AVIS DE TEMPÊTE
Le président de Région dit niet à la répartition des dotations qui selon lui lèse le pôle Guadeloupe et menace de geler les budgets régionaux prévus pour l’université des Antilles.
Le débat sur l’université des Antilles à l’Assemblée nationale à l’occasion de l’examen des amendements a donné lieu à des empoignades musclées tout au moins dans le verbe entre Victorin Lurel et Jean-Philippe Nilor. Objet de la discorde le mode d’élection des présidents des pôles Guadeloupe et Martinique eux-mêmes vice-président de l’université Antilles. Le Sénat avait ajouté à la loi une disposition selon laquelle président et vice-présidents sont élus sur une liste commune. Le fameux ticket à trois. L’amendement du gouvernement requiert une élection autonome des deux vice-présidents. Amendement adopté. Ce texte qui avait déjà occasionné de hauts cris du député martiniquais Jean-Philippe Nilor classé à gauche mais qui pour la circonstance trouvait lumineuse cette idée proposée par la droite n’était en réalité qu’un hors-d’œuvre. Le vrai clash est arrivé à l’occasion de la répartition des dotations. C’est la problématique de la prise en compte des surfaces occupées par le pôle Guadeloupe qui a mis le feu aux poudres. En cause plus exactement le campus du Camp Jacob et l’annexe universitaire de Saint-Claude qui n’ont pas été comptabilisés dans les surfaces de l’université pour établir les dotations au motif que c’est la Région Guadeloupe qui a construit le Camp Jacob.
Et Benoît Apparu
Victorin Lurel a fait valoir le plus grand dynamisme de la Région Guadeloupe : » lorsque la Région Martinique met 300 000 euros, la Région Guadeloupe 3 millions d’euros. En dix ans ce sont 100 millions d’euros qui ont été investis par la Région Guadeloupe dans l’université « . A soutenu le président de Région. Ce discours a été qualifié de discriminatoire par Alfred Marie-Jeanne et Jean-Philippe Nilor. Selon les deux députés martiniquais, il aboutirait à l’asphyxie du pôle Martinique. L’amendement a été rejeté. L’UMP et les Verts sont venus appuyer le camp martiniquais. Benoît Apparu a estimé que cet amendement portait en lui l’éclatement de l’université des Antilles. Après le rejet de l’amendement Victorin Lurel a fait le commentaire suivant : » ce qui vient de se faire là ne sera peut-être pas accepté là-bas et peut entamer le démantèlement. »
Lurel retire ses billes
Le président de Région n’en démord pas et a adressé une lettre à la secrétaire d’État chargée de l’Enseignement supérieur et de la recherche Geneviève Fioraso. Lettre dans laquelle, il revient sur la question de la prise en compte des surfaces occupées par l’université à Saint-Claude. Victorin Lurel apporte des arguments juridiques à sa thèse et cite l’article 762-2 du code de l’éducation : » À l’égard de ces locaux comme de ceux qui leur sont affectés ou qui sont mis à disposition par l’État, les établissements d’enseignement relèvent du ministre chargé de l’enseignement supérieur (…) exerçant les droits et obligations du propriétaire à l’exception du droit de disposition et d’affectation des biens. » Et pour faire bonne mesure Victorin Lurel dit geler les 10 millions de budget prévus pour les amphithéâtres de médecine et de droit ainsi que pour la création de l’école d’ingénieur. Voir extrait de la lettre de Victorin Lurel. Enfin comme un pied de nez aux désidératas de la Martinique, le président de Région dit maintenir la dotation pour l’équipement de la Guadeloupe d’un cyclotron.
MARTINIQUE D’ABORD
Les arguments de Corinne Mancé-Caster sonnent creux
La présidente de la nouvelle université des Antilles, Corinne Mancé-Caster n’est pas restée les bras croisés. Elle aussi s’est fendue d’une lettre à Geneviève Fioraso pour contester les arguments de Victorin Lurel. Sa première réponse c’est de dire que la construction du campus de Saint-Claude n’est pas une décision de l’université mais de la Région Guadeloupe qui entendait ainsi rééquilibrer son territoire. On ne sait pas très bien ce que vient faire ici la question du rééquilibrage du territoire de la Guadeloupe puisqu’en réalité, le site de Saint-Claude quel que soit l’endroit où il est situé, appartient bel et bien à l’université. Les étudiants basés à Saint-Claude sont inscrits à l’université nouvellement baptisée université Antilles et non dans un autre établissement. Il ne s’agit nullement de l’université privée ou locale d’une quelconque obédience régionale, mais bien d’un établissement d’État. Quant au propos qui consiste à dire que ce n’est pas un projet programmé par l’ex UAG mais uniquement par la Région, il est quelque peu spécieux. Il faudrait juste rappeler à Corinne Mancé-Caster, mais peut-être n’était-elle pas encore en poste à l’UAG, que la construction et la mise en service du complexe de Saint-Claude qui a coûté 51 millions d’euros a fait l’objet d’une concertation entre la Région et l’UAG, qu’une convention pluriannuelle a été signée entre les deux entités. Cela ne s’est certainement pas fait en tordant le bras des dirigeants de l’UAG de l’époque. En revanche, Corinne Mancé-Caster était bien présente lorsque le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, alors en visite en Guadeloupe, avait déclaré que l’État s’engageait à pourvoir en équipements et en fonctionnement, le complexe de Saint-Claude. Le qualifiant même du plus beau campus de France. Pour autant, Corinne Mancé-Caster joue sur du velours. Elle sait fort bien que les dotations de l’État sont insuffisantes pour le fonctionnement des deux pôles. Mais elle préfère que cette raréfaction du budget se fasse au détriment de la Guadeloupe et pas de la Martinique. Enfin son propos qui consiste à exhorter – en creux — la ministre à désigner une fois pour toutes qui est le chef de l’université des Antilles à savoir elle Corinne Mancé-Caster peut peut-être la rassurer. Mais ce n’est pas cela qui mettra l’université des Antilles à l’abri d’une éventuelle nouvelle crise.
