Les Indiens prennent le pouvoir

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Ils ont aujourd’hui ingénieurs, médecins, experts-comptables, chefs d’entreprises et occupent une place importante dans la société guadeloupéenne. Mais leur parcours n’a pas été semé de roses. Loin s’en faut. Itinéraire.

Communauté indo-guadeloupéenne

La population guadeloupéenne est la résultante de la rencontre d’hommes et de femmes d’origines différentes. Les amé- rindiens ayant été exterminés par les premiers Européens arrivés sur place, il faut aujourd’hui considérer que les Guadeloupéens sont, soit des descendants des Africains déportés pour être esclaves, soit ceux des Européens venus chercher fortune dans les îles en exploitant d’autres hommes, soit ceux des Indiens venus après l’abolition de l’esclavage. Plus tard arriveront les Syro-libanais. Bien sûr, la Guadeloupe est aussi un mélange inextricable de toutes ces origines. Ce qui fait d’elle une population bigarrée. Chacune des composantes de la société guadeloupéenne traîne son histoire faite d’affres, de honte, de rédemptions et de hauts faits. Toutefois leur aptitude à la résilience, leur capacité à s’adapter tout en préservant leur originalité et puis surtout leur formidable essor depuis quelques années dans la société guadeloupéenne, font des Indiens de Guadeloupe la composante à la fois la plus originale et la plus significative de notre société. 2013 décrétée année Sidambarom, du nom de ce Capesterrien qui osa pour la première fois s’élever pour ses frères indiens contre l’injustice et une forme d’apartheid de l’administration coloniale, est une vraie reconnaissance de la part de la société guadeloupéenne à l’égard des Indiens. Presqu’une consécration. Mais se faire une place dans cette société ne fut pas un long fleuve tranquille. Aujourd’hui, ils sont ingénieurs, professeurs, médecins, experts comptables alors qu’au début des années cinquante, voire les années soixante ils n’étaient pas nombreux à aller à l’école. Ils étaient victimes d’insultes de toutes sortes et les enfants eux-mêmes s’en donnaient à cœur joie avec leurs petits camarades Indiens. Mais les choses ont bien changé. Pendant que certains Indiens acquéraient le savoir, d’autres se lançaient avec bonheur dans l’entreprise, s’imposant en leader dans plusieurs secteurs d’activité. La communauté indienne de Guadeloupe possède quelques arguments de poids et sait désormais naviguer. Et tout cela en ayant su cultiver un subtil équilibre entre intégration et préservation de leur originalité.

EXCEPTION CULTURELLE

Les immigrés indiens, premiers défenseurs de la culture créole

Bien avant les descendants d’Africains, les immigrés indiens et leurs descendants sont ceux qui ont le plus tôt valorisé la culture créole. D’abord pour des raisons pratiques. L’Inde étant un immense territoire où vivent près de 300 langues, les candidats à l’expatriation viennent de castes et de régions différentes, et en dépit du grand brassage culturel qui se fait sur le bateau la communication reste très difficile entre les Indiens. Toutefois, en Guadeloupe, toutes ces différences sont sacrifiées à l’autel de la discrimination opérée par les blancs et les descendants d’Africains qui rejettent sur ces nouveaux venus tous les traumatismes subis depuis des siècles. Dans la volonté d’un repli identitaire, les Indiens choisissent le créole comme langue commune. Ce sera d’ailleurs une raison de moquerie pour les descendants Africains, qui voient en cette langue le symbole de leur asservissement et l’abandonnent pour le français, langue de l’ascension sociale. Peu intégrés dans le cursus scolaire normal -il mettront d’ailleurs longtemps à y entrer- les Indiens valorisent et pratiquent assidûment le créole, élevé pour les enfants nés en Guadeloupe, au rang de langue Maternelle.

