COMME A LA TELE
On croirait le scénario d’un film. Mais la fin s’est révélée tragique pour ses acteurs principaux.
Tout commence en mai 2014, lorsque Cyrielle Francillette, après avoir été figurante dans la série » Meurtre au paradis « , se fait embaucher comme » nounou » par le comptable de la production, Daniel Palmer, pour son fils Luke âgé de 9 ans. En fait de nounou, elle est plutôt jeune fille au pair, car elle partage les repas de la famille et dort tous les soirs de la semaine dans leur villa cossue de Deshaies, à deux pas de l’hôtel Fort Royal. Au premier abord, la jeune fille a toutes les qualifications que recherchent Daniel Palmer et sa femme, Georgette Gray. Ayant vécu à Saint-Martin, elle est parfaitement bilingue et semble sérieuse. Comme pour son travail de figurante, Cyrielle Francillette est employée au noir, payée chaque semaine en liquide entre 300 et 400 euros.
Le week-end, elle retourne aux Abymes avec son compagnon, Freddy Gussie. Il a de gros problèmes financiers qui le stressent énormément. Les soirées qu’il organise ne lui rapportent pas assez d’argent pour rentabiliser. Il est endetté. Et le cancer de sa mère n’arrange rien. La restauratrice ambulante ne pouvant plus travailler, Freddy fait de son mieux pour régler les dettes qu’elle contracte. Au cours de ce que Cyrielle qualifiera de « conversations de couple « , elle lui fait part des étranges habitudes de Daniel Palmer. Chaque semaine, celui-ci part récupérer à la Bred de Jarry 30 000 euros en liquide, en billets de 50 euros, pour les besoins de la production comme les repas des équipes ou la rémunération des figurants. Il place toujours cette somme dans un sac à dos. Et souvent, ce jour coïncide avec le moment où il fait les courses de la semaine avec sa femme au Carrefour de Destreland.
Episode 1. Comment rafler le magot ?
Qui des deux aura l’idée de voler cet argent en premier ? Difficile à dire… Chacun des deux se renvoie la balle. Toujours est-il que, peu à peu, le plan est échafaudé. Selon Freddy Gussie, le scénario de départ voulait que Cyrielle réussisse à dérober le sac rempli de billets sans que ses patrons s’en aperçoivent immédiatement. Car le comptable et sa femme, qui est aussi son assistante, ont pris leurs aises avec cet argent. Alors qu’ils sont censés le déposer directement dans le coffre-fort des bureaux de la société Sky Prod – responsable du tournage de la série – ils ont pris la drôle d’habitude de le laisser dans le coffre de leur voiture lorsqu’ils vont ensuite faire leurs courses. Lorsqu’ils achètent des produits frais, ils passent d’abord à leur domicile pour déposer leurs emplettes avant de se diriger vers les bureaux de la production, dans le bourg de Deshaies. Cyrielle se transforme en informatrice pour son compagnon et l’abreuve continuellement des faits et gestes des Palmer. C’est facile : ils ont une telle confiance en elle qu’ils parlent de l’argent librement devant elle. Freddy Gussie prépare minutieusement le plan. Il prend plusieurs fois le couple en filature, effectue des repérages devant la banque et au supermarché. Avec ces informations, Cyrielle et Freddy décident alors qu’il faut arracher le sac de billets des mains de Daniel Palmer lorsqu’il arrive à son domicile, et prendre la fuite.