OPACITÉ
L’université des Antilles ou l’empire du double langage
À l’heure cruciale où l’université des Antilles devrait pouvoir trouver l’équilibre administratif de son fonctionnement, les tractations lors du dialogue pour la gestion montrent déjà des failles majeures dans son hyper structure.
Pour tenter de comprendre les errements qui caractérisent le début de vie de l’université Antilles, il est impératif de partir du postulat selon lequel la version officielle est toujours erronée. Les tractations secrètes et les dialogues de couloirs, surtout ceux tenus au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, régissent plus que jamais les décisions administratives des pôles respectifs. Le dialogue de gestion censé dégager les orientations budgétaires des deux pôles l’a très clairement fait apparaître. Avec ses quelques 45 433 m² de surface bâties et plus de 6 000 étudiants, le pôle Guadeloupe est, ne serait-ce qu’en surface, plus important que le pôle Martinique qui lui ne justifie que 27 915m². Or, l’État attribue des financements aux universités en fonction de deux principaux critères. Les surfaces bâties et les effectifs étudiants pondérés par les enseignements dispensés et leurs coûts. Le rapport financier est donc en faveur de la Guadeloupe. Et pourtant, il ne prend pas en compte la surface du Camp Jacob, estimée à 8 269 m². Ce fait n’est pas nouveau. L’université de Saint-Claude, n’a jamais été retenue dans le calcul du budget alloué au pôle Guadeloupe. Son existence était donc presqu’entièrement supportée par la Région Guadeloupe qui n’a pas manqué de le faire savoir à l’État dans la lettre écrite par Victorin Lurel et adressée à Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement Supérieur. Une lettre bien sentie, qui n’oublie pas de rappeler qu’un amendement voulant intégrer comme critère de répartition budgétaire entre les deux pôles le « patrimoine immobilier et mobilier » avait été refusé lors de la rédaction de l’ordonnance du 17 juillet 2014. D’ailleurs, en vertu de quoi ? Mystère. Si l’État semble découvrir l’existence du Camp Jacob, c’est parce que les gouvernances précédentes ainsi que l’actuelle, n’ont pas identifié comme une priorité majeure son intégration dans le tronc commun des possessions du pôle Guadeloupe, et l’État ne s’était pas non plus dépêché de vouloir l’y intégrer.
À ce défaut de calcul s’ajoute la non prise en compte dans le dialogue de gestion des frais de fonctionnement de l’administration générale du pôle Guadeloupe – comme du pôle Martinique – devenus avec la nouvelle ordonnance des composantes définies avec des missions claires à remplir. Ce que Didier Destouches, vice-président du pôle Guadeloupe n’a pas manqué de signaler dans le corps d’une lettre ouverte datée du 23 février 2015.
Forces contraires
Si Victorin Lurel et Didier Destouches montent au créneau, c’est bien parce que l’issue du dialogue de gestion sera un marqueur fort de l’ambiance qui régnera entre les pôles. En Martinique, c’est l’union sacrée autour de la question universitaire. Et si des dissensions existent en interne, face au Ministère, les Martiniquais poussent dans le même sens et agitent tous leurs réseaux. Et leur voix semble être plus audible que celle de la Guadeloupe. Une stratégie d’autant plus gagnante, qu’il semble y avoir une différence persistante entre les décisions prises au niveau local et leur report au niveau national. Il n’est pas rare que ces décisions soient régulièrement détricotées sans que le niveau local en soit informé. Et la rédaction de l’ordonnance en a souvent été la preuve. Pour l’instant, Didier Destouches refuse de jouer la carte du désordre, au risque même d’être accusé de collaboration – au sens négatif du terme — avec la Martinique. « Je veux continuer de protéger l’autonomie des deux pôles en leur donnant les moyens dont ils ont besoin pour travailler. Et je demande aux Martiniquais d’être solidaire de ce mouvement » Si les dialogues sont bons entre les deux présidents de pôle, pas sûr pour autant que l’appel à l’union résonne. Ayant été dotée dans le cadre de l’UAG d’un budget plus important eu égard à sa taille, le pôle Guadeloupe risque de voir la tendance s’inverser en faveur de la Martinique. Qui, elle, a déjà pris soin d’attirer quinze enseignants-chercheurs ne souhaitant plus évoluer au sein de l’Université de Guyane, d’ouvrir de nouvelles formations aux étudiants, bref de poser les jalons intéressants pour une éventuelle université de la Martinique. Le fossé qui règne entre l’ordonnance du 17 juillet 2014 et la réalité se creuse chaque jour un peu plus, et laisse les acteurs du pôle Guadeloupe face à cette douloureuse interrogation : dans les prochains mois faudra-t-il toujours jouer selon les règles ?
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