L’indianité de la Guadeloupe

Communauté indo-guadeloupéenne

Quel Indien est le Guadeloupéen ou quel Guadeloupéen est l’Indien ? Par la force des choses les Indiens se sont peu à peu intégrés et leur culture s’est distillée dans l’île. Les apports des immigrés indiens sont importants et représentatifs de leur rôle dans la culture guadeloupéenne. Le madras par exemple, carré de tissu coloré vient en fait d’Inde et fait aujourd’hui partie intégrante de la gran robe traditionnelle. La cuisine s’est enrichi avec notamment le pikenga, sorte de courgette utilisée dans les sauces piquantes, le gingembre, le giromon pour ne citer qu’eux. Le paroka, ou pomme-coulie est utilisée comme plante médicinale. Le riz au lait et le ti-punch lui-même sont un héritage indien. Ce dernier vient de pancha qui signifie « cinq » car la boisson se composait de cinq ingrédients : rhum blanc, sirop de canne, jus de citron vert, rondelle de citron vert et glaçon. La cuisine n’est pas le seul domaine impacté par l’arrivée des Indiens. Les danses traditionnelles connaissent depuis quelques années un renouveau comme le bharata natyam. Les langues indiennes comme le tamoul ou l’hindi reviennent aussi peu à peu. Mais certains aspects ne se sont pas diffusés. La religion est restée très marginale. Il faut attendre 1970 pour que le premier lieu de culte important, le temple Changy, soit créé à Capesterre-Belle-Eau. L’intégration de la culture indienne dans la culture guadeloupéenne est un combat de tous les instants matérialisés par le projet d’un centre de culture indienne dans la commune de Petit-Canal. Cette culture fruit d’un héritage millénaire est aujourd’hui le produit de l’originalité d’une population indo-guadeloupéenne.

ESCROCS !

L’autre supercherie coloniale

Après 1848, plusieurs pistes sont étudiées par les grands proprié- taires terriens afin de combler le manque de main d’œuvre auquel ils font face. Plus que de simples considérations économiques, c’est un mode de vie qu’ils défendent ardemment en faisant constamment pression sur les autorités françaises qui leur passent plus ou moins tout. Parmi les pistes évoquées, le recrutement d’autres noirs dans la Caraïbe ou aux Etats-Unis, l’acheminement de Français du Sud-Ouest, ou encore la déportation de Cap-Verdiens. Mais aucune n’est viable. Des noirs du Congo sont recrutés comme travailleurs volontaires. Près de 7 000 d’entre eux arriveront en Guadeloupe. L’Angleterre y met le holà, pensant y déceler une reprise déguisée de la traite négrière. Elle propose toutefois un accord international qui permettrait à la France de venir chercher des Indiens dans ces comptoirs à condition de leur proposer un contrat de travail. Le tout sera officialisé en juillet 1861. Des recruteurs sont engagés et présentent le voyage vers la Guadeloupe comme une opportunité à saisir et une promesse d›enrichissement. La durée du voyage et les conditions de travail sont astucieusement passées sous silence. La vérité n›en sera que plus dramatique. Entre les mauvais traite- ments, le non-respect des contrats, l’ostracisassion par la population locale, les mauvaises conditions de vie entraînant un fort taux de mortalité, l’eldorado guadeloupéen a vite fait de se transformer en enfer. Le taux de suicide atteint des proportions inquiétantes. Acculés par une main d’œuvre fragile soumise à un contrat, et l’effondrement progressif mais certain du système sucrier, les planteurs finiront par revoir leur fonctionnement. A l’heure de la révolution industrielle, la mode de l’asservissement de l’humain et l’organisation des colons des Antilles grâce à ce système odieux était tout simplement dépassées.

DES CHAMPS À L’INVESTISSEMENT

Un troisième œil pour les affaires

Communauté indo-guadeloupéenne

Parmi les idées reçues qui ont circulé sur les pratiques de la communauté indo-guadeloupéenne, leur goût et leur té- nacité au travail était celle qui avait le plus cours. En réalité la communauté indienne a profité de plusieurs facteurs historiques. D’abord, avec les mutations qui s’opéraient dans le secteur du sucre, certains propriétaires terriens, ont vendu à bas prix quelques parcelles de terre aux Indiens qui se sont mis à les cultiver, bien sûr pour leur consommation personnelle, mais ensuite dans un but commercial. “A ce moment de l’Histoire – et ce sont d’ailleurs des logiques qui ont perduré avec le temps – les Indiens sont dans une autre mentalité que les noirs. Ils voient dans les affaires et dans le commerce le moyen d’arriver enfin à cet enrichissement qu’on leur avait promis au départ. Ils sont réellement dans une mentalité d’entreprise. Les noirs eux, pensent élévation sociale par le fonctionnariat. Ce sont deux logiques tout à fait distinctes” analyse Alexina Mekel enseignante de langue hindi et membre du conseil guadeloupéen pour les langues indiennes (CGLI). Ensuite, la modernisation de la Guadeloupe ouvre aussi d’autres perspectives. Le transport de personnes bien sûr, mais aussi le BTP. En effet, à l’heure de la grande rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre, les besoins de main d’œuvre sont colossaux. Mais on a aussi besoin de transporteurs afin d’acheminer les matériaux sur les différents chantiers. Les besoins sont tels que les services publics ne suffissent pas. Flairant le bon coup, de nombreuses entre prises de BTP et de transport se montent et d’autant plus vite que les prestations sont très bien rémunérées. Ce contexte a fait des Indiens, les premiers grands entrepreneurs privés et modernes du secteur en Guadeloupe à l’image de José Gaddarkhan mandataire au sein de 27 sociétés, président notamment de l’entreprise Emile Gaddarkhan et fils au chiffre d’affaires de 21 millions d’euros en 2007 (chiffre le plus récent connu), également installée à la Dominique et à Sainte-Lucie.