Épisode 2. Le complice et l’échec
Mais même si Freddy a les idées d’un braqueur, il n’en a pas l’étoffe. Lui, jeune notable de Guadeloupe ayant fait des études, avec des rêves plein la tête, ne se sent pas le courage d’effectuer un acte aussi vil. Il décide alors de recourir à une petite main. Ce sera son ami d’enfance, Gregory Pigeonneau. Gregory et lui étaient au collège ensemble, et il habite au même endroit que la mère de Freddy, la cité Chanzy, à Pointe-à-Pitre. Gussie prévient deux semaines à l’avance son ami, et lui parle d’un moyen facile de se faire de l’argent sans évoquer la somme globale. Les deux hommes se rencontrent sur le parking de Destreland le 1er juillet 2014, et Freddy le met au courant de son projet. Il lui montre la voiture des époux Palmer, alors en train de faire leurs courses. Pigeonneau accepte. Le braquage aura lieu le jour même. Sur le prétexte d’un renseignement, il doit approcher Daniel Palmer et s’emparer du sac contenant les 30 000 euros, avant de prendre la fuite. Freddy Gussie doit, quant à lui, l’attendre au volant de son véhicule pour le récupérer. Mais tout ne se passe pas comme prévu… Le comptable est coriace et Pigeonneau, bien peu préparé. Chaussé de sandales, lorsqu’il tente de s’enfuir avec le sac, il trébuche. Daniel Palmer en profite pour l’immobiliser au sol et récupérer le sac. Pigeonneau rejoint Freddy Gussie, bredouille. Sur le chemin du retour, Gussie pique une colère. Bon sang, c’était pourtant du tout cuit, cette affaire ! Mais ils sont tenaces et décident de retenter le coup, plus tard.
Épisode 3. Cette fois c’est la bonne
Avec Cyrielle, Freddy Gussie décide qu’il leur faudra une personne supplémentaire et une arme, afin de couper toute velléité de résistance de l’époux Palmer. Pigeonneau met alors dans la combine son voisin, Jordan Seaman, braqueur récidiviste de 20 ans. Les trois hommes préparent le coup. Et Seaman confirme qu’il fournira l’arme. Freddy Gussie insiste plusieurs fois : elle doit être factice, ou non chargée. Personne ne doit être blessé, sous aucun prétexte. Les deux autres approuvent. Puis ils se séparent et attendent le feu vert de Cyrielle. Pendant ce temps, Freddy continue ses filatures et repérages. Quelques jours avant le braquage, une réunion des comploteurs est organisée dans la villa des Palmer. Ceux-ci sont absents à l’occasion d’un séminaire. Mais Gussie bafouille, a du mal à exprimer ses idées. Du coup, Cyrielle prend le relais, et distribue les rôles de chacun.
Le soir du 2 septembre, Cyrielle Francillette constate que ses patrons sont en train de dresser une longue liste de courses. Et avec des produits frais ! Ça y est, c’est le moment. Freddy Gussie prévient ses complices et loue une voiture pour l’occasion. Le 3 septembre, il la leur confie leur intime de l’attendre sur une plage de Deshaies. Puis part attendre le couple devant la banque. Il les repère et les prend en filature à leur sortie. Mais les perd en route… Il en informe Cyrielle, qui appelle les époux Palmer pour connaître leur position, prétextant leur demander l’autorisation d’emmener le petit Luke à la plage. La jeune fille obtient le renseignement qu’elle voulait, et le communique à son compagnon.
Épisode 4. Le méfait
Du coup, Freddy Gussie repère la voiture des comptables sur le parking de Destreland. Il attend leur sortie du centre pour rejoindre ses complices à Deshaies. Ceux-ci trompent l’ennui en fumant un joint sur la plage. Là, ils s’équipent : vêtements noirs, gants, cagoules… Et, bien sûr, l’arme de Seaman, un pistolet chromé. Direction de la villa des Palmer. Ils se positionnent. Grâce à Cyrielle qui lui a ouvert la porte, Pigeonneau est planqué à l’intérieur, dans les fourrés. Les deux autres non loin de la villa, dans la voiture. L’attente dure plus d’une heure. Dans les herbes, Pigeonneau sue à grosses gouttes. Pendant ce temps, Cyrielle tente de convaincre le petit Luke de se rendre à la plage. Mais celui-ci refuse. Elle insiste. Elle sait qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps avant l’arrivée des époux. Elle règle le problème en prétextant aller dans une station-service. Lorsqu’elle sort de la villa, la voiture louée par Gussie est déjà stationnée à proximité, avec lui et Seaman à l’intérieur. Luke la remarquera.
