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La vidéo d’un passage à tabac en prison fait le buzz

CHOQUANT

Partagée sur les réseaux sociaux, une vidéo montre un jeune détenu de 20 ans tabassé et humilié par d’autres prisonniers, et illustre de façon crue l’ambiance violente qui règne à au centre pénitentiaire de Fond Sarail à Baie-Mahault.

La vidéo a de quoi choquer. Étouffé avec une serviette et roué de coups, un prisonnier de 20 ans se fait humilier par ses codétenus qui lui coupent ses locks, le tout accompagné de menaces et de bordées d’injures. La scène, filmée avec un téléphone portable (vraisemblablement par un autre détenu) et diffusée ensuite sur les réseaux sociaux, se déroule à la prison de Fond Sarail à Baie-Mahault. Le jeune homme violenté est incarcéré sous le régime de la préventive. Coupe de dreadlocks, action est filmée, l’humiliation semble être l’effet recherché par les agresseurs. Rapidement, à force de commentaires et de partages, la Guadeloupe entière a accès à la vidéo, y compris la famille du détenu. Horrifiée, en colère, la mère du jeune homme témoigne dans les médias et réclame une enquête. D’autant plus que, selon son avocat Ary Durimel, le jeune homme serait détenu le temps de l’enquête pour des faits que l’avocat qualifie de «  légitime défense « . Lors d’une tentative de braquage pour son scooter, il aurait retourné l’arme de son agresseur contre lui et lui aurait tiré dans le pied.

Cocktail détonnant

Rapidement, le procureur de la République de Pointe-à-Pitre, Guy Étienne garantit que l’enquête sur l’agression dans les murs de la prison est en cours. Malgré le fait que sur la vidéo les visages ne sont jamais visibles, sauf celui de la victime, Guy Étienne assure que les agresseurs pourront être rapidement retrouvés. De leur côté, les syndicats des agents de l’administration pénitentiaire s’emparent de l’affaire, pour eux symptomatique de la situation dégradée de la prison. Ils décrivent un établissement surpeuplé, avec des surveillants en sous-effectif. Un cocktail détonnant qui rend possible toutes les dérives. La vidéo illustre aussi la réalité de détenus qui peuvent avoir accès à des ciseaux, aux téléphones portables, et même à une connexion Internet… Elle montre de façon crue un phénomène bien connu en prison : malgré les mesures de sécurité et les précautions prises, beaucoup de choses rentrent en prison, même lorsqu’elles n’ont rien à y faire…

 

ÉCLAIRAGE

Alex Doquet : une jungle où la loi du plus fort domine

Alex Doquet est un bénévole du Secours Catholique qui œuvre depuis une dizaine d’années auprès de détenus au centre pénitentiaire de Baie-Mahault. À l’initiative d’un chantier de réinsertion bénéficiant à 13 personnes sous-main de justice, souvent il devient cette oreille attentive qui écoute les maux.

« D’après les faits que me relatent les jeunes, les cas de violence au sein du centre de détention sont fréquents « . Une violence connue des services de l’administration pénitentiaire, impuissante face à ce phénomène. Les motifs de ces agressions sont souvent banals.  » Il y a quelques semaines, un jeune m’a rapporté qu’il a vu sous ses yeux, son compagnon de cellule se faire poignarder parce que ce dernier a refusé de remettre une télécommande de télévision à un autre codétenu.  »

Les lois du plus fort et du silence priment

De plus, l’univers carcéral est un milieu qui obéit à des règles. Pour le coordonnateur du chantier de réinsertion, la prison est comme  » une jungle où la loi du plus fort domine « . Pour s’assurer une tranquillité et bénéficier d’une protection, les détenus doivent intégrer une sorte de famille.

