Didier Destouches, Maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université des Antilles, membre du Centre de recherche en économie et en droit du développement insulaire (Creddi) et expert auprès du congrès des élus départementaux, régionaux, maires.

La veille du 19e congrès des élus régionaux et départementaux du 17 juin – où la fusion des deux collectivités territoriales était au cœur des débats –, Le Courrier de Guadeloupe interrogeait Didier Destouches qui a livré son analyse. Maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université des Antilles, membre du Centre de recherche en économie et en droit du développement insulaire (Creddi) et expert auprès du Congrès, il est codirecteur de l’ouvrage Statut constitutionnel et politiques publiques. Quel avenir pour la Guadeloupe ? (Presses universitaires des Antilles).

Alors que les résolutions du congrès alimentent désormais le débat public, ces propos recueillis à la veille des travaux – le 16 juin – prennent une résonance particulière. L’universitaire y dévoile, avec une acuité prémonitoire, les trois défis majeurs de cette réforme : verrous constitutionnels, pièges politiques, et équation économique. Autant d’écueils qui expliquent peut-être pourquoi les électeurs l’ont rejetée à deux reprises par le passé.

Le Courrier de Guadeloupe : Quel est selon vous l’objectif visé pour le 19e congrès des élus régionaux et départementaux, et quelles décisions peut-on attendre ?

Didier Destouches : L’objectif du 19e congrès des élus est d’adopter des résolutions portant sur l’évolution statutaire et institutionnelle de la Guadeloupe. La résolution est un texte politique de valeur juridique, très court, reprenant et précisant les orientations et/ou décisions adoptées par les élus des collectivités majeures et les maires de Guadeloupe, réunis alternativement tous les six mois dans l’enceinte de la Région et du Département.

Le congrès délibère de toute proposition d’évolution institutionnelle, relative à de nouveaux transferts de compétences de l’État vers le Département et la Région concernés, ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre ces collectivités locales.

Compte tenu des précédentes résolutions adoptées, ce congrès va adopter les dispositions précises qui seront intégrées dans la loi organique qui à la demande des élus locaux, et après validation par consultation des habitants de la Guadeloupe, proposera au parlement français une fusion des collectivités majeures en une seule collectivité, qui sera dotée d’un certain nombre de compétences normatives supplémentaires dans des domaines qui relève en principe de la compétence du législateur, ou du gouvernement.

Quels sont les objectifs du changement statutaire envisagé pour la Guadeloupe ?

Didier Destouches : Les objectifs de ce changement statutaire sont de permettre à la Guadeloupe d’aller vers un statut de collectivité unique et donc à statut particulier par rapport aux autres collectivités françaises, départements et régions ; c’est un sens où il s’agit d’un changement statutaire mais également institutionnel.

L’autre objectif est non pas de changer complètement notre régime législatif mais de combiner les deux régimes existants : la spécialité législative de l’article 74 de la Constitution (faire des normes guadeloupéennes) et l’identité législative de l’article 73 de la Constitution (appliquer directement les lois françaises, en les adaptant au besoin) au travers de l’acquisition de la capacité d’édicter des normes locales (réglementaires et/ou législatives) de façon autonome.

Les résolutions de ce congrès préciseront quels sont les domaines envisagés (par ex : foncier, fiscalité, culture, coopération, etc.). Le changement statutaire a pour mission d’optimiser la mise en place des politiques publiques en Guadeloupe en améliorant leur pertinence, leur adaptabilité, leur proximité et leur financement grâce à la différenciation territoriale promue par l’État.

La différenciation entre les Drom (département et région d’outre-mer) et les Com (collectivité d’Outre-mer) reflète un équilibre entre l’intégration républicaine et la reconnaissance des spécificités locales. Les Drom restent profondément ancrés dans le cadre administratif et législatif français, tandis que les Com bénéficient d’une plus grande autonomie pour gérer leurs affaires locales. Cette dualité permet de concilier l’unité de la République avec la diversité des situations territoriales. Et la Guadeloupe semble s’inscrire, malgré de fortes divisions politiques et hésitations, désormais dans un avenir de Com et de plus d’autonomie.

Les citoyens guadeloupéens seront-ils consultés directement via un référendum ou une autre forme de participation ?

Didier Destouches : Les citoyens guadeloupéens seront obligatoirement consultés sur leur choix d’avoir ce changement institutionnel qui en tout état de cause ne remet pas en cause l’appartenance de la Guadeloupe à la France, mais n’est qu’une accentuation de la décentralisation et de la différenciation territoriale comme le vivent avec certaines nuances, d’autres territoires de la France : la Guyane, la Corse, la Bretagne par exemple.

