La médiocratie a de beaux jours devant elle

Le philosophe québécois Alain Deneault vient de publier  » La médiocratie  » aux éditions Lux éditeurs, essai dans lequel il brosse un portrait peu flatteur de notre époque. L’auteur rend un verdict sévère sur nos sociétés occidentales. Il juge la recherche universitaire insignifiante, dénonce la perversion du langage, montre du doigt le règne des experts et revisite le concept de résistance. Alain Deneault prend le soin de distinguer médiocrité et médiocratie.  » Médiocrité est le mot neutre par excellence. C’est la moyenne. Mais à force de nous maintenir dans la moyenne on devient insignifiants. Nous avons une activité moyenne, une connaissance moyenne, un désir moyen « . Et dans le même ordre d’idée que le philosophe nous pourrions ajouter une vie tranquille. La médiocratie ne renvoie donc pas à la médiocrité mais à ce qui est moyen. Or, explique Alain Deneault, face aux défis auxquels nous sommes confrontés, nous ne pouvons nous permettre le luxe d’être moyen.

Au rang des défis à relever, l’essayiste cite un ordre économique qui met en péril 80 % des écosystèmes, qui permet à 1 % des plus riches de posséder 50 % de la richesse mondiale et qui détruit le lien social. On ne peut plus, explique-t-il en substance, face à ces périls monnayer lâchement nos petits avantages. Pour échapper à la médiocratie explique encore Alain Deneault, il faut résister non pas parce qu’on serait en danger physiquement ou qu’on veuille défendre des convictions. Aujourd’hui, résister c’est selon l’auteur, résister au buffet, au système. Résister au jeu qui consiste à faire ceci pour obtenir cela, de montrer patte blanche et mollesse pour obtenir un standing, des avantages. Résister c’est ne pas céder aux compromissions pour bien vivre et bien paraître. C’est éviter la facilité. Pour ce faire, il est indispensable de se penser comme un sujet collectif et aussi réapprendre à parler. Le langage est un piège sournois et dangereux. Alain Deneault explique qu’il ne faut plus parler de la gouvernance de l’eau mais d’un service public. Ne plus dire les clients d’un hôpital ou d’un théâtre mais les patients et les spectateurs.

Autre tête de turc du philosophe : l’expert. Pour lui, il n’y a pas beaucoup de différence entre l’expert – qui se sert abusivement du langage — et le passe-partout. Ainsi selon le philosophe, le langage fait basculer la pensée où il veut. Aujourd’hui le langage verserait dans l’expertise qui consiste à penser comme le souhaite le pouvoir. Pour que celui-ci se perpétue. Quant à l’institution universitaire, elle se fait maltraiter par la médiocratie. Il n’y aurait plus de frontières claires entre la recherche universitaire, l’expertise et le lobbying. Les universités ne voient pas de mal à vendre des connaissances, ou des discours directement aux lobbies. L’expertise se déguise en science, qui elle-même est inféodée au pouvoir économique et politique.

Médiocratie se distingue de médiocrité, certes. Mais au final, la médiocratie rend médiocre. Or, les médiocres ont déjà pris le pouvoir estime Alain Deneault. L’auteur explique que la division et l’industrialisation du travail ont largement contribué à l’avènement des médiocres. Le métier n’est plus qu’un emploi. On passe d’un travail à l’autre très facilement parce qu’il n’est qu’un moyen de subsistance. La prestation devient moyenne donc médiocre. C’est aussi le référent de tout un système. Plus grave, le système ne tolère pas qu’on s’en écarte. Alain Deneault affirme qu’il punit les manques d’allégeance au réseau. Ainsi les plus forts usent à profusion de l’arbitraire. Ce qui génère des institutions et des organisations corrompues qui perdent de vue ce qui les fonde, au profit d’enjeux particuliers et… médiocres. Alain Deneault n’est pas particulièrement optimiste quant à un revirement de la tendance actuelle. Autant dire que la médiocratie a de beaux jours devant elle. Faut-il se résigner ?