Le Mémorial acte à Pointe-à-Pitre a accueilli, devant un public clairsemé, la restitution des travaux du Forum jeune citoyen « Dèmen sé tan nou » ce vendredi 6 décembre sous la présidence de Laurence Maquiaba, présidente de la commission Génération numérique, nouvelle économie du Ceser. L’initiative a été menée sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) de Guadeloupe. Ce forum, tenu en octobre à l’Hôtel de Région à Basse-Terre, vise à redonner souffle à l’engagement politique et citoyen des jeunes de moins de 29 ans.
De nombreux partenaires ont été invités à la table du forum : l’association Alé Vini, L’Arthèque créée par Sandra Samuel-Leffet et Daniel Samuel, L’Université des Antilles, La Drajes, Le Centre social Lapwent, Le Crous de Guadeloupe, Le réseau des Relais jeunesse, Le Kolèktif Jénès Gwadloup, La Mission locale, Le Plan Action Jeunesse de la Région Guadeloupe, l’association culturelle Working Bay présidée par Yanis Chipotel, Le réseau des centres sociaux et socioculturels Feves.
L’enquête menée par l’Institut Qualistat dans le cadre de groupes de réflexion et au travers d’un sondage auprès de 300 jeunes révèle des paradoxes saisissants. Si la majorité des participants conservent une vision positive du cadre de vie en Guadeloupe – soulignant la beauté naturelle, la convivialité et l’accessibilité des loisirs gratuits comme les plages et rivières – des frustrations profondes émergent face aux difficultés structurelles.
Shannon, 24 ans, confie : « On a plus de temps pour être avec nos amis, notre famille, alors qu’en France, quand tu sors du travail, tu rentres chez toi. » Pourtant, cette qualité de vie ne suffit pas à compenser le sentiment d’abandon face aux grands défis du quotidien. Manque d’eau, précarité économique, chômage élevé et inégalités d’accès aux activités sportives et culturelles ternissent le tableau idyllique.
Un forum en cinq thématiques
Au cœur de ce forum, cinq ateliers ont permis d’aborder les dimensions clés de l’engagement citoyen, chacune mettant en lumière des problématiques et des solutions potentielles.
Dans le premier atelier, les participants ont exploré les moyens d’inciter les jeunes à s’impliquer dans les activités locales, qu’elles soient au niveau de leur quartier, de leur commune ou de l’ensemble de la Guadeloupe. La question « Qu’est-ce qui vous inciterait à vous engager dans les activités proposées à l’échelle de votre quartier, de votre commune ou de la Guadeloupe ? » a suscité des réponses révélatrices. La plupart des participants ont insisté sur le besoin d’une meilleure communication : « Déjà, savoir qu’elles existent (ce qui suppose une information accessible) » a martelé un participant. La méconnaissance des initiatives locales constitue ainsi un frein majeur à l’engagement.
Un second atelier s’est penché sur l’engagement politique et la manière dont les jeunes pourraient être mieux représentés dans les partis et les politiques publiques. À la question « Qu’est-ce qui pourrait inciter les jeunes à s’engager dans un parti politique ? », les propositions ont pointé un déficit de résultats concrets. « Insister sur les résultats concrets et sur la capacité d’agir du politique, sur la cohérence entre les paroles et les actes » a recommandé un jeune. D’autres ont souligné la peur des répercussions sur leur vie professionnelle : « Garantir que l’engagement dans un parti n’impacte pas négativement la vie professionnelle » semble être une condition essentielle pour envisager une participation plus active.
Un troisième atelier s’est consacré L’identité guadeloupéenne, et son rôle dans l’élaboration des politiques publiques, avec des questions telles que « Être Guadeloupéen, ça veut dire quoi pour vous ? ». Les réponses ont reflété un mélange de fierté et de tensions identitaires : « C’est être écartelé entre une culture afro et une culture européenne, avec une volonté de rechercher ses racines profondes » a confié un participant. Un autre a mis en avant des besoins spécifiques liés à cette identité : « Oui, pour répondre à des problématiques spécifiques (exemple : certification coiffure pour cheveux naturels). » Cette revendication illustre un attachement à des politiques publiques adaptées aux réalités locales.
