Les abords du siège du syndicat de l’eau de la Guadeloupe (SIAEAG), chaussée de la RN4 comprise, ont été envahis par des manifestants le 4 juin. « Trop longtemps que dure » la crise de l’eau. Usagers, élus, salariés sont entre inquiétude et révolte.
« L’eau c’est vital. Couper c’est illégal » Ils sont une quarantaine, femmes, hommes, enfants à brandir leurs slogans ce samedi 4 juin à 11 heures aux abords du siège du syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG). Ils viennent de Sainte-Anne, Saint-François, Petit-Bourg, Gosier. Ils sont venus protester contre les coupures d’eau. Les plus hardis n’hésitent pas à se regrouper au milieu de la chaussée de la RN4 provoquant ainsi un ralentissement de la circulation. Certains ont même tenté d’entrer dans les locaux du SIAEAG afin d’interférer sur les négociations. » Nous avons spontanément décidé de venir manifester notre colère. Nous nous sommes passé le mot sur internet. Certains d’entre nous, n’avons pas d’eau depuis trois jours » déplore Dorothée. Les contestataires expliquent qu’ils ont d’abord organisé une chaîne de solidarité pour venir en aide aux abonnés privés d’eau et puis, ce samedi, ils sont passés à l’action : « Nous en avons eu marre. La solidarité d’accord. Maintenant nous voulons aller plus loin et être entendus. Trop longtemps que cela dure » poursuit une grande blonde qui agite une main en faisant de brefs et rapides allers-retours de la rue au bord de route. La dame refuse de dire son nom. Elle a un bébé accroché à son flanc.
Une coupure aux » conséquences inimaginables «
Opérations, examens et analyses annulées au dernier moment, service d’urgence fermé, patients désorientés, personnel désemparé. À la clinique Les Eaux-Claires à Jarry, la coupure d’eau du 30 mai au 1er juin a eu de graves répercussions sanitaires, financières et psychologiques.
« C’est la première fois qu’on me coupe l’eau comme ça, sans prévenir, et aussi longtemps. » Henri Nagapin, directeur de la clinique Les Eaux-Claires à Jarry, n’avait jamais connu une situation aussi critique. » L’eau est un droit fondamental : dans un établissement de santé, les conséquences d’une coupure sont inimaginables. » L’eau a en effet été coupée, ou réduite à un mince filet, du lundi 30 mai à 13 heures, jusqu’au mercredi 1er juin matin. Le plus stressant, pour le personnel et les patients, a été l’incertitude sur le retour à une situation normale.
« Certains patients étaient déjà sur table » au moment de la première coupure, se souvient Virginie Chicheportiche, responsable des douze salles du bloc opératoire. Les chirurgiens et les infirmiers ont dû se laver les mains avec des bouteilles d’eau stérilisées, stockées en cas d’urgence, tout comme les patients sur tout le corps pour leur détersion avant l’opération. Un système de trempage dans des bacs a été mis en place dans les couloirs, pour éviter que le sang sèche sur le matériel souillé. La stérilisation du matériel chirurgical nécessite en effet beaucoup d’eau pour faire fonctionner les autoclaves. « Jusqu’à 19 h 30, les bacs se sont accumulés. L’eau est revenue à 20 heures, mais il n’y avait pas d’équipe de nuit pour le service de stérilisation. » Le personnel compétent est venu à 5 heures le lendemain matin, mais une nouvelle coupure est intervenue à 7 heures.
Des patients venus de Saint-Martin
Ce mardi 31 mai, sur les 95 opérations programmées, 23 interventions chirurgicales ont dû être annulées au dernier moment, sans pouvoir donner de nouvelles dates aux patients. Certains d’entre eux avaient fait le voyage depuis Saint-Martin… Le service d’urgence n’a pas pu fonctionner non plus, le laboratoire d’analyses médicales ne pouvant fonctionner sans eau. Les patients ont dû être réorientés vers le CHU de Pointe-à-Pitre. En ambulatoire, les examens de 45 patients ont aussi dû être annulés. » Il faut 40 litres d’eau pour laver un endoscope « , souligne le directeur de la clinique, qui rappelle que » les conséquences psychologiques pour le patient sont très néfastes, en cas de report d’une intervention ou d’une analyse. » Certains examens demandent une préparation, et c’est tout le parcours de soins qui se retrouve décalé en cas d’annulation au dernier moment, pour la convalescence par exemple.
350 000 euros de pertes
» En hôtellerie, la législation nous empêche d’avoir une ci- terne. Nous avons donc dû distribuer 1 200 bouteilles d’eau en moins de 24 heures, pour la boisson et la douche des patients, mais aussi pour faire la cuisine, ce qui a nécessité une grande logistique « , explique Henri Nagapin, qui rappelle que les conséquences sur l’hygiène des patients étaient encore plus préoccupantes pour ceux qui étaient alités. Il estime que son établissement a perdu 300 à 350 000 euros au cours de cet épisode, sans compter les répercussions indirectes avec le linge propre qui n’a pas été livré, le ménage qui n’a pas pu être fait, ou les opérations qui ont été reportées. Le personnel a dû faire des heures supplémentaires le mercredi 1er juin, pour récupérer la surcharge de deux jours en quelques heures, et trouver de la place dans les programmes déjà organisés. » Toute la journée de mardi, je me suis posé la question du transfert de tous les patients vers le CHU, mais il n’aurait de toute façon pas pu absorber le surplus « , constate Henri Nagapin, qui se félicite qu’une solution ait finalement été trouvée avec le directeur de la Générale des Eaux, le directeur de l’ARS et le secrétaire général de la préfecture, pour que l’eau revienne à la clinique mercredi matin.
