Guadeloupe. Le 9 décembre 2025. Rodolphe Devaux
« L’eau doit payer l’eau » : nous avons souvent entendu cette formule à l’emporte-pièce, à l’occasion des déclarations tonitruantes de nos élus sur le sujet.
Cette maxime, dans le fond très louable, signifie que l’industrie de production et de distribution de l’eau potable doit être financièrement en équilibre ; donc sans octroi de subventions ou aides, d’aucune sorte. Plus simplement, les charges de l’industrie doivent être payées par les recettes de la facturation des usagers consommateurs.
Mais, nous en sommes très loin aujourd’hui.
Pour autant, devrait-on revenir à la situation qui prévalait avant la création du SMGEAG, en remunicipalisant le service public de l’eau ? Ce qui se traduirait par le démantèlement pur et simple du SMGEAG et la création de nouvelles régies communales ?
Ce n’est certainement pas la solution. Sinon ce serait au prix d’ajustements économiques, financiers et sociaux colossaux que les municipalités ne pourront de toute façon pas assumer.
Le retour en arrière nous semble impossible.
Il faut donc prendre acte de la situation de déséquilibre actuel et y remédier très vigoureusement.
D’abord rationaliser la structure SMGEAG… ce qui signifie, pour être très clair : « Dégraisser sérieusement le mammouth ».
Mais au préalable, il faudrait que ses dirigeants, dans un souci de transparence, nous indiquent justement là où se situe son point d’équilibre financier, c’est-à-dire le « point mort » de l’institution publique.
Il s’agit de mesurer l’effort en termes d’ajustement des charges, notamment l’effort sur la masse salariale et évidemment le coût à supporter pour atteindre ce point mort.
Soyons encore plus clairs : il est urgent de mettre en place un plan social. Pour autant, son ampleur reste à définir à ce stade tant qu’on ne connaîtra pas ce fameux point d’équilibre financier.
Ce plan devra être élaboré par des spécialistes des ressources humaines. Et bien évidemment devra être négocié avec les partenaires sociaux du SMGEAG, représentant du personnel en tête. Soit dit en passant, c’était la mission qui avait été dévolue à son premier président, Jean-Louis Francisque. Mais celui-ci n’en a eu cure et on connaît la suite !
Parallèlement au plan social, opérer une « défaisance » sur les factures impayées en les cédant via un appel d’offres à des sociétés de dimension nationale, spécialisées en recouvrement.
Cette défaisance sur 104 millions d’impayés aura le mérite d’apporter immédiatement de « l’argent frais » au SMGEAG, c’est-à-dire une bouffée d’oxygène, pour une structure en apnée depuis sa création.
Mais la cession d’un portefeuille de créances impayées se fait nécessairement avec une décote qu’il s’agira de minimiser et in fine, de financer, voire passer à perte dans les comptes du syndicat.
À ce stade, on comprend bien que la restructuration aura un coût non négligeable, celui du plan social ajouté à celui de la défaisance. Mais ces mesures auront le mérite de mettre immédiatement un coup d’arrêt à la perpétuation de déficits mortifères et à restaurer, au moins temporairement la solvabilité du SMGEAG.
Ce qui n’est pas négligeable par les temps qui courent.
Cependant la restructuration, fut-elle absolument nécessaire, ne va pas pour autant amener l’eau dans les robinets, à brèves échéances.
Le sujet revient à s’interroger sur les moyens et la manière de financer le possible milliard de travaux d’adduction, de canalisation, d’assainissement et de remise à niveau des usines et captages.
Certainement pas à coups de subventions erratiques comme le pratiquent actuellement nos deux collectivités majeures. Des subventions qui créent sans conteste des effets d’éviction dans leurs budgets, au détriment des investissements d’entretien des routes, par exemple. Les nids-de-poule qui prolifèrent çà et là, sont sans doute les effets indirects des millions de subventions incontrôlées, attribuées dans l’urgence au SMGEAG par la Région et le Département.
A contrario, nous pensons que la solution consistant à lever un emprunt obligataire, remboursable à long terme (50 ans ?) n’a pas été suffisamment explorée.
Précisons notre réflexion : il s’agirait de constituer un pool d’emprunteurs (État, Région, Département), solidarisés au sein d’une « Special Purpose Vehicle » (SPV) permettant d’accéder au marché financier (marché de la dette souveraine), ayant pour mission de lever les fonds nécessaires au financement des investissements. Cet emprunt obligataire serait mobilisable par tranches pour limiter le poids de sa charge financière.
À titre indicatif, le service de la dette pour un emprunt de 1 milliard, à 50 ans au taux 3,5 % serait de l’ordre de 42,4 millions par an. Remarquons, que c’est bien en deçà des subventions annuelles attribuées au syndicat par le Département et la Région conjointement.
Mais pour que « l’eau paye l’eau », il faudrait qu’après restructuration, les cash-flows prévisionnels du syndicat soient suffisants pour absorber le service de la dette.
Pour en revenir au montage, les services financiers de Bercy, en charge de la gestion de la dette publique, pourraient bien se saisir de ce dossier. La participation de l’État étant incontournable dans cette affaire. L’engagement de sa note de signature (A + au 12 septembre, en perspective négative, selon Fitch) reste en effet la pierre angulaire du montage. C’est la clef pour accéder au marché financier, à des taux corrects.
Mais l’idée de la levée d’un « grand emprunt pour l’eau en Guadeloupe » pourrait paraître à contre-courant, au moment où la dette publique de la France dépasse les 3 300 milliards, à plus de 118 % du PIB, bien loin du plafond fixé par le traité de Maastricht (à 60 % du PIB), au moment où les déficits publics, non maîtrisés génèrent encore plus de dettes chaque année. Au moment aussi, où la France ne s’est toujours pas dotée d’un budget pour l’année 2026 !
Mais outre sa contribution à la relance de la commande publique locale, ce grand emprunt obligataire pourrait conférer une perspective claire de résolution de la crise. Un horizon joyeux qui à l’approche de Noël manque tant aujourd’hui. Et qui pourrait ainsi redonner confiance aux entreprises, prestataires du SMGEAG, mais aussi redonner confiance aux usagers, enclins, non sans raison, au non-consentement au paiement de leurs factures d’eau.
Rodolphe Devaux citoyen de Trois-Rivières



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