 » En prison, il existe un système de clans. Les conditions de vie en détention sont très difficiles si vous n’appartenez pas à un clan. Dans le cadre carcéral, la question du respect est primordiale. Les chefs de clans veulent garder leur pouvoir et asseoir leur domination sur les autres détenus.  » Pour Alex Doquet, à cette hiérarchie entre compagnons de cellule s’ajoute une deuxième règle. Il s’agit de la loi du silence.  » Beaucoup de jeunes évitent de dénoncer les faits de violences, de peur d’éventuelles représailles.  » Un système bien rodé, selon le bénévole, les caïds s’appuient sur  » un réseau de personnes à l’extérieur, qui se charge de régler les différends « .

En dix ans d’activité de soutien aux jeunes détenus, Alex Doquet reconnaît que la violence est de plus en plus juvénile.  » Aujourd’hui, les plus violents sont les jeunes majeurs « . Une population plus jeune, qui vit sous l’influence d’un  » boss « . Ce dernier, promet souvent une aide au jeune en échange de la commission de certains méfaits.  » Le point négatif est que les grands d’aujourd’hui, vont chercher les petits pour faire certains coups « .

La réinsertion, seule alternative

La principale explication de cette recrudescence de la violence est le manque de structures chargées de la réinsertion des détenus en fin de peine. Le plus souvent, les jeunes à la sortie du centre pénitentiaire sont confrontés à la pauvreté et au rejet de la société.  » La prison ou le cimetière c’est ainsi que les détenus conçoivent la vie « . Pour Alex Doquet, les chantiers de réinsertion constituent une bonne porte de sortie.  » Le travail que nous faisons, correspond à une goutte d’eau mais nous gardons espoir quant à l’évolution de ce principe « . Une initiative sélective du fait du nombre de places limitées.

 

BAD BOYS

Harry Durimel :  » Les détenus sortent de prison plus mauvais qu’ils n’y sont entrés « 

La famille Berchel, choquée par la vidéo d’agression carcérale qui a récemment circulé sur les réseaux sociaux et devant la fin de non-recevoir de la gendarmerie, a pris un avocat – Harry Durimel — pour défendre les intérêts de leur fils.

Harry Durimel : Aucune enquête n’a encore été diligentée pour faire la lumière sur le contexte de l’agression. Tout ce que l’on sait c’est qu’elle a lieu dans l’enceinte de la prison. Inutile de dire que je suis très déçu que l’on n’en sache pas déjà plus, de même que de constater l’inertie de l’administration sur ce dossier. En cela, je partage les sentiments de la mère du jeune homme qui est affolée de voir qu’il n’y a pas eu, spontanément de réaction des autorités, alors même que ce fait est devenu public.

Le Courrier de Guadeloupe : Le jeune homme en question n’a pas communiqué avec sa famille depuis ?

H.D. : Non, sa famille n’a aucune nouvelle. Elle ne sait pas s’il est dans les mêmes conditions d’incarcération. Je n’ai pu en savoir plus que par une de mes connaissances qui m’a indiqué qu’il était encore dans la même cellule.

LCG : Quel est le profil de ce jeune homme ?

H.D. : La famille est en situation de fragilité. Lui-même, il est en situation de handicap avec une jambe plus courte que l’autre. Il a déjà perdu un œil lors d’une précédente agression pour son scooter. Pour le cas qui l’a mené à la détention provisoire, l’enquête suit son cours. Mais il n’a pas le profil d’un caïd. D’ailleurs la vidéo montre une situation d’humiliation.

LCG : La mère a confié se sentir menacée. Savez-vous quels éléments nourrissent cette impression ?

H.D. : Quand je l’ai vu, elle n’a pas fait état de menaces. Mais n’oubliez pas que les détenus qui frappent son fils disent qu’il doit quelque chose, qu’il a une dette et elle ne connaît absolument pas la nature de la dette et elle peut être une source de danger pour elle.

LCG : Avez-vous connaissance de cas similaires ?

