En 2009, les milieux politiques, syndicaux et économiques placent la Guadeloupe au bord du gouffre. Pourquoi ? Quatre ans après, l'heure du bilan.

Le Gouvernent rêvait de nous fourguer l’article 74

L’économie française est chancelante. L’État est endetté. Dans le même temps la Guadeloupe s’embrase. Le LKP mobilise sur le thème de la pwofitasyon. L’occasion est belle pour tout le monde d’essayer de tirer les marrons du feu. Quatre ans déjà !

En 2009, les milieux politiques, syndicaux et économiques placent la Guadeloupe au bord du gouffre. Pourquoi ? Quatre ans après, l'heure du bilan.
En 2009, les milieux politiques, syndicaux et économiques placent la Guadeloupe au bord du gouffre. Pourquoi ? Quatre ans après, l’heure du bilan.

Juillet 2008. Le thème de la vie chère est dans toutes les têtes. La hausse régulière du carburant engendre la grogne. Décembre 2008, autour de l’UGTG le LKP se met en place. Dans le gouvernement on n’ignore rien de ce qui se prépare. Le gouvernement rêve de fourguer à ces contrées coûteuses un nouveau statut. L’adoption de l’article 74 serait l’idéal. Pour aller vite ce serait une excellente façon de maintenir la présence française en Guadeloupe en dépensant moins. Le Premier ministre était d’ailleurs venu dès les premiers mois de son mandat dire crûment que la France n’avait pas d’argent et que la Guadeloupe devrait pourvoir à ses besoins. Parallèlement, l’IFRAP, think tank à tendance archi libérale, produit régulièrement des études pour démontrer en substance que les DOM coûtent cher à la France. Au sein du gouvernement, il sera dès lors martelé le concept de développement endogène. Marie-Luce Penchard devenu ministre des DOM entonnera plus tard le même refrain. Toutefois, le passage de son prédécesseur Yves Jégo en Guadeloupe en pleine crise LKP sera encore plus éclairant sur les motivations du gouvernement. Le ministre fera mine à plusieurs reprises d’épouser les thèses du LKP. Allant jusqu’à prendre à son compte le concept de pwofitasyon. Ainsi il y aurait trop de blancs dans les administrations. Dans le même temps, Canal + diffuse comme par hasard un documentaire sur les privilèges des békés de la Martinique. De quoi garder en ébullition une population assoiffée de justice sociale. Pourtant, la révolution n’aura pas lieu. On organise alors à toute vitesse les états généraux des DOM. Nicolas Sarkozy vient en grande pompe dire à Petit-Bourg, que la Guadeloupe est française et le restera. Mais on tend quand même une dernière perche vers l’évolution du statut. Sait-on jamais ? La Guyane et la Martinique éviteront l’article 74. Entre-temps, l’alternance a emmené les socialistes au pouvoir. Et la Guadeloupe ne sait toujours pas à quel saint se vouer.

 

Intérêts convergents

Lucette Michaux-Chevry, élue de droite, en faveur d'une évolution statutaire de la Guadeloupe
Lucette Michaux-Chevry, élue de droite, en faveur d’une évolution statutaire de la Guadeloupe

Les intérêts de la droite locale, au moins une bonne frange animée par Lucette Michaux-Chevry qui aurait vu avec bonheur la chute de Victorin Lurel et qui de toute manière accueillait favorablement l’idée de l’évolution statutaire, ceux du gouvernement français de l’époque qui entendaient aller dans le même sens par souci d’économie et ceux de l’UGTG qui a toujours affiché clairement son ambition de libérer la Guadeloupe du joug colonial, ont convergé. Toutes ces forces ont joué la même partition : celle du chaos.

 

Un grain de sable nommé Lurel

On est dimanche. Le soleil inonde la Guadeloupe. Le LKP continue à mobiliser, quoique l’ardeur des premiers jours soit quelque peu retombée. Yves Jégo enfermé à la préfecture à Basse-Terre reçoit, auditionne ou consulte tout ce que la Guadeloupe compte de personnalités influentes. Le ministre leur tient en substance le même discours : « Lurel est mort. Il faut avancer maintenant« . Il s’agit bien sûr d’une mort politique. Parce que le président du conseil régional fait de la résistance et se refuse à toute évolution statutaire. Aujourd’hui les choses n’ont guère changé. Victorin Lurel est toujours contre un changement de statut pour la Guadeloupe. Cependant, il n’est pas mort politiquement. Entre-temps il est devenu ministre.