Enfin, la voiture des Palmer arrive. Nouvel accroc au plan. Georgette Gray aura le temps d’ouvrir le portail pour faire rentrer le véhicule conduit par son mari et de le refermer avant que Pigeonneau ne puisse intervenir. Celui-ci resté caché pense que le coup est avorté. Faux. Ses complices escaladent le portail et rejoignent Daniel Palmer au pas de course. Pour se rattraper, il se précipite sur le portail pour l’ouvrir et faciliter leur fuite. À côté, Palmer se défend… jusqu’à ce qu’il voie l’arme tenue par Seaman. Il capitule. Gussie récupère le sac dans la voiture sans vérifier son contenu, et les trois complices prennent la fuite dans la voiture de location dont le moteur tournait toujours.
Dénouement
Victorieux, les trois hommes retournent à la plage et se séparent, pour se rejoindre à la cité Chanzy, où Freddy Gussie a déjà compté l’argent. Il ment à ses complices, leur disant que le sac ne contenait que 10 000 euros, et leur distribue à chacun 2 500 euros. Les 25 000 restants, il se les partagera avec Cyrielle. Ce n’est que bien plus tard, lors de l’interpellation du couple infernal à leur domicile, le 2 mars 2015 et des gardes à vue qui ont suivi, que les deux complices découvriront qu’ils ont été floués. Les enquêteurs n’ont pas eu à les chercher bien loin, ils étaient déjà incarcérés pour d’autres affaires. Celle-ci ne fera que prolonger leurs condamnations.
REPORTAGE
Un couple infernal sur le banc des accusés
L’audience de correctionnelle, qui a duré six heures, a tenu en haleine une salle comble.
Mardi 24 mars dernier, la salle d’audience du tribunal d’instance de Basse-Terre était comble. Dans le public venu assister à l’audience, beaucoup de jeunes, tous plus ou moins liés à l’équipe Best Black Music, ou BBM, du nom des fameuses soirées organisées par Freddy Gussie et sa compagne, Cyrielle Francillette. C’est le couple infernal, cerveau du fameux » braquage à 30 000 euros « . À leurs côtés sur le banc des accusés leurs complices, les » petites mains » de l’affaire, Gregory Pigeonneau et Jordan Seaman. Tous sont accusés d’avoir dérobé, armés d’un pistolet, le sac rempli d’argent liquide des comptables de la société de production Red Planet, venue tourner à Deshaies la série britannique Meurtres au paradis.
L’audience a tenu en haleine le public pendant plus de six heures, dans une chaleur étouffante, et a été ponctuée de bons mots. La présidente, le procureur, les avocats, chacun y est allé de sa petite comparaison entre le braquage et la série policière qui a servi de toile de fond à l’histoire. « Les comptables ont cru venir tourner Meurtres au paradis, mais ils se sont retrouvés dans Braquage en enfer ! « , a asséné le substitut Lubbi, fier de son effet. Quant à maître Linon, avocate, elle a déclenché les rires de la salle lors de sa plaidoirie en expliquant que son client, » Monsieur Pigeonneau, porte bien son nom, car il s’est fait pigeonner « . Pigeonneau et Seaman ont en effet été floués par Gussie, qui leur a fait croire que leur butin se limitait à 10 000 euros et ne leur a distribué que 2 500 euros à chacun. Cet épisode n’a pas empêché Seaman de tcheker discrètement Gussie dans le box des prévenus, poing contre poing, en signe de solidarité.
L’amour en étendard
L’audience s’est en grande partie concentrée sur les deux instigateurs du braquage. En premier lieu, Freddy Gussie, mais aussi Cyrielle Francillette, informatrice du commando depuis l’intérieur. Selon les différentes versions des prévenus, elle aurait tout organisé et distribué les rôles. À sa manière le procureur les validera. » Vous êtes le seul élément indispensable de ce braquage, Mademoiselle Francillette ! Sans vous, il n’y a pas de dossier ! « , a-t-il clamé pendant son réquisitoire. Pour le couple, c’est l’amour qui explique tout… ainsi que les lourdes dettes contractées par Freddy Gussie. Un amour qui n’aura pas résisté à la détention provisoire du côté Cyrielle. Celle-ci n’était d’ailleurs entourée que de sa famille pendant les quelques pauses de l’audience, avec qui elle pleurait à chaudes larmes. Par contre, le défilé des amis était permanent auprès de Gussie, imperturbable. Les deux sont restés droits comme des piquets pendant l’audience, ne bougeant que très peu, répondaient à voix très basse. Seuls les tremblements de Cyrielle Francillette trahissaient sa nervosité et sa gêne. Et ils ont redoublé lorsqu’a été révélé que l’argent du braquage avait servi, entre autres, à lui payer une liposuccion en République Dominicaine. » L’argent vous fascine, Mademoiselle Francillette ! Ce qui vous a intéressé, c’est l’appât du gain ! « , lui balance la présidente.
