L'Evolution du chômage en Guadeloupe

PROFIL DU DEMANDEUR D’EMPLOI

En Guadeloupe le chômage a augmenté de manière continue durant toute la seconde moitié du XXème siècle. Après une courte embellie entre 1999 et 2002, celui-ci est reparti de plus belle à la hausse, jusqu’au mois d’août 2005. Puis, de nouveau, le nombre de demandeurs d’emploi s’est mis à refluer, lentement, jusqu’en 2008. Là, la crise financière a détruit des années de relative amélioration du marché du travail. Jean-Pierre Pellegrini, responsable du service statistique études et évaluation du Pôle Emploi Guadeloupe et Îles du Nord commente son évolution récente.

JEAN-PIERRE PELLEGRINI : Les choses ont évolué. Contrairement à l’idée qu’on s’en fait, le chômeur guadeloupéen est de plus en plus diplômé. Les faibles niveaux de qualification ne représentent même plus un tiers des demandeurs d’emploi. Il y a trente ans, deux tiers des demandeurs d’emploi avaient atteint au mieux le niveau de la troisième. Désormais, ils ne sont plus que 30 %. La situation est inquiétante, car les niveaux Bac +2 et au-delà, représentent presque 13 % de la demande d’emploi. Les niveaux CAP, BEP, BAC et équivalent représentent près de 58 % de la demande. Ainsi, le fichier des demandeurs d’emploi inscrits est de plus en plus qualifié. Le diplôme, s’il continue d’être un atout essentiel dans l’accès à l’emploi, est désormais de moins en moins protecteur. Le chômage demeure féminin. Près de 6 demandeurs d’emploi sur dix sont des demandeuses. Mais la gravité de la crise économique est telle que la part des Hommes dans la demande d’emploi en fin de mois (DEFM) ne cesse d’augmenter. Elle est aujourd’hui de l’ordre de 42 %, contre 39 % il y a trois ans. Enfin, le nombre des demandeurs d’emploi seniors, du fait des effets combinés de l’allongement de la durée légale du travail et du vieillissement général de la population, croît deux fois plus vite que le chômage dans son ensemble. Les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans représentent aujourd’hui près du quart du fichier.

Le Courrier de Guadeloupe : Peut-on identifier des secteurs qui seraient plus dynamiques que d’autres, qui offrent des places mais qui ne trouvent pas preneur ?

Même en période de crise économique, tous les secteurs continuent de recruter. Car, sans salariés, pas de production. Mais ils recrutent essentielle ment pour remplacer des départs, et non pour augmenter leurs effectifs. Les postes proposés sont aussi plus précaires. Les secteurs les plus massifs en termes d’emplois privés, tels que le Commerce, la Construction, l’Hôtellerie-tourisme et les Services continuent donc d’être les plus recruteurs. Pour ce qui est des difficultés de recrutement éventuelles, la rareté des postes proposés ne peut suffire à les faire toutes disparaître. Certaines de ces difficultés résultent certes de la rare té des candidats qualifiés, mais bien sou vent elles tiennent aussi aux caractéristiques du poste ou des conditions d’embauche : horaires décalés, lieu de travail peu accessible, du fait notamment de l’insuffisant développement des trans ports en commun, salaire proposé bien trop modeste au regard des exigences du poste…

On ne peut parler chômage en Guadeloupe, sans parler du travail au noir. Des politiques pour le supprimer sont-elles réalisables ?