 

L’attitude ambiguë de la droite

Perte de crédibilité de la droite auprès de l'opinion
Perte de crédibilité de la droite auprès de l’opinion

En plein chaos, le conseil général est envahi par le LKP aucune voix à droite ne s’élève pour condamner. Pour être tout à fait juste, pas grand monde non plus. La Guadeloupe entière ou presque vire LKP. Davantage par couardise que par conviction. Quelques jours plus tôt, Lucette Michaux-Chevry déclarait :  » fo on bon dézod pou rétabli on lod  » Éloquent ! Les mauvaises langues affirment même qu’à l’époque, la mairesse de Basse-Terre chuchote à l’oreille de l’Élysée. Jusqu’à quel point ? Difficile à dire. Toujours est-il que par calcul politique, la droite renonce à toutes ses valeurs basées sur l’ordre, la liberté de travail et d’entreprendre, le respect des principes républicains. Un an plus tard Victorin Lurel se fait élire dans un fauteuil avec une grande partie de l’électorat d’une droite alors orpheline. Aujourd’hui encore cette famille politique peine à être crédible auprès de l’opinion.

 

Le LKP rate le coche

Parce qu’il a fallu négocier pied à pied avec le patronat pour obtenir 200 euros de plus sur les bas salaires, les organisations syndicales ont pris une place prépondérante dans les médias. Toutefois, elles n’ont pas su tirer profit de ce bond en avant.

Certains Guadeloupéens manifestent pour perdre leur emploi
Certains Guadeloupéens manifestent pour perdre leur emploi

Jamais, de mémoire de Guadeloupéen, un mouvement n’avait réussi l’exploit de réunir sous la même bannière autant de personnes sur une durée aussi étendue. Le LKP, né de l’alliance de mouvements associatifs, politiques et syndicaux, jouant sur une inégalité des conditions de vie entre les différentes couches de la population, a créé une mobilisation qui a fait rêver la plupart de syndicats français. Pourtant, avec le recul, les lendemains sont quelque peu amers. »Les syndicats ont eu une véritable dynamique unitaire. Le triomphe a été qu’ils ont réussi à rendre populaire l’ensemble de leurs revendications  » explique le philosophe Jacky Dahomay. Les erreurs ont été nombreuses. « Il y a un primat de l’intérêt catégoriel aux dépens de l’intérêt général. Ils ont milité uniquement pour les avantages sociaux des salariés et n’ont pas compris l’intérêt d’une vision plus globale en étant une force de proposition » estime Rosan Mounien ancien négociateur du mouvement. L’erreur majeure est d’avoir mis tous les patrons dans le même sac, créant un manichéisme malsain dans le débat entre les « eux » et « nous ». « Il fallait faire une distinction plus nette entre les grandes entreprises et les petites. La revendication des 200 euros affaiblissait les petits patrons plutôt que les gros« . Au final une série de petites structures ont fermé faisant exploser la courbe du chômage. Certains Guadeloupéens ont donc manifesté pour perdre leur emploi. En bref, le réveil fut aussi brutal que le rêve était grand.

 

Le LKP marchait sur des œufs, et les a cassés

Au moment où le mouvement éclate, l’économie connaît une légère croissance, même si le problème du chômage pose encore problème.

Elie Domota, leader du LKP
Elie Domota, leader du LKP

Le timing était à la fois excellent sur le plan local et déplorable sur le plan national et mondial. En janvier 2009, quand la mobilisation prend de l’ampleur, en France et en Europe on se bat déjà pour contrecarrer les effets dévastateurs de la crise des subprimes. La Guadeloupe qui se croit loin de ces bouleversements va s’en rapprocher brusquement. « Telles qu’elles étaient présentées en 2009 les revendications ne présentaient aucun danger d’ordre économique« , estime Rosan Mounien. Sur le plan économique, durant ces 44 jours, on pouvait presque entendre l’argent s’envoler des caisses des TPE-PME de Guadeloupe. L’alliance de deux facteurs aura été fatale : la longueur du blocage économique des entreprises et la nature des entreprises signataires des accords Bino. Il était, pour certaines complètement irréalisable à la reprise et au vu des pertes, d’accorder des hausses salariales. D’autres ont réussi à tenir leurs promesses, mais à quel prix ? Le chômage eut une hausse historique de 23,8 %. L’un des facteurs déterminants de l’arrivée subite de la crise économique en Guadeloupe. Les choses ne se calmeront qu’en 2011, où le chômage atteint 22,6 % contre 24,2 % en 2010. Les investisseurs resteront frileux toute l’année 2010 craignant une autre flambée sociale. Aussi, non seulement les entreprises ont perdu de l’argent mais elles ont eu du mal à attirer les capitaux. Le pays ne pouvait même pas compter sur le tourisme. Les émeutes et les grèves ont repoussé les touristes qui eux aussi ne sont revenus qu’en 2011. Si on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, l’omelette dégustée par les Guadeloupéens était truffée de coquilles.

 

 

 

 

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