H.D. : Bien sûr. Je vais d’ailleurs rassembler les cas pour donner un signal fort à l’opinion publique sur les conditions d’incarcération de la prison de Baie-Mahault. J’ai d’autres vidéos d’exactions subies en prison. Ce sont des sévices. Certains détenus sont obligés de faire rentrer de la drogue dans la prison sous peine d’être passés à tabac. Une mère m’a raconté comment son fils avait été obligé de récupérer de la drogue, comment il avait été brûlé par des mégots de cigarette. Dans un autre cas, un ancien détenu a montré à un juge toutes les traces que les sévices avaient laissées sur son corps. La plupart de ces blessures avaient été faites avec des pics artisanaux. Et ils refusent de porter plainte pour acheter leur paix.

LCG : Les familles ne peuvent-elles pas avoir recours à l’administration pénitentiaire ?

H.D. : Mais bien sûr les familles ont le droit d’alerter l’administration pénitentiaire. Ce serait oublier que la loi de novembre 2009 encadre les conditions de détention. Il s’agit quand même de rappeler que l’article 46 de cette loi prévoit que  » l’administration pénitentiaire assure un hébergement, un accès à l’hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques « . Mieux. L’article 3 de la Cour européenne des droits de l’homme prévoit que  » l’état doit s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de l’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances inhérent à la détention. » La prison de Baie-Mahault ne permet pas l’application stricte de ces deux articles. Or, cette folie, cette violence que l’on ne cesse de décrier, c’est dans ces conditions de détention aussi exécrable qu’elle naît en partie. La récidive explose parce que les détenus sortent de prison plus mauvais qu’ils n’y sont rentrés.

 

BIM PAF POUM!

La violence carcérale, un mal ordinaire

La vidéo de ce jeune détenu fortement rudoyé par d’autres détenus n’est qu’un simple aperçu des conflits qui rythment la vie des pensionnaires de Fond Sarail.

Tous les jours. Les bagarres éclatent pour un regard de travers, une  » dette  » non payée, ou pour la drogue. Il y a longtemps que la prison ne refroidit plus les ardeurs des délinquants mais les exacerbe. Et avec les armes blanches qui circulent, personne ne sort indemne du combat. Ni ceux qui les déclenchent, ni les surveillants qui interviennent pour les arrêter.  » Quand je les regarde, c’est incroyable, les petits gars se battent comme des chiens. Et ils redoublent d’ingéniosité pour transformer un objet de tous les jours en arme  » explique Patrick Damas secrétaire général de l’UFAP-UNSA en brandissant un petit pieu de poids artisanalement taillé et orné de dessins rouges.  » Ça, c’est l’exemple de choses que nous récupérons sur eux. Ils ont aussi des petits ciseaux à bouts ronds qu’ils essayent d’aiguiser, ainsi que des petits couteaux, mais ça fait de très gros dégâts.  » Surtout quand on sait que les problèmes de la rue se déportent dans la prison avec ses pensionnaires et les règles restent les mêmes.

Gang

La condamnation n’efface pas les galons obtenus dans la rue et c’est toujours la loi du plus fort qui dicte les règles. «  Un caïd reste un caïd, la prison n’y change rien. De même qu’un lieutenant reste un lieutenant.  » Quand un lieutenant est condamné, en prison s’il retrouve un membre de sa bande qui lui est supérieur, il doit lui obéir de peur de voir son séjour se compliquer sérieusement. C’est d’ailleurs au sein de la prison que l’existence et la hiérarchisation des gangs sont la plus flagrantes. Un comble alors qu’officiellement, la police ne reconnaît toujours pas leur présence en Guadeloupe.  » Les gangs sont là et c’est clair. Quand un nouveau membre rentre en prison, il sait où il veut aller. Il sait là où sont ceux de son clan. Impossible de les mettre avec les gars de Pointe-à-Pitre ou de Sainte-Rose. Si c’est un chyen lari, il nous dit :  » pa mèt mwen èvè sé boug a lapwent la, mwen en afè avè yo.  » De toute façon on ne peut pas aller contre leur volonté, et ce pour éviter de créer des tensions et des conflits.  » Il n’est pas non plus rare que des contrats soient placés sur la tête de tel ou tel détenu qui n’aurait pas honoré sa part d’un marché. La sentence en général c’est le passage à tabac.

