« On nous traite comme si notre vie valait moins ». Le chanteur de dancehall Keros-n a donné voix au ras-le-bol d’une population fatiguée de compter les coupures d’eau, les sols empoisonnés au chlordécone et les prix abusifs sur des produits alimentaires volontairement surdosés en sucre. Il a résumé d’une phrase le sentiment d’abandon qui ronge l’archipel.
Face à lui, la procureure de la République de Pointe-à-Pitre Caroline Calbo a voulu incarner une justice à l’écoute, qui reconnaît les dysfonctionnements, tout en rappelant les limites de son mandat : « Notre rôle est d’appliquer la loi, pas de réparer toutes les injustices historiques. »
Un dialogue de sourds ? Pas tout à fait. Plutôt le reflet d’un mal bien plus profond. Hier, mercredi 9 avril, la faculté de droit de l’Université des Antilles a organisé un débat intitulé « La citoyenneté aux Antilles » à Fouillole dans l’amphithéâtre Mérault, rempli au trois-quart. Ce débat a mis en lumière une réalité aussi douloureuse que complexe : en Guadeloupe, la citoyenneté se vit comme une promesse trahie.
« On ne demande pas la charité »
Derrière les polémiques sur l’eau ou les pesticides, c’est toute la relation entre la Guadeloupe et l’État qui est en jeu. Comment croire en une République égalitaire quand, jour après jour, les inégalités rappellent que l’égalité proclamée reste théorique ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : chômage endémique, infrastructures défaillantes, scandales sanitaires étouffés.
Mais au-delà des statistiques, c’est le quotidien des Guadeloupéens qui sonne comme une accusation. « Quand la Bac charge une manifestation pacifique, ou quand on apprend que seulement cinq agriculteurs seront indemnisés pour le chlordécone, c’est toute notre place dans la Nation qui est remise en question » tonne un étudiant dans l’assistance. Une intervention d’autant plus piquante qu’elle a jailli en présence du commandant du raid qui figure dans l’assistance. La procureure tente de répondre. Elle évoque des progrès et des contraintes budgétaires, mais les regards dubitatifs dans la salle en disent long sur le fossé à combler.

Ce débat a aussi révélé une lueur d’espoir. Car si les tensions sont vives, personne ne renonce à l’idée d’une citoyenneté retrouvée. Keros-n, tout en dénonçant les violences policières, refuse de tout réduire à la victimisation : « Notre histoire compte, mais ce n’est pas une excuse pour ne pas avancer. » Une nuance qui ouvre la porte à des solutions concrètes.
La question de l’autonomie, par exemple, revient comme un leitmotiv. Non pas comme une rupture radicale, mais comme une manière de reprendre en main un destin trop longtemps dicté depuis Paris. « On ne veut pas se séparer de la France, mais cesser d’être sa variable d’ajustement », résume une voix d’étudiante dans le public.
Reste que pour y parvenir, un préalable s’impose : restaurer la confiance. Et pour l’artiste-débatteur cela passe par une justice plus proche, plus diverse, mieux adaptée aux réalités locales. « Comment voulez-vous qu’on croie en des institutions où personne ne nous ressemble ? », interroge Keros-n. Caroline Calbo, habituée aux argumentaires juridiques, concède ce point : « La diversité dans nos rangs est insuffisante, c’est vrai. » Un aveu qui montre que le dialogue, même difficile, fait bouger les lignes.
Ce débat a révélé des étudiants en pleine introspection, tiraillés entre colère et espoir. La route vers une citoyenneté apaisée apparaît longue, semée de réformes complexes et de concessions mutuelles. Mais une chose est sûre : nombreux sont ceux qui ne se contenteront plus de survivre. Et veulent enfin exister. « On ne demande pas la charité, juste le respect », lance Keros-n en quittant l’estrade.
Poster un commentaire