Le recul du secteur informel porte un nom : salarisation. Faute de pouvoir accéder à un emploi nombre de travailleurs sont contraints de se débrouiller pour survivre. Il faut rappeler que moins de 40 % des demandeurs d’emploi guadeloupéens perçoivent une allocation-chômage, contre près de 60 % au niveau national. Certains sont ainsi prêts à accepter un travail à n’importe  quel prix, simplement pour pouvoir survivre. Et nombre des minuscules et vaillantes entreprises qui composent l’essentiel du tissu économique local n’auraient rien de mieux à offrir pour assurer leur activité de production que quelques heures de travail par-ci par-là. Une démarche de formalisation de cette activité pourrait peut-être passer par le développement de contrats de travail à durée indéterminée pour des employeurs multiples, voire changeants. Mais ce qui est de nature à faire reculer l’activité informelle, c’est la création d’emploi ! Et celle-ci dépend directement de l’investissement productif. Actuellement, le maintien d’un modèle économique assis sur la rente, elle-même résultant des prélèvements (taxes et profits) réalisés sur l’importation et la distribution de produits fabriqués sous d’autres latitudes ne permet plus d’espérer un développement de l’emploi salarié. Un changement de paradigme paraît dès lors s’imposer. Ce nouveau modèle économique, en valorisant davantage les qualités et atouts de la Guadeloupe et de sa population aux talents multiples, pour rait offrir des produits et services véritablement adaptés à la région. Du tourisme haut de gamme, valorisant tant le climat et les paysages que les arts et la gastronomie guadeloupéens, des objets, des ma chines, des maisons etc. conçus pour supporter le climat tropical et respecter les environnements fragiles. Au lieu de se contenter de consommer des produits conçus pour des régions septentrionales, la Guadeloupe pourrait inventer, produire et vendre des objets véritablement adaptés aux régions intertropicales. Et ce d’autant mieux que, pour quelques an nées encore, il existe un véritable créneau, la demande de consommation est réelle.

 

CONTRE LE CHÔMAGE

L’auto-entrepreneuriat, une piste comme une autre

5 004 entreprises ont été créées en 2012 en Guadeloupe. ce chiffre, en légère baisse, maintient le dynamisme du secteur marchand non agricole grâce aux auto-entrepreneurs qui représentent plus d’une création d’entreprise sur trois.

Le nombre d’auto-entrepreneurs poursuit sa progression en Guadeloupe. Pour autant, le président Hollande lors de la clôture des Assises de l’entrepreneuriat a annoncé une série de mesures pour favoriser la création d’entreprises. Mesures qui ne font pas l’unanimité et ne correspondent pas à la réalité économique en Guadeloupe.  » Le retour de l’emploi passe par un retour de la croissance « , martèle Christophe Wachter, secrétaire général de l’association des moyennes et petites industries (MPI). Les facilités au niveau du crédit qui ont été mises en place ici ne fonctionnent pas. Ou en tout cas, elles ne sont pas adaptées à tous les secteurs d’activités.  » L’embauche ne peut revenir que par une territorialisation du circuit économique. Avoir recours aux richesses, matières premières et main-d’œuvre présente dans notre région « , poursuit-il encore. Le statut d’auto-entrepreneur reste une piste pour tendre vers une relance de l’embauche. Une piste qui, trois ans après sa mise en place, tarde encore à faire ses preuves.

 

À LA TERRITORIALE, CA VA

La fonction publique territoriale se concentre sur la recherche de compétences

On ne peut imaginer aborder l’emploi sans prendre le pouls de la fonction publique. Soumises aux tensions et aux enjeux politiques, elle se spécialise et opère une montée en compétences.

Bien que ballottée par la volonté du gouvernement de réduire l’effectif de ses fonctionnaires, la fonction publique continue d’être un des secteurs clé de l’embauche dans le département.  » Le bilan est plutôt positif pour la fonction publique territoriale. Elle représente 15 000 agents titulaires ou non titulaires. C’est 45 % de l’ensemble des fonctionnaires en Guadeloupe, et 14 % de l’ensemble des salariés, elle reste donc un très gros pourvoyeur d’emploi.  » estime Ludovic Salmier responsable du pôle technologie de l’information et de la communication. Une position qu’elle doit à son principe de libre administration qui la protège des politiques restrictives dictées sur le plan national. La fonction publique d’État, elle, subit de plein fouet ces directives et a vu, son recrutement chuter, notamment dans l’enseignement. Aujourd’hui, les campagnes ont repris, mais les candidats se font de moins en moins nombreux. Au contraire, les bancs des concours à la fonction publique territoriale, restent, eux, bien remplis. Les candidats sont attirés par la professionnalisation et la montée en compétences des postes qui y sont désormais proposés.  » La fonction publique territoriale, ce n’est plus un simple poste de bureau ou de secrétariat dans une Mairie. Il faut désormais répondre aux besoins des administrés et cela implique de nouveaux emplois beaucoup plus techniques qu’auparavant. Nous avons besoin notamment d’ingénieurs. On ne parle donc plus de grade, mais de métiers.  » L’acte III de la décentralisation ainsi qu’une refonte du schéma de coordination de l’intercommunalité sont des changements importants qui viendront rationaliser le système sans pour autant jouer sur l’emploi.  » Les prévisions de départ en retraite cumulées d’ici à 2020 tablent sur la perte de près de la moitié de nos effectifs. D’où une intensification de la campagne de recrutement mais toujours dans une optique de montée en compétences et d’amélioration qualitative.  »

