Le tribunal administratif de Fort-de-France a suspendu, mardi 5 mars, une campagne de tirs sismiques dans les eaux françaises des Antilles, à la suite d’une action en justice intentée par 19 associations de défense de l’environnement. Parmi elles, l’Observatoire des mammifères marins de l’archipel guadeloupéen (Ommag) présidé par Laurent Bouveret et l’Association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune des Antilles (ASFA) présidée par Béatrice Ibéné.
Cette décision intervient après des semaines de mobilisation citoyenne et scientifique contre un projet jugé destructeur pour les baleines à bosse et les cachalots, espèces protégées et en pleine période de reproduction.
Cette mission de géophysique marine portée par l’Université des Antilles, le CNRS et l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer), et prévue du 1er mars au 20 avril, devait étudier la tectonique des plaques dans la zone de subduction des Antilles et permettre de « progresser dans la connaissance du risque sismique régional », selon un communiqué de l’Ifremer.
Pour ce faire, le navire L’Atalante devait sillonner pendant quatre semaines l’ensemble de l’arc Antillais et les eaux territoriales de plusieurs pays (Dominique, Saint-Kitts, Sainte-Lucie, États-Unis, etc.). Le navire devait utiliser des canons à air comprimé et des sonars. Les explosions sous-marines risquaient selon les plaignants de provoquer des lésions physiologiques, des troubles de communication, d’alimentation et de reproduction chez les cétacés, voire leur mort.

Les dates de la campagne avaient été définies en fonction de la disponibilité du navire de recherche de 85 mètres, et « dans un objectif de décarbonation », a expliqué à l’AFP Olivier Lefort, directeur de la Flotte océanographique française (FOF) pour l’Ifremer.
La juge des référés a estimé que cette mission était « susceptible de porter atteinte, de manière irréversible, aux espèces protégées de la baleine à bosse et du cachalot ». La magistrate a estimé que les appareils utilisés pour établir les profils sismiques peuvent engendrer « des lésions physiologiques au niveau de l’audition et d’autres organes, dont certaines peuvent s’avérer létales » pour les cétacés. Elle a en outre retenu le fait que la campagne se déroulait « à la période de pic de fréquentation de ces deux espèces », en pleine migration et mise bas.
Ce projet avait d’autant plus suscité l’indignation qu’il se déroulait dans le Sanctuaire Agoa, une zone marine protégée créée en 2010, qui s’étend sur les eaux de Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. La zone est vouée à offrir un refuge à 24 espèces de mammifères marins.
En octobre 2024, le Comité technique du Sanctuaire Agoa avait émis des recommandations claires : éviter la période de mars avril et mettre en place une surveillance visuelle et acoustique pour prévenir tout impact sur les cétacés. Des recommandations que l’Ifremer a choisi d’ignorer, programmant la mission au pire moment pour la faune marine.
« On s’est permis de programmer à cette période-là parce que la source sismique utilisée (l’outil de mesure, N.D.L.R.) a une puissance 100 fois inférieure » à celles utilisées classiquement, a souligné Cécile Ducatel, ingénieure en acoustique sous-marine à la direction de la FOF.
Une décision préfectorale « surréaliste »
L’arrêté autorisant cette mission, signé le 13 janvier dernier par Jean-Christophe Bouvier, alors préfet de la Martinique, avait été vivement critiqué et qualifiée de « surréaliste ». Les associations dénonçaient une « légèreté » inacceptable, soulignant que le préfet n’avait pas demandé de dérogation pour les espèces protégées, ni organisé de consultation publique, comme l’exige pourtant la loi.
« On ne comprend pas comment un préfet peut autoriser des activités mettant en danger des espèces protégées par arrêté ministériel, dans un sanctuaire dédié à leur protection », s’est indigné un représentant d’une association environnementale.
Face à la menace, les associations ont rapidement réagi. La pétition lancée le 28 février a recueilli près de 4 000 signatures en quelques jours, tandis que l’action en référé était introduite devant le tribunal administratif de Fort-de-France.
La décision de la juge rendue le 5 mars, a été saluée comme une victoire pour la protection de l’environnement. Une décision qui rappelle que la loi doit l’emporter sur les intérêts particuliers, scientifiques ou économiques.
« Il n’existe pas de cas qui montre que la sismique a entraîné la mort de cétacés. Ça n’existe pas », affirme Cécile Ducatel, ingénieure en acoustique sous-marine à l’Ifremer, qui avance que les seuls cas létaux recensés l’ont été avec des sonars militaires, aux propriétés différentes.
L’institut avait également prévu de déployer cinq observateurs indépendants à bord de L’Atalante pour s’assurer qu’aucun cétacé ne se trouve à moins de 100 mètres de la source sismique et qu’aucune tortue marine ne s’approche à moins de 100 mètres du navire. Les associations ont pointé du doigt l’inefficacité de ces mesures, les cétacés étant difficilement détectables en haute mer, surtout de nuit.
Les associations avaient appelé l’État à ne pas faire appel de cette décision. La campagne doit être reprogrammée en 2025 ou 2026, a précisé l’Ifremer.
Avec AFP.
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