Diplomatie

Dans cet univers, le surveillant carcéral fait office de diplomate voire de sauveur. Il n’a pas le choix. En Guadeloupe, le contact avec les détenus est plus franc, plus direct. Ils n’hésitent pas à tester le surveillant pour savoir à qui ils ont affaire. «  Ils vous approchent sans crainte, et vous rudoient un peu. Si vous reculez, c’est fini.  » Ainsi du côté des surveillants aussi, la faiblesse peut-être fatale et encore plus quand on doit arrêter les bagarres sans protection particulière. Du coup, les accidents de travail se sont multipliés. Pour arrêter l’hémorragie, l’UFAP-UNSA a négocié avec l’administration pénitentiaire la mise en place de groupe d’intervention de huit hommes entraînés capables de séparer les belligérants avant que ce ne soit trop grave. Une nouvelle donne dont se jouent aussi les détenus. Surtout ceux qui agissent à contre cœur.  » Le groupe d’intervention les arrange. La semaine dernière, un jeune détenu a été blessé. Les mis en cause ont estimé que nous avions pris trop de temps à intervenir et qu’ils ont dû aller au bout du geste.  » Autant de méandres qu’il faut gérer en plus de la circulation et les tâches quotidiennes des détenus. L’objectif, préserver le fragile équilibre d’une prison surpeuplée et constamment sur le fil.

 

TÉMOIGNAGE D’UNE MÈRE DE DÉTENU

 » Suicide-toi avant ce soir « 

Depuis le mois de novembre 2014 la mère d’un détenu, qui a tenu à garder l’anonymat se bat pour obtenir l’allègement de peine de son fils. Son obsession, le faire sortir au plus vite de la prison qu’elle voit comme un tombeau.

« Je tiens tout d’abord à dire que je sais que les actes de mon fils ont été mauvais et je suis d’accord pour qu’il soit puni. Mais la prison de Baie-Mahault est une honte. Vous ne pouvez pas imaginer tous les sévices que subissent les détenus. Et si je suis d’accord avec la punition, je ne veux pas pour autant récupérer un fils traumatisé.  » Avec deux braquages à son actif, Kévin* est, aux yeux de la justice, un délinquant récidiviste. Mais c’est loin d’être aussi simple.  » J’ai toujours su que Kévin était influençable. Il avait déjà été condamné à quatre ans de prison pour un braquage. Quand il est sorti, j’ai commencé à le surveiller. Et je me suis rendue compte que quelque chose n’allait pas. Mais il n’a jamais voulu me parler. À la fin de l’année dernière, un soir, j’entends quelqu’un l’appeler du bas de l’immeuble. Il est descendu rapidement. J’ai allumé l’interphone et j’ai très clairement entendu qu’on le menaçait. Il fallait qu’il rapporte 500 grammes d’or à quelqu’un sous peine de représailles sur sa famille. Le lendemain, il a braqué une bijouterie.  » Le butin n’arrivera jamais à son commanditaire. La police est plus rapide et Kévin, récidiviste, est immédiatement condamné à trois ans de prison. Le problème, c’est qu’un organe de presse fait ses choux gras de l’affaire, relaye l’information en divulguant son nom et les circonstances du braquage. En prison, Kévin passe pour un traître aux yeux de la connexion – terme utilisé quand les représentants incarcérés et libres d’un gang communiquent – et son enfer commence. En prison, il se fait battre à plusieurs reprises et les menaces de mort pleuvent. Jusqu’à ce qu’un jour on lui demande de se suicider avant le soir.  » C‘est là que j’ai su le fond de l’affaire. Il s’est débrouillé pour trouver un portable pour m’appeler. Il m’a tout dit. Il a dit qu’il allait mourir si je ne faisais rien. J’ai couru à la gendarmerie pour expliquer les faits, j’ai pu avoir un contact à Baie-Mahault et j’ai réussi à faire en sorte qu’on l’isole et qu’on le change de cellule.  » Depuis ce jour, la mère de Kévin va le voir tous les jours pour s’assurer de sa sécurité. Mais en ayant parlé une fois, Kévin lui aura révélé tout l’enfer de la prison.

