absolument. C’est bon pour la Guadeloupe. Nous mettons souvent en avant un problème d’identité. C’est idiot. Nous appartenons au monde. Cet épisode vient le confirmer. Nous n’avons pas de problème d’identité. Nous avons un problème d’appartenance que nous pouvons vite évacuer selon que nous nous référons à l’enferment de notre condition d’îliens ou à la liberté que soufflent sur notre territoire, les vents alizés. La victoire de Laurent Jacoby-Koaly apporte le goût du défi, de l’exploit, de la gagne. Nous en avons besoin parce que quelque part, nous sommes des survivants.

Vous estimez que la Guadeloupe peut capitaliser sur une telle décision…

C’est exactement le mot, capitaliser. Depuis 1967, la Guadeloupe est précurseur sur beaucoup de changements. Avant 1968 il y a eu les Événements de 1967 et le Gong, avant les Indignés et plus tard Nuit debout, il y a eu LKP. La victoire de Laurent Jacoby-Koaly c’est la victoire du bon sens sur l’intelligentsia et les choses établies. Nous avons la capacité, du fait de notre histoire et de notre vécu, d’encaisser ce qui se passe et d’anticiper ce qui va arriver. Le système ne reconnaîtra jamais cette prééminence de la périphérie sur le centre. Qu’importe ? Dans le cas de Laurent Jacoby-Koaly, il s’est passé un événement capable de remettre en question l’économie globale du système dans lequel nous évoluons. Ce n’est pas rien.

Les lanceurs d’alerte sont désormais protégés

Alors que le Parlement discute d’une loi Sapin II qui protègerait les lanceurs d’alerte, la Cour de cassation, juridiction suprême, a pris le pas sur le débat politique en garantissant cette liberté d’expression. Dans un arrêt du 30 juin 2016, elle a jugé qu’un salarié dénonçant des conduites ou actes illicites constatés lors de l’exercice de ses fonctions ne doit pas être licencié pour cela.

Dans cette affaire, une association gérant un centre d’examen de santé en Guadeloupe a licencié son directeur administratif et financier pour faute lourde en mars 2011. Laurent Jacoby-Koaly avait dénoncé au procureur de la République de potentielles escroqueries et détournements de fonds publics d’un membre du conseil d’administration et du président de l’association. Après un passage infructueux aux prud’hommes, le salarié a saisi la cour d’appel de Basse-Terre pour que l’association annule son licenciement et lui paye des indemnités et des rappels de salaire depuis 2011. La cour a jugé qu’il n’a commis aucune faute en lançant ces alertes. Elle n’a cependant pas annulé le licenciement, au motif que le Code du travail ne prévoyait pas encore cette protection.

Revirement de situation, la Cour de cassation, conformément à la déclaration européenne des droits de l’homme, a affirmé pour la première fois que  » le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité « . Laurent Jacoby-Koaly sera donc réintégré dans ses fonctions, avec un rappel de cinq ans de salaire de plus de 5 000 euros par mois.

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