POUR LE BUZZ

Une jeune fille atteinte de dyspraxie a été violée par trois jeunes hommes du lycée professionnel Louis Delgrès au Moule. Fortement traumatisée, elle refuse désormais tout contact avec le milieu scolaire.

Lundi 6 octobre dernier, N… a posé tous les livres qu’on lui avait donnés sur la table de la salle à manger. Le message est clair. La jeune fille ne veut plus jamais aller à l’école, et elle le fait comprendre à sa mère. Une mère qui oscille entre colère et désarroi, qui n’est plus sûre de beaucoup de choses sauf… elle ne veut pas voir les images de quelques secondes qui tournent déjà sur tous les portables des élèves du lycée, elle veut connaître, de la bouche des agresseurs le déroulement des faits, mais surtout, elle ne veut plus jamais que sa fille soit livrée à elle-même. Revenons sur les faits. N… est menue, et mignonne avec ses longs cheveux bouclés. Elle paraît plus 14 que 16 ans. Jeudi 3 octobre dernier, après la cantine, N… atteinte de dyspraxie maladie qui entame considérablement ses réflexes moteurs aurait été attirée dans une salle à proximité du réfectoire par une autre fille dont l’identité n’a pas encore été dévoilée. Ladite salle, en rénovation, est seulement accessible à des ouvriers, qui auraient, selon la mère de la victime, oublié de la fermer. N… aurait été attirée dans un guet-apens. Là l’attendent trois garçons entre 16 et 17 ans. Ils ont le visage masqué. Dans la salle, ils se jettent sur la N… qui, en raison de sa maladie, a du mal à les repousser. Ils la violent, tandis que la jeune fille qui l’aurait attiré là, filme la scène avec son téléphone portable. La vidéo ne dure que quelques secondes. Une fois leur méfait terminé, l’ignoble réalisatrice fait pression sur N… pour s’assurer de son silence.  » Si tu parles, si tu dénonces M… (un des violeurs dont elle semble proche) je vais te donner des coups. Tu vas le regretter.  » Dépitée, malheureuse, atteinte dans sa chair, N… retourne en cours, termine la journée et rentre chez elle.

Seule parmi les loups

Une version qui court à Louis Delgrès veut que très vite des surveillants aient remarqué sa tristesse, et, après plusieurs questions, elle leur aurait simplement dit qu’elle avait mal au ventre.  » Le soir, je n’ai rien remarqué de bizarre. Elle est allée se doucher, a mangé et a déclaré vouloir dormir tôt. Je ne me suis pas inquiétée puisque ça fait partie de ses habitudes. En revanche, le lendemain, j’ai senti qu’elle ne voulait pas aller à l’école.  » En effet, la vidéo est déjà sur tous les portables. Choqué, un jeune élève la montre à l’administration. Très vite, celle-ci constate l’identité de N…, qui fait partie des élèves de la maison départementale des personnes handicapées de Guadeloupe (MDPH), intégrée à la rentrée dans le lycée. Une élève, qui aurait dû être accompagnée d’une auxiliaire de vie scolaire (AVS) – demandée au rectorat depuis février 2014 – et jamais attribuée. C’est donc une enfant extrêmement vulnérable, laissée sans défense parmi les loups. Le scandale n’est pas loin. Le rectorat verrouille vite l’affaire. Mais c’est trop tard. La mère estime que l’établissement n’était pas préparé et a fait preuve de laxisme en ne mettant pas les élèves de la MDPH sous haute surveillance. Une chose est sûre, N… n’ira plus au LP Delgrès. Elle est en attente d’un autre établissement, dans lequel elle n’entrera que dûment accompagnée par son AVS.

GESTION DE CRISE

Le rectorat cadenasse l’affaire

Le rectorat n’a pas laissé aux élèves et aux enseignants du lycée Delgrès le temps de s’interroger. L’affaire du viol a été rapidement cadenassée.

En ce mardi 7 octobre, début de semaine, le lycée professionnel du Moule est tout à fait tranquille. Les élèves vaquent à leurs occupations usuelles. Un professeur demande à un élève – certainement pour la énième fois – de remonter son pantalon, et celui-ci, pour la énième fois aussi, fait semblant d’obéir avant de discrètement le refaire descendre. Pas de mine choquée, pas d’ambiance plombée. Une normalité un peu inquiétante au regard de la gravité des faits. Si les enfants et les professeurs sont si calmes, c’est parce qu’en réalité, ils ne savent pas grand-chose. Une fois averti, le rectorat s’est empressé de cadenasser l’affaire. Les journalistes ne sont pas reçus à l’établissement dont la communication a été remontée vers Grand-Camp. Il y a bien une cellule d’écoute, mais ni son emplacement ni l’ambiance qui y règne ne sont commentés. Même les enseignants sont dans le flou le plus complet.  » Aussitôt que les faits ont été dévoilés, la direction, et c’est son rôle, a placé une chape de plomb afin de protéger et la victime et les supposés auteurs des faits, tous mineurs. Du coup, nous ne connaissons pas leur identité. Ce sont les enseignants des classes concernées qui, dans le lot des absents, ont tiré leurs propres conclusions  » explique un enseignant. De leur côté, les élèves, affichent une mine morne à l’évocation des faits. Pourtant, les garçons paraissent plus choqués que les filles qui bottent systématiquement en touche quand on leur demande leur avis.  » Vous savez, il y a toujours ces histoires dans le lycée. Personnellement, je suis plutôt pressée de voir l’année se finir et d’avoir mon examen. Je viens parce qu’il faut venir.  » Les garçons, eux, tiennent un autre discours.  » On déconne parfois, et oui parfois on va loin. C’est vrai aussi qu’il arrive qu’on aille dans un coin avec sa chou du moment, mais jamais on aurait pu penser que des garçons auraient abusé d’une fille handicapée  » s’indigne R… un garçon de terminale. Sa classe a voulu organiser une mobilisation, mais les enseignants et la direction y voyant une occasion facile d’annuler les cours ont refusé. Même les rumeurs qui courent quand ce type d’événement survient ont disparu.  » Les faits sont tellement glauques, que je pense que dans un accord tacite, nous avons décidé de ne pas en parler, de l’oublier  » analyse un enseignant. Commode amnésie à laquelle n’aura pas droit la jeune victime.