Une maman trouve 5 000 euros pour racheter la vie de son fils

 » En prison, il y a des caïds. Ils s’organisent pour avoir un peu tout sous contrôle. Et leur cible, sont les plus faibles, les plus exposés et ceux qui sont tombés en disgrâce. Mais leurs familles aussi deviennent des victimes. Je vois des mamans obligées de rapporter de la drogue à leurs enfants, de l’argent aussi. Une d’entre elles a déjà dû trouver 5 000 euros pour racheter la vie de son fils. Ils demandent toujours de l’argent, plus d’argent. Certains sont piqués gravement et on leur demande de se suicider, ou de dire au surveillant qu’ils ont tenté de le faire.  » Quand on parle de la vidéo qui a fait le buzz, où le garçon se fait couper les locks, la mère rit tristement.  » Mais c’est une coiffure ça dans la prison. Si tu n’as pas fait sa lessive, si tu n’as pas nettoyé ses chaussures, si tu n’as pas payé une dette, on te coupe les locks.  » Et ce n’est même pas le pire.  » Parfois, on les force à mettre la main sur des plaques chaudes, on les force à boire de l’eau ou de l’huile chaude, on force les rapports sexuels. Une mère a vu son fils avec les deux bras cassés parce qu’il avait refusé d’avoir des rapports homosexuels avec un détenu.  » Dans le meilleur des cas, les lieutenants rackettent les cantines (ndlr l’argent des détenus), certains n’arrivent pas à bien manger et boire pendant des semaines, d’autres servent de bonnes aux autres. «  C’est un harcèlement permanent. Mais le pire, c’est que les victimes ne parlent pas. Moi j’ai demandé à Kévin sans relâche pour qu’il me dise enfin, mais il me raconte aussi pour les autres, et je vois les mamans ramener les commandes de leurs enfants sans savoir qu’ils se font harceler pour ça.  » Cette parole qu’elle a libérée pour son fils, elle veut la libérer pour tous les autres, car elle a appris que Kévin n’était pas le seul à se faire harceler pour ramener de l’or aux gangs, que la pratique était connue.  » Les faits sont les faits, il a bel et bien braqué, mais on doit pouvoir ajouter ça à son dossier pour que la peine soit juste. On ne peut pas juste l’expédier comme s’il n’était rien.  »

*Le prénom du détenu a été changé.

 

STATISTIQUES

La population carcérale à Baie-Mahault en chiffres

Le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, construit en 1996, accueille l’ensemble des catégories pénales, à savoir hommes et femmes adultes, ainsi que les mineurs. Éléments chiffrés.

79 : c’est le nombre d’incidents relevés en 2013 concernant les violences avec arme entre personnes détenues. Un chiffre en augmentation par rapport à l’année précédente, où le centre pénitentiaire a recensé 72 cas. Cette violence s’étend également à l’encontre du personnel. Pour l’année 2012, 27 faits ont été enregistrés envers les surveillants. Un an plus tard, en 2013, le nombre de violences envers les surveillants est passé à 46.

175,9 % : c’est le taux de la densité carcérale. En termes de capacité, le quartier de la maison d’arrêt dispose de 266 lits pour 468 détenus. Le rapport parlementaire remis par Laurent Ridel, directeur de la mission Outre-mer sur les services pénitentiaires, publié en mai 2014, indique que cette surpopulation se traduit par un accroissement des matelas posés au sol.

