Parmi les participants, parmi lesquels Mathilde Panot (3e L), présidente du groupe parlementaire de l'Assemblée nationale (LFI), participe à une manifestation pour "vérité et réparation" en faveur des victimes du chlordécone dans l'archipel des Antilles, place de la Nation à Paris, le 28 octobre 2023

Une manifestation « pour la justice et les réparations dans le scandale du chlordécone » a réuni 150 personnes, selon la préfecture, samedi 28 octobre au kiosque de la Place de la Nation à Paris. Simultanément en Martinique ils étaient 700 manifestants à Fort-de-France, selon la police, et 2 000 selon les organisateurs. Tous sont venus dénoncer les ravages de ce pesticide utilisé dans les bananeraies et qui, trois décennies après la fin de son utilisation en Guadeloupe et Martinique, continue à y polluer les sols et l’eau.

« Chlordécone partout. Justice nulle part » ou encore « Chlordécone. Respect, réparation, vérité, justice pour les victimes. Non au non-lieu » pouvait-on lire sur les pancartes parisiennes. « Chlordécone. Nous exigeons justice ! Pour nos mort·es. Malades actuel·les ! Et à venir ! Terres empoisonnées ! Jistis !!!  » pouvait-on lire dans le cortège foyalais.

Plus de 90 % de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France. Aujourd’hui le cancer de la prostate est la première cause de mortalité chez les hommes en Guadeloupe et en Martinique. En 2019 une étude publiée dans la revue scientifique Journal of clinical oncology, attribuait à la Martinique le record du monde de cancers de la prostate.

« Le véritable enjeu c’est que l’État reconnaisse sa responsabilité dans cet écocide et ce génocide, puisque ça a attaqué les gènes des Antillais« , a déclaré à Paris Théo Lubin, président de l’association mémorielle Comité d’organisation du 10 mai (en référence à la journée des abolitions de l’esclavage dans les Caraïbes et l’océan indien).

« L’État doit prendre ses responsabilités« , insiste pour sa part Mathilde Panot, présidente du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale et présente au rassemblement parisien. « En Martinique, les organisations demandent une loi cadre pour à la fois réparer et dépolluer les sols et faire en sorte qu’il y ait des indemnisations. Donc nous sommes là tout d’abord en soutien« , a-t-elle indiqué.

La manifestation en Martinique « est la conclusion provisoire d’une semaine de mobilisation« , a de son côté déclaré à l’AFP Philippe Pierre-Charles, syndicaliste et co-organisateur de la « simen matinik doubout – gaoulé kont chlordécone » (semaine de la Martinique debout – révolte contre le chlordécone). « Nous sommes dans une démarche d’internationalisation de la lutte avec à terme la création d’un tribunal citoyen international« , ajoute-t-il.

Présent dans le cortège, le secrétaire national du Parti communiste français Fabien Roussel, a proposé la mise en place d’un établissement indépendant pour indemniser les victimes du chlordécone. « Une indemnisation pourrait être financée par un prélèvement de 1 % sur le chiffre d’affaires des entreprises responsables de l’empoisonnement« , a-t-il avancé.

Également venu en Martinique pour manifester sa solidarité, l’ancien candidat à la présidentielle du Nouveau Parti anticapitaliste Olivier Besancenot a estimé « important d’être physiquement présent« .

La mobilisation citoyenne ne faiblit pas malgré la décision de ne pas envoyer l’affaire devant la justice, décision rendue le 2 janvier 2023 par deux juges d’instruction du pôle santé publique et environnement du tribunal judiciaire de Paris. Les magistrates ont signé une ordonnance de non-lieu à la suite des dépôts de plainte qui remontaient à 2006, puis l’ouverture d’une information judiciaire en 2008.

Harry Durimel, le maire écologiste de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, avocat de la première heure des victimes du chlordécone, à l’écoute de cette décision de première instance, avait tout de suite annoncé à France info son intention de faire appel de cette décision. « Si la Cour d’appel ne nous donne pas raison, nous ferons un pourvoi en cassation. Nous sommes déterminés à aller jusqu’à la Cour de cassation et à la Cour européenne de justice pour que justice nous soit rendue« , avait-t-il déclaré.

Dans leur décision rendue sous la forme d’un document de 300 pages dont l’intégralité a été publiée sur le site Mediapart, les magistrates invoquent l’absence de preuve pénale pour des faits pouvant remonter à plus de quarante ans. Elles affirment que « l’état des connaissances techniques ou scientifiques au début des années 1990, ne permettait pas d’établir le lien de causalité certain exigé par le droit pénal entre le pesticide et les atteintes à la santé des ouvriers agricoles ».

Luc Multinger, épidémiologiste et directeur de recherche à l’Inserm, a commenté auprès du HuffPost : « Certes à l’époque, le lien de causalité n’était pas établi mais on n’a pas tenu compte de l’alarme de l’OMS. Pour moi, la responsabilité est celle de l’État, puisque ce sont ses services qui en 1981 ont autorisé le chlordécone, alors qu’il n’aurait pas dû l’être.« 

Dans le sillage de la décision de janvier, la journaliste Anne-Laure Barral membre de la cellule d’investigation de radio France avait révélé le 21 avril que le risque de cancer lié au chlordécone, était connu des experts dès 1981. Elle a recueilli le témoignage d’Isabelle Plaisant, ancienne membre de cette commission : « Le président de la commission le professeur René Thuraut est venu nous voir pour nous alerter sur le fait que l’OMS venait de classer le chlordécone comme cancérigène possible pour l’homme« . Selon Christophe Leguevaques avocat de certaines parties civiles interrogées par Anne-Laure Barral, ces révélations devraient permettre de rebondir et de compléter les arguments contre la prescription. L’avocat soulignait au surplus qu’« on interdit le chlordécone en 1990 mais on ne vérifie pas sa présence dans l’eau. L’eau qui circule dans les tuyaux de distribution va se recontaminer en chlordécone puisque les tuyaux sont contaminés depuis 40 ans. Ce n’est qu’en 2001 qu’on appliquera une politique active de décontamination de l’eau ».

Ce 28 octobre, kiosque de la place de la Nation à Paris, en attendant la décision de la cour d’appel de Paris, les manifestants dénoncent au nom des victimes du chlordécone, la « justice coloniale » et le « mépris de l’État ».

Le communiqué d’appel à manifester à Paris et Fort de France le 28 octobre 2023

Chlordecone-Communique_appel_unitaire_28.10.23

L’intégralité de l’ordonnance de non-lieu rendue le 2 janvier 2023 par les magistrats du tribunal judiciaire de Paris, publiée par Médiapart

Mediapart-onl-2janvier2023-chlordecone


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