Les réseaux sociaux et leur influence sur l’engagement politique des jeunes ont fait l’objet d’une analyse dans le quatrième atelier. Certains participants ont reconnu leur rôle dans la sensibilisation aux actions politiques, citant en exemple les interventions d’Olivier Serva. « Ses publications sur les réseaux m’ont aidé à appréhender un certain nombre d’actions institutionnelles ou d’initiatives en tant que député », a expliqué un jeune, illustrant l’influence que peuvent avoir ces plateformes sur la compréhension de la vie politique locale.
D’autres ont exprimé un malaise à l’idée d’être influencés. « Il y a un certain déni à l’idée d’être sous une forme d’influence des réseaux sociaux, une difficulté à l’autocritique peut-être » a analysé un participant. Cette ambivalence souligne le besoin d’une éducation numérique pour un usage critique de ces plateformes.
Le dernier atelier a permis aux jeunes de réfléchir aux réformes nécessaires pour faciliter leur engagement citoyen : « Si vous étiez un élu, que changeriez-vous pour permettre aux jeunes de s’engager dans la cité ? ». Les réponses ont été directes et incisives : « Favoriser la responsabilité et la transparence dans l’exercice politique. Punir le mensonge. Mettre les décideurs politiques face à leurs responsabilités » a clamé un intervenant. Cette exigence de transparence et de redevabilité est un appel à rétablir la confiance perdue.
Des témoignages de malaise
L’un des aspects les plus marquants du rapport présenté par le Ceser réside dans les témoignages recueillis. Ils reflètent à la fois l’attachement des jeunes à leur territoire et leur désillusion face au système politique actuel.
« J’ai l’impression de choisir entre la peste et le choléra » résume Léa, 24 ans, quant à son expérience de vote. Janice, 25 ans, ajoute : « L’offre politique n’est pas très attirante. Ils disent tous la même chose. » Ce sentiment de stagnation se traduit par une faible confiance envers les institutions pour améliorer le quotidien des jeunes de Guadeloupe : seulement 12 % des jeunes interrogés dans l’enquête font confiance au gouvernement, les chiffres stagnent à 23 % pour le Département, 26 % pour la commune et à 29 % pour la Région.
Pour d’autres, l’engagement politique reste un concept flou. Quand on leur demande des exemples concrets, les réponses se limitent à des initiatives individuelles comme « aider à organiser des meetings » ou « faire partie du Conseil de la vie lycéenne (CVL) ».
Au-delà de ces blocages, le départ massif des jeunes pour des études ou des projets professionnels hors de la Guadeloupe constitue un autre défi de taille. Selon l’étude Migrations famille vieillissement de l’Ined (2020) citée dans le rapport, plus d’un jeune sur deux âgé de 18 à 34 ans vit hors du territoire. Ce phénomène reflète un désir d’opportunités, mais fragilise davantage le tissu social et économique local.
La restitution de ce forum, dresse un total de 81 préconisations très génériques qui ont été formulées. Par exemple « Proposer aux jeunes des projets ambitieux, à grande échelle, qui laissent une empreinte durable ». Ou encore « Expliciter les valeurs et les orientations idéologiques et stratégiques des partis politiques ». Ou aussi « Favoriser l’apprentissage de l’histoire locale et régionale et la transmission de la culture guadeloupéenne ».
Le Ceser a promis de relayer les conclusions aux acteurs des politiques jeunesse, annonçant une réflexion approfondie sur les recommandations prioritaires. Une manière de s’engager à ce que ce forum ne rejoigne pas la longue liste des initiatives orales peu suivies d’effets.
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