696 : c’est le total des personnes écrouées au 1er février 2015, les quartiers de la maison d’arrêt et du centre de détention inclus. C’est en 2014, que la population carcérale a été la plus élevée avec 701 détenus.

1319 : c’est le nombre de personnes en milieu ouvert suivies par le service pénitentiaire d’insertion et de probation de Guadeloupe. Ces personnes font l’objet de mesures alternatives à l’incarcération.

Vols et trafic de cocaïne : ce sont les faits pour lesquels les peines de condamnation sont les plus courantes.

 

GRUYÈRE CARCÉRAL

Fond Sarail : une prison pas si close que ça

Désormais, les détenus sont en possession d’objets de la vie courante qui leur sont normalement interdits. Le phénomène est national, la petite nouveauté c’est que les détenus les exhibent grâce aux réseaux sociaux.

Téléphones portables, smartphones, cannabis, cocaïne, armes blanches, les interdits franchissent allègrement les portes du pénitencier. Au point que certains détenus se filment grâce à leur smartphone et parviennent à publier sur les réseaux sociaux. Un comportement clairement contraire au règlement intérieur de la prison. La première explication est à rechercher au cœur de la loi pénitentiaire de novembre 2009, mise en application en 2011. L’article 57 stipule  » que les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement.  » Comprenez que la loi estime que les fouilles des détenus ne sont pas automatiques mais constituent une réponse adaptée à une situation spécifique. Chose que les surveillants pénitenciers n’ont pas tardé à décrier.  » Nous nous efforçons de faire comprendre à l’administration le danger qu’une telle disposition représente, à la fois pour notre sécurité, et pour la stabilité des détenus en prison. Nous n’avons plus aucun contrôle sur ce qui circule dans la prison et c’est un vrai problème  » se désole Patrick Damas, secrétaire général de l’UFAP-UNSA syndicat majoritaire de la Justice. Non seulement les surveillants ne peuvent intervenir auprès des détenus, mais ils ne peuvent pas non plus fouiller leurs familles au moment des visites.

Vous avez un colis

Or, la famille est le vecteur principal d’objets et de substances illicites, à commencer par les téléphones portables.  » C’est bien simple les téléphones ne font pas sonner le portique d’entrée. Ensuite les compagnes et les membres de la famille leur apportent toute sorte d’objets et redoublent d’ingéniosité pour les leur remettre «  continue Patrick Damas. Des méthodes parfois dignes des mules de trafiquants sud-américains.  » Dans certains cas, les portables et les stupéfiants sont conditionnés dans des préservatifs pleins de vaseline. Ils sont remis aux détenus qui les insèrent dans leur anus afin de passer le contrôle sans problème.  » Et la stratégie est payante. À tel point que la circulation de stupéfiants en est venue à alerter les surveillants. Pour contrer le phénomène, des saisies de la douane sont organisées à l’heure des visites. Mais trop peu fréquentes, elles n’ont pas un impact décisif. Quand les envois n’arrivent pas directement par les familles, ils font l’objet d’un colis pas banal, lancé dans la prison depuis la rue.  » On trouve de tout dans ces colis, de l’argent, de l’alcool, des armes blanches. Parfois même des denrées alimentaires quand ce sont les fêtes. Pour stopper ce phénomène nous avons installé un filet de protection qui, le temps faisant, décourage un peu ce type d’envoi.  » Là encore, le phénomène n’est pas spécifique à la Guadeloupe. De nombreuses prisons en France hexagonale ont alerté sur ces colis extérieurs et sur le danger potentiel qu’ils représentent.

 

TÉMOIGNAGE

 » La drogue est la seule solution pour ne pas devenir fou « 

David, ancien détenu, explique l’ambiance de l’univers carcéral. Les gangs, la violence… Plongée dans le monde impitoyable de la prison de Fond Sarail.