JE T’AIME, MOI NON PLUS

Grande-Terre mon amour

Les premiers Indiens ont posé les pieds en Guadeloupe le 24 décembre 1854, six ans après l’abolition de l’esclavage. Ils sont l’incarnation d’une solution pratique, un accord passé entre les autorités françaises et anglaises afin de combler les besoins de main d’œuvre des planteurs. Persuadés d’arriver sur une terre où les rues seraient pavées d’or, beaucoup pensent améliorer leurs conditions de vie. Dans leur implantation, les indiens sont restés ancrés dans les communes abritant des usines et les plus grandes plantations. On les retrouve donc majoritairement au Moule, à Saint-François, à Petit-Canal, à Port-Louis, quelques-uns à Sainte-Anne. En Basse-Terre, ils sont restés à Capesterre-Belle-Eau et occupent des terres proches de l’ancienne usine Marquisat. Autres anciens lieux de plantation Sainte-Rose et le Lamentin ont aussi leurs Indiens. Il est très difficile de dénombrer clairement la communauté indienne et cela pour deux raisons. La première est historique. En effet, les planteurs ont très régulièrement et avec application, foulé aux pieds les termes du contrat signé avec la nouvelle main d’œuvre. Il était en effet prévu qu’après cinq ans de travail, les Indiens puissent rentrer chez eux. Certains des premiers immigrants, grugés et désespérés par les conditions de vie iniques, ont émis le souhait de rentrer. Près de 9 000 ont réellement pu le faire. Les autres ont été condamnés à traîner à Pointe-à-Pitre en attendant un bateau qui ne viendra jamais. Il y a eu environ 30 000 décès d’indiens et de descendants d’indiens dus aux conditions de travail et parfois au simple voyage. La seconde raison vient de la forte inter pénétrabilité entre les descendants d’Africains et les descendants d’Indiens. Malgré les quolibets et les préjugés, les deux cultures se sont mélangées créant un taux d’intégration jamais vu ailleurs.

Les Grandes figures Indiennes

Henry Sidambarom

De nos jours une grande majorité des Indiens vivant en Guadeloupe ont conservé leur nom : Apassamy, Ayassamy, Candassamy, Moutous- samy, Ramassamy, Vingadassamy, Virapin, Mouniga, Badry, Sahaï… Certains de ces patronymes sont originaires du sud de l’Inde tamoul et d’autres du Nord hindi. De grandes familles, ou plutôt de grandes figures pour la communauté, portent ces noms. Il y a parmi eux Jean Sahaï. C’est lui qui a été responsable de la section commémoration des 150 ans de présence indienne en Guadeloupe et Martinique. L’homme est professeur d’anglais et de langue et culture régionale, mais également conférencier et traducteur. Très impliqué dans la reconnaissance de la place de l’indien dans les sociétés antillaises il a porté de nombreuses contribution au débat et à l’action de valorisation de la communauté indienne. Très engagée également, Ernest Moutoussamy. Cet autre acteur de la reconnaissance de la culture indo-guadeloupéenne est à l’origine du concept d’indianité de la Guadeloupe, où le peuple indien est invité à s’affirmer comme composante à part entière de cette société. 150 ans auparavant, c’est Henry Sidambarom qui rassemblait la communauté derrière un combat similaire : son procès politique et son combat pour la défense des droits des indiens. Mis à l’honneur cette année, il est l’un des fers de lance du célèbre procès commencé le 23 février 1904 et achevé en 1923, avec la reconnaissance officielle de la nationalité française à tous les Indiens de Guadeloupe et leurs descendants. De grandes figures très politiques qui témoignent bien des progrès réalisés mais aussi de ceux qu’il reste à accomplir pour une totale intégration de la communauté indienne.

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