MAUVAIS ÉLÈVE

Un lycée sur la pente descendante

Après le viol d’une élève dans son enceinte, la réputation déjà bien établie du lycée Delgrès du Moule continue à se dégrader.

Voilà quatre ans que la discipline des élèves du lycée professionnel Louis Delgrès ne cesse de se dégrader. Pourtant, selon les données du ministère de l’Éducation nationale, l’établissement a des résultats tout à fait honorables avec un taux de réussite au bac professionnel de 83 % alors que la moyenne attendue pour les établissements présentant ce profil est de 71 % de réussite. Il n’en reste pas moins que le public est difficile et tant à l’être chaque année un peu plus.  » Auparavant, nous nous en sortions bien car nous étions classés ZEP. Le rectorat nous donnait donc des moyens suffisants pour faire notre travail correctement et encadrer fermement les élèves. La contrepartie est que les professeurs devaient faire des heures supplémentaires payées. Cela représentait donc un budget. Le lycée n’est plus classé ZEP et avec moins de moyens nous devons fournir les mêmes résultats ce qui n’est pas possible et ça se ressent  » explique un des enseignants de l’établissement. D’autant plus que le public du LP Delgrès brasse large. L’établissement reçoit des élèves des villes de la communauté d’agglomération du nord Grande-Terre, mais aussi les élèves de toute la Grande-Terre et pour quelques cas du nord Basse-Terre, issu du lycée professionnel du Lamentin, à la réputation bien établie. «  La plupart du temps ces élèves qui nous arrivent sont difficiles. Ils n’ont plus la tête à l’école et viennent essentiellement pour jouer les troubles fêtes. Parfois, ils sont très bien connus des services de police.  » Il y a trois ans, le lycée avait déjà connu une histoire de relation sexuelle consentante déguisée en viol qui avait conduit au renvoi de trois élèves. L’année dernière, il a été le théâtre d’une bagarre générale qui avait nécessité l’intervention de la gendarmerie. Et cette année, ce méfait ignoble commis sur une jeune fille déficiente. Pourtant, le proviseur, Pierre-Eric Marchal est un homme de terrain proche des élèves.  » Le proviseur est adorable. Il est présent sur tous les fronts et sa porte est toujours ouverte. Il est d’une grande diplomatie. C’est triste que cet événement arrive sous sa responsabilité « . Une stratégie qui n’aura pas suffi dans un lycée qui semble demander une prise en main renforcée.

ET COMME SI CE N’ÉTAIT PAS ASSEZ

Une autre version de l’histoire commence à courir et tend à minimiser la gravité de la situation. Selon une enquête menée auprès de plusieurs élèves de l’établissement, la jeune fille aurait pour habitude de demander aux garçons de la suivre dans les toilettes. Certaines lycéennes tiennent des propos parfois même cruels en laissant entendre qu’elle serait l’instigatrice de ce soi-disant viol. Propos dont avait déjà fait état la mère de la victime :  » J’entends toutes sortes de choses auxquelles je dois faire face sans broncher. Par exemple : les filles des Haïtiennes traînent dans les rues et viennent porter plainte ensuite. On dit aussi que ma fille aurait pu se défendre. On soupçonne ma fille d’être une vicieuse qui accuse les malheureux de viol après avoir pris son plaisir. En peu de temps, le nom de mon enfant est traîné dans la boue, alors que jamais elle n’est sortie sans moi. Elle a un âge mental compris entre 9 et 12 ans. » Reste que dans cette affaire, il y a plusieurs inconnues. Peut-on valider les commentaires des élèves et estimer que la victime aurait, en effet, enclenché la démarche ? On ne connaît toujours pas l’identité de la jeune fille qui l’aurait guidée dans le guet-apens et fait pression pour obtenir son silence.

Les faits sont tangibles

Au-delà des rumeurs, il n’en reste pas moins que la scène a été filmée dans l’intention de nuire, puisqu’elle a été largement diffusée. D’autre part, les agresseurs ont bel et bien le visage masqué. Selon des sources proches de l’enquête judiciaire, sur le film, la victime présente bien un visage crispé. Si elle parle à voix basse, elle affiche un air affolé. D’autre part, toujours selon ces mêmes sources, elle a bien été examinée par les urgences gynécologiques des Eaux claires le 3 octobre dernier et le vendredi 7 octobre, un médecin légiste qui, et sa mère le confirme, ont diagnostiqué des hématomes et la perte de la virginité de la victime à l’occasion des faits dont il est question. Une conclusion qui annule les rumeurs selon lesquelles la jeune fille aurait déjà suivi des garçons dans les toilettes. Toujours selon la mère de la victime, la psychologue consultée pour les besoins de l’enquête a confirmé l’existence d’un traumatisme et a indiqué que la guérison risquerait d’être longue. À l’heure où nous bouclons ce numéro, les gendarmes auditionnent les trois agresseurs. L’objectif c’est d’identifier aussi la réalisatrice de la vidéo. On devrait en savoir plus sur leur version de l’histoire. Pour l’instant, selon la mère, le rectorat s’est déjà activé de manière à trouver un nouvel établissement à N… où évidemment son anonymat devra être préservé.

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