Le SIAEAG renfloue ses caisses
Le syndicat intercommunal d’assainissement et d’alimentation en eau de la Guadeloupe (SIAEAG) peut continuer à fonctionner. 13,1 millions d’euros (M. €) ont été trouvés qui lui permettront d’avoir une trésorerie conséquente en 2016. De quoi satisfaire aux exigences des salariés transfuges de la Générale des Eaux qui avait déclenché la grève. Le syndicat pourra également mobiliser par le biais de la Caisse d’épargne Provence Alpes Corse, une ligne de crédit de 5 M €. À cette somme se joignent 600 000 euros, octroyés par l’État ainsi que des fonds FEDER. Le SIAEAG s’est engagé à augmenter le taux de recouvrement de ses créances. Tous ces chiffres ont été actés dans le protocole d’accord qui a été signé par le SIAEAG, la Région, Cap Excellence, la CASBT, la communauté d’agglomération du nord Grande-Terre, de la Riviera du Levant, l’État, et l’intersyndicale des salariés, lors de la réunion qui s’est tenue le 7 juin à la préfecture. Cette capacité financière retrouvée a permis au SIAEAG de mettre fin au conflit de l’eau. Les syndicats ont signé la fin de la grève. Le protocole d’accord consacre également les droits acquis des salariés transfuges de la Générale des Eaux. Les premiers transferts sont intervenus en mars 2016. La période de négociation de quinze mois prévue par la loi s’est trouvée échue au 1er juin 2016. Il n’est plus temps de négocier. Les salariés gardent leurs avantages et salaires acquis. La mesure a été étendue à tous les salariés issus de la Générale des Eaux.
Éric Jalton refuse la marche forcée vers la création d’un syndicat unique de l’eau
Le député-maire des Abymes, Éric Jalton, en est convaincu. Il l’a dit au Courrier de Guadeloupe : » Il y a de sérieux efforts de gestion à faire au Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe ! (SIAEAG) » Le président de la communauté d’agglomération Cap Excellence, qui représente 70 % du chiffre d’affaires du SIAEAG, a consacré beaucoup de ces derniers jours, à cette question et participé à plusieurs réunions. Il cite deux exemples : « Nous attendons toujours notre facture du premier trimestre 2016. Ce n’est pas rien, 2,9 millions d’euros ! » Et des communes sont en retard de paiement, » on ne l’a découvert qu’hier ! » Cap Excellence, principal contributeur au paiement du transfert des personnels, a rappelé qu’elle avait accepté pour cela une hausse du coût d’achat de l’eau de 29 %, soit 2,4 millions d’euros par an sur un total de 9,6 millions (contre 3 millions mis ponctuellement par le Département). Le principe d’un traitement unique des transferts de personnels, adopté, va » assainir » des situations trop disparates. Et l’État s’est engagé à aider le SIAEAG à faire face à ses obligations, pour 200 000 à 600 000 € en 2016. Pour l’avenir, plutôt que d’aller « à marche forcée » vers un syndicat unique, Éric Jalton rappelle que » le problème est celui du réseau, vétuste, avec 58 % de déperdition contre 30 % en moyenne nationale « . L’investissement nécessaire dépasse les 500 millions d’euros. « Il faut donc que l’État nous aide « . Mais pour cela, » il faut aussi gérer correctement ! « . C.Q.F.D.
La condamnation de la CASBT est confirmée
La cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre qui avait condamné la communauté d’agglomération de Basse-Terre (CASBT) à payer au SIAEAG l’eau qu’il avait fourni aux habitants de Capesterre Belle-Eau, Terre-de-eau et Terre-de-bas. Ces communes étaient sorties du SIAEAG au 1er janvier 2015 et avaient rejoint la CASBT. La condamnation a été ramenée de 3 464 368,72 euros à 3 400 131 euros. La cour a estimé que la fourniture d’eau ne pouvait être gratuite, même en absence d’un contrat.$
LUNDI 6 JUIN, les élus (Région, Département, agglomérations) avaient tenu à préparer à l’espace régional du Raizet, la négociation du lendemain en préfecture. Ils avaient convenu de trouver les moyens financiers indispensables à la survie du SIAEAG. Lucette Michaux-Chevry avait fait le déplacement.
UN ÉLU QUI A PARTICIPÉ aux négociations sur la grève de l’eau a confié au Courrier de Guadeloupe son inquiétude sur le volet réparation du réseau. Selon lui, l’État ne mettra pas la main à la poche tant que l’entente sur la mise en unique de gouvernance place d’une structure ne sera pas scellée. Il est formel : » L’État restera ferme sur sa décision « .
» APPELER À NE PAS PAYER L’EAU, ça n’est pas l’attitude responsable et digne qu’on attend d’une ancienne ministre ! « , dit-on au ministère des Outre-mer. » Si une commune veut créer un service public gratuit, c’est possible, ça existe (pour les premiers mètres cubes d’eau ou pour les plus bas revenus, ndlr), mais elle doit y contribuer. «
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