 

JUSQUE-LÀ, TOUT VA BIEN

Chômage chronique et croissance, l’impossible équation guadeloupéenne

Depuis les années 1970, la Guadeloupe entretient un chômage structurel élevé que rien ne semble pouvoir amoindrir. Mais comment survit une économie quand moins de la moitié de sa population est active ?

Les chiffres en eux-mêmes sont ahurissants. En 2012, le chômage s’élevait à 22,9 %. La durée moyenne de l’ancienneté dans le chômage s’étend sur une période comprise entre 48 et 52 mois. La moyenne des actifs est de sept fois inférieure à la moyenne française. Dans l’Hexagone, de tels chiffres suffiraient à déclencher toutes les alarmes. Le FMI aurait déjà mis l’économie sous tutelle, et les agences de notation auraient certainement placé le pays sous surveillance négative. Et pourtant… tout va bien. L’économie guadeloupéenne affichait même un taux de croissance insolent de 2,7 %. Les indicateurs au vert – un peu moins ces derniers temps – ne doivent pas cacher une évidence. Un tel taux de chômage n’est pas normal. Mais comment expliquer ce phénomène ?  » Les crises sucrières successives ont jeté de nombreux travailleurs dans les affres du chômage. Et comme ils n’étaient pas employables ailleurs que dans leurs domaines. L’économie a produit des chômeurs liés à la fermeture des usines et à la réforme foncière  » explique Patrice Borda, économiste, enseignant à l’Université Antilles-Guyane.  » Et la solution au chômage de longue durée est toute trouvée, c’est le travail au noir, voire même parfois l’auto-entreprenariat « . La voilà donc cette exception antillaise. Une économie globale et une économie souterraine qui se côtoient et se nourrissent l’une de l’autre. Plusieurs politiques ont été menées pour tenter de résorber l’eau stagnante des inactifs : la baisse des cotisations pour favoriser l’embauche, les emplois aidés et les politiques d’emploi public qui n’ont rien fait d’autre que de produire une fonction publique hypertrophiée. Pourtant, la lune de miel ne pourra pas continuer longtemps.  » Cette période où personne ne semblait ressentir le chômage touche à sa fin, car depuis six ou sept mois on peut affirmer que la Guadeloupe a fait son entrée dans la crise. Il s’agira de mener des politiques vertueuses, restaurer la confiance pour doper l’investissement.  » Plus que jamais, la Guadeloupe est telle cet homme qui saute d’un gratte-ciel et qui en passant devant le 50 ème étage, soupire  » Jusqu’ici, tout va bien.  »

Emploi informel : qui est concerné ?

Environ 10 % de l’emploi serait informel. Le travail non déclaré concerne des jeunes hommes peu qualifiés (62 %) qui travaillent au service d’un particulier, d’un commerce ou d’une société de construction. Toutefois un autre profil est concerné, puisque de plus en plus de diplômés : bacheliers, titulaires d’un Cap-Bep se tournent vers les emplois informels. L’âge semble être le critère déterminant : Les jeunes de moins de 30 ans sont les plus nombreux dans le travail informel. Cela s’explique par leur difficulté à accéder à un premier emploi. Mais ils ne sont pas les seuls. Plus de la moitié des personnes qui ont un emploi informel exercent déjà une activité professionnelle. Enfin, le monde de l’emploi informel reste ouvert aux étrangers qui y sont plus présents que dans la population active occupée (13 % contre 3 %). L’emploi non déclaré intéresse beaucoup plus les indépendants que les travailleurs salariés. Deux tiers des travailleurs informels travaillent à leur compte contre une personne sur cinq dans le travail structuré. Cela est dû à la réduction des risques et des obligations en étant seul et non déclaré. Autant de profils et de facettes pour une économie souterraine qui reste difficilement mesurable en raison même de son caractère officieux.