David est un ancien détenu. Sorti il y a environ un an, il a passé quelques années à l’établissement pénitentiaire de Fond Sarail, à Baie-Mahault. Pourquoi a-t-il été condamné ? Posée plusieurs fois, la question ne trouvera jamais de réponse claire. «  Une bagarre qui a mal tourné « , se borne à répondre le jeune homme. Mais sur les conditions de vie dans la prison, il décrit un  » enfer  » de violence, où l’oisiveté provoque bagarres et agressions au quotidien.  » Pour survivre, il faut faire partie d’un groupe. Pour moi, ce ne sont pas des gangs, même si certains les appellent comme ça. Ce sont mes amis « , explique-t-il. C’est le même phénomène qu’à l’extérieur : la violence et les gangs s’importent. Des groupes s’octroient des territoires. Ils ont une logique interne, une hiérarchie, souvent calquée sur celle d’avant la détention. Les chefs restent chefs, et les petites frappent les larbins. Certains payent leur survie en monnaie sonnante et trébuchante, apportée de l’extérieur. Combien ?  » Ça dépend de qui tu es, qui tu connais, qui sont tes amis. Mais ça peut aller jusqu’à plusieurs centaines d’euros par semaine pour les plus chers « , raconte-t-il.

 » Il faut éviter au maximum de croiser ceux des autres groupes. Sinon, tu peux te faire attaquer à tout moment. Et, dans ces cas-là, mieux vaut être le premier à frapper que se faire avoir « , assure-t-il. Leurs armes ? Tout ce qui leur tombe sous la main. Mais ils ont une prédilection pour les  » pics « , normalement interdits. Une brosse à dents cassée et aiguisée, un morceau de bois taillé… Tout ce qui est pointu et peut faire des dégâts. Et pour des motifs plus futiles les uns que les autres : une cigarette, un sachet de café, un mauvais regard…

 » Une fois, un gars a essayé de me piquer pour une histoire de serviette que je lui aurais soi-disant volée… On est jamais à l’abri « , soupire-t-il.

Royaume de la drogue

Illégale en dehors des murs, la drogue l’est tout autant en détention. Pourtant, elle circule chez beaucoup de prisonniers.  » Quand tu n’as rien à faire de toute la journée, tu vois toujours les mêmes gens, la drogue devient la seule solution pour ne pas péter les plombs, devenir fou. Les surveillants le savent, certains ferment les yeux et laissent la drogue rentrer. Sinon, la situation serait encore bien pire que ce qui se passe maintenant « , confie-t-il. En somme, la drogue fait office de soupape de sécurité, pour éviter que la pression ne monte trop. Pour faire rentrer des marchandises illégales, les solutions sont très limitées. La grande majorité est apportée par les proches pendant les visites. Surtout depuis que les fouilles sont réglementées, pour les uns ou les autres, lors des rencontres avec les familles.  » Il faut le cacher, donc on se l’enfonce dans les fesses « , continue-t-il. Leurs drogues de prédilection : cannabis et cocaïne. Faciles à dissimuler et à consommer… À l’intérieur, les trafics s’organisent, générant encore plus de tensions et de violences.

Les téléphones portables aussi circulent, alors qu’ils sont formellement interdits.  » Moi j’en avais un pour appeler ma famille, pas pour faire du business « , se justifie David. Mais les téléphones permettent aussi de commander des contrats d’attaque ou d’assassinat. Les règlements de compte de l’extérieur entrent par effraction dans la prison, grâce à ces téléphones.  » Une fois, on m’a appelé pour me proposer de blesser un gars contre de l’argent. Je ne l’ai pas fait, mais d’autres n’ont pas le choix. On menace d’attaquer ta famille à l’extérieur si tu ne fais pas ce qu’on te demande « . La prison, un monde impitoyable.

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