Ce changement entraînera-t-il une modification des subventions ou des aides financières accordées par l’État ?

Didier Destouches : Il peut l’entraîner, en plus ou en moins, selon les compétences demandées. Mais il faut préciser que jusqu’ici aucune évolution institutionnelle n’a entraîné de diminution des subventions étatiques qui restent quasiment au même niveau. Les principes de financement des collectivités sont assez intangibles et sont inscrits dans le cadre de la solidarité nationale.

Ce qui peut changer c’est la répartition locale de ces subventions et leurs affectations en fonction des nouvelles priorités induites par les nouvelles compétences. La suppression des doublons de compétence entre Région et Département devrait générer de substantielles économies par ailleurs.

Le congrès devrait permettre aussi de clarifier l’avenir du statut européen de la Guadeloupe. L’octroi du statut de Rup (statut de la Guadeloupe) ou de PTOM (statut des collectivités régies par l’article 74) a des conséquences non négligeables sur la France d’Outre-mer. Ainsi, les premières sont intégrées au marché intérieur européen ce qui leur donne certains privilèges tels que l’accès aux fonds structurels et d’investissement européens mais ce qui les oblige à respecter les règles hypercontraignantes de libre circulation et de concurrence au sein du marché unique.

Tandis que l’une des conséquences majeures de la non-intégration à l’UE des seconds tient dans leur régime douanier, puisque, contrairement aux Rup, les autorités compétentes peuvent percevoir des droits de douane alimentant leur budget et protégeant les productions locales par des prélèvements à l’importation. Bien que les PTOM ne bénéficient que du Fonds européen de développement (FED), certains d’entre eux ont tout à gagner de leur statut, qui leur permet d’être compétents en matière fiscale, halieutique, touristique et de contrôler eux-mêmes leurs ressources naturelles aussi bien que financières.

Quels enseignements peut-on tirer des expériences d’autres territoires ultramarins ayant adopté un statut différent, notamment celui de la Martinique et de la Guyane, et comment ces exemples influencent-ils les discussions en Guadeloupe ?

Didier Destouches : Ces exemples influencent peu les discussions à vrai dire et selon moi. Ils sont insuffisamment analysés je pense en ce qu’ils montrent que le changement institutionnel n’élimine pas toutes les difficultés de gestion, mais un certain nombre. Ce qui est positif.

Ceci dit, ces exemples sont des mises en place d’une assemblée unique et c’est ce que proposent les élus du congrès à la population, puis peut-être ensuite au gouvernement. Les élus guadeloupéens essayant de définir leur propre chemin en fonction des propres besoins de la Guadeloupe, ils ont choisi (pour la plupart) de faire preuve d’audace et d’initiative politique concernant le contenu de la demande d’octroi de compétences normatives, ce qui est tout à leur honneur.

Le constat que l’on peut tirer en tout cas c’est qu’aucune expérience d’évolution institutionnelle n’a entraîné pleurs et grincements de dents et désir de retour en arrière dans les territoires de l’Hexagone ou d’Outre-mer qui l’ont choisi. Bien au contraire.

Un projet de loi a-t-il été présenté lors du précédent congrès ?

Didier Destouches : Non. Ce sera peut-être le cas cette fois mais je pense qu’il s’agira surtout de grandes orientations en matière de pouvoirs et de compétences de la future assemblée unique.

Quelles sont les grandes lignes et les mesures phares d’un tel projet de loi ?

Didier Destouches : Les mesures phares seront une grande avancée identitaire avec la mise en place d’une procédure d’adoption d’emblèmes régionaux (drapeau, devise et hymne guadeloupéen) et surtout des demandes d’exercice local et direct d’un pouvoir normatif dans le cadre de la différenciation et de la décentralisation, dans de nombreux domaines d’action de l’État et la mise en place d’une nouvelle et unique collectivité majeure fusionnant les compétences de la Région et du Département, et une grande partie des élus et de leur personnel.

Ces résolutions à venir seront intégrées dans un projet de consultation de la population, puis en cas de validation par elle, proposées au président de la République pour une modification de la Constitution par un projet de loi organique consacré à la Guadeloupe. C’est une évolution historique de la politique en Guadeloupe allant dans le sens de la responsabilisation des élus et la reconnaissance d’une certaine forme d’autonomie politique mais qui reste liée au choix décisif de la population guadeloupéenne.

Poster un commentaire