 

PAS UNE FATALITÉ

Le Timeshare, une des pistes de réflexion pour réduire le chômage

On ne peut se contenter d’un simple constat des logiques qui régissent le monde du travail en Guadeloupe. Au-delà, des pistes de réflexions existent et peuvent être mises en valeur.

« Il est clair que  » jober  » est répréhensible au regard de la loi, mais l’esprit qui se cache derrière cette pratique est intéressant. C’est une bonne façon de créer des travailleurs polycompétents. » analysent certaines sources que nous avons contactées. Il est vrai que l’esprit de la débrouille recèle des trésors. De toutes les poli tiques mises en place ou envisagées dans une volonté de réduction du chômage, l’idée d’exploiter une pratique populaire pour la transformer en une nouvelle conception du monde de l’emploi n’aura effleuré que peu d’esprits.  » Il y a vingt ans, on avait pensé avoir recours au Time share, un système qui fonctionnerait sur un roulement des ouvriers sur différents chantiers à la fois et qui aurait permis de limiter la destruction d’emplois dans le secteur. Mais, les politiques publiques ne sont pas allées jusqu’au bout de la réflexion.  » Sur un marché de l’emploi aussi serré que le marché guadeloupéen, l’idée a en effet de l’avenir : créer des travailleurs couteaux suisses. Toutefois, il ne faudrait pas qu’elle vienne bloquer la création de postes nouveaux et l’arrivée de sang neuf. D’autre part, elle ne réglerait qu’une facette du problème. Car à ces embryons de poli tiques publiques doit s’ajouter une volonté d’investissement dans des projets porteurs et innovants, qui sont les principaux créateurs d’emplois et de ressources. Le dynamisme économique passe nécessairement par un décollage, de l’innovation. Sans cela, l’économie tend à se replier sur elle-même et se pétrifie dans un cercle vicieux, terreau propice à la crise.

 

LA FÊTE EST FINIE

La Guadeloupe est entrée dans le dur

Les logiques qui voulaient que les situations économiques en France et en Guadeloupe souffraient d’un décalage ou qu’il s’agissait de deux univers imperméables l’un à l’autre sont en train de s’effriter. «  Avec la mondialisation l’entrée prépondérante des technologies dans la gestion administrative fait que la Guadeloupe et la France vivent de plus en plus sur le même plan.  » explique Pascal Borda, professeur d’économie à l’UAG.  » Les décisions prises en France auront un impact beaucoup plus sensible en Guadeloupe. Or pour l’instant les directives énoncées par le gouvernement sont un non-sens en termes de politique budgétaire. « . L’illusion que la crise n’est pas arrivée dans le département se dissipe et laisse une vive inquiétude.  » C‘est vers l’austérité que la France se dirige sous couvert de sérieux budgétaire. Or, on a pu le constater maintes fois, l’austérité produit du chômage.  »

 

 

Témoignages

Brigitte, 40 ans :

« J’ai longtemps travaillé au Moule avant de migrer sur Jarry. Et bien sûr le gros changement que j’ai connu ce sont les embouteillages. L’environnement et surtout le stress provoqué par les conditions dans lesquelles on se rend au travail ne sont pas des choses à négliger. J’en arrive à appréhender chaque matin et chaque soir le trajet ce qui ne me motive pas du tout à être de bonne humeur au travail. »

Samuel, 30 ans :

« On ne s’en sort pas avec un seul boulot. Bien sûr qu’il est préférable d’être salarié mais avoir un niveau de vie confortable, on est obligé de gruger avec le système. Pour ma part, j’ai commencé par des petits boulots au noir. Quand j’ai trouvé un boulot stable, je n’ai pas tout arrêté. Je m’organise même si c’est prenant. Une fois mon boulot fini, j’enfile ma casquette de commerçant, je revends des produits que je fais venir en gros et ça marche plutôt bien. Sinon, il m’arrive de temps à autre le week-end d’entretenir les espaces verts. »

Fabrice 36 ans :

« Je travaille à la banque et je peux vous dire que même dans ce milieu c’est vraiment dur. On parle de crise et ce n’est pas qu’un truc dans l’air. Aujourd’hui tout est plus cher. Pour vivre, il est obligatoire de trouver une autre occupation. Moi je travaille comme ouvrier agricole. C’est dur mais au moins ça mets un peu de beurre dans les épinards. Je ne pourrais pas me permettre certaines choses sans ça. »

 

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