Prison pour tous
L’intéressée dément, évoque les menaces de mort de l’ancien associé de Freddy Gussie qui demandait le remboursement de sa part dans les affaires de ce dernier. Son stress face à ces dettes, qui l’avait même amené à la violenter plusieurs fois. Bref, elle n’avait qu’un souhait. Retrouver la tranquillité d’avant tous ces problèmes. En fait, tous les deux voulaient juste se rendre heureux mutuellement. Visiblement, le braquage n’était pas la meilleure façon d’y arriver. Tous les prévenus ont été reconnus coupables. Freddy Gussie et Cyrielle Francillette ont été condamnés à quatre ans de prison, avec un an de sursis. Gregory Pigeonneau et Jordan Seaman ont été respectivement condamnés à 18 mois et deux ans de détention.
ILLUSION PERDUES
Cette jeune Guadeloupe aux ambitions démesurées
L’histoire de Freddy Gussie et Cyrielle Francillette est symptomatique d’une certaine jeunesse aux larges ambitions et aux rêves brisés.
Nés dans des familles respectables, Freddy Gussie et Cyrielle Francillette ont toujours été populaires parmi les leurs. Avenants, le contact facile, ils se sont faits le long de leur scolarité un réseau solide d’amis. Tous issus de la même classe sociale. Ils sont vus très tôt comme des meneurs, des » populaires « . Une image qu’ils cultivent. Plus tard, ils sont de toutes les mondanités. En boîte, on les remarque, volontairement ou pas. Si leurs ambitions professionnelles sont réelles, le paraître, qu’ils en soient conscients ou pas, fait partie intégrante de leur vie. Il faut qu’ils soient à la pointe de la mode, ne parlent qu’en termes de « fresh » » Brand new » « brillant « . Alors on roule dans la BMW des parents qu’on exhibe, on se démène pour entrer dans les cercles avec les bonnes personnes disposant des bons noms de famille. Et quand comme Freddy Gussie, on se lance dans l’évènementiel, à la tête du concept de soirées Best Black Musik (BBM) avec une image urban chic, les choses prennent une ampleur démesurée. La réussite devient une obsession. L’échec une faiblesse, voire une menace pour le statut qu’on a si durement obtenu.
Quand le vernis se fissure
Freddy Gussie se présentait comme un jeune homme avec la tête sur les épaules, conscient de là d’où il venait. Mais derrière l’image de l’homme populaire, il y a la réalité. Bénéficiaire du RSA, il peine à rentabiliser le concept des BBM. Du coup, difficile de lancer la marque de vêtements, prochaine étape de l’entreprise. Sa compagne, et son associée en affaire, Cyrielle Francillette passe par les mêmes affres, elle fait quelques figurations dans des productions locales et sur le plateau de la série britannique tournée à Deshaies « Meurtres au Paradis « , quelques photos sur des flyers, mais comme il faut bien survivre, elle est nounou et multiplie les jobs. La dure réalité n’empêche pas au couple de nourrir de grands rêves, que le succès de BBM, a aidé à nourrir sans leur donner les moyens de les réaliser. Criblés de dettes, le couple ne peut continuer à financer ni ses ambitions, ni son image de réussite. Une idée. Un braquage à 30 000 euros pour passer un coup de mastic sur leur réputation histoire d’en effacer les fissures et publier une photo Instragram du concert de Beyoncé à Paris. À l’arrivée, 4 ans de prison et une multitude d’illusions perdues.
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