Séance publique du Sénat, jeudi 12 juin, d’adoption de la proposition de loi qui reconnait la responsabilité de l’État dans le scandale du chlordécone. Photo : Capture écran Sénat

Le Sénat a adopté ce jeudi 12 juin, à la quasi-unanimité, la proposition de loi du député socialiste Élie Califer reconnaissant la « part de responsabilité » de l’État dans le scandale du chlordécone aux Antilles. Un vote qui marque une avancée symbolique après des années de blocages, mais qui laisse un goût amer aux victimes et aux défenseurs d’une justice intégrale.

Le texte, déjà adopté par l’Assemblée nationale en février 2024, consacre pour la première fois la responsabilité de l’État dans les « préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques » causés par ce pesticide, utilisé jusqu’en 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique malgré des alertes précoces sur sa toxicité. Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a salué « un geste fort de dignité », et souligné que « jamais un ministre n’avait assumé aussi clairement cette responsabilité devant le Parlement ».

Pourtant, le compromis obtenu après des tractations avec la majorité sénatoriale de droite a édulcoré plusieurs avancées. La version finale supprime notamment la notion de « préjudice d’anxiété », pourtant centrale pour les victimes qui vivent dans la crainte de développer des maladies graves comme le cancer de la prostate, reconnu comme lié au chlordécone depuis 2021. « C’est un renoncement vidé de toute portée symbolique », déplore le sénateur martiniquais Frédéric Buval, dont le groupe (allié aux macronistes) s’est abstenu tout comme ses alliés.

Des lacunes criantes

Le texte acte un « objectif » d’indemnisation pour « toutes les victimes », mais sans créer de fonds dédié, et renvoie cette question à des débats ultérieurs. Une omission jugée inacceptable par les associations, alors que 90 % de la population antillaise est contaminée. Le ministre Valls a promis un « travail interministériel » pour un dispositif spécifique aux victimes non professionnelles, mais les modalités restent floues.

Par ailleurs, le Sénat a substitué la « part de responsabilité » de l’État à la « responsabilité » pleine et entière votée par les députés, un recul sémantique qui minimise, selon les critiques, l’ampleur des manquements étatiques.

Si la loi entérine les objectifs des plans chlordécone (comme le renforcement des analyses sanitaires ou la dépollution des sols), elle ne garantit pas de financements pérennes. Le 4e plan (2021-2027), doté de 130 millions d’euros, reste insuffisant face à une pollution persistante pour des siècles.

L’accent mis sur la recherche sur les pathologies féminines liées au chlordécone, longtemps ignorées, est une avancée. Mais sans mécanisme contraignant, cette disposition risque de rester lettre morte.

Ce vote est un pas en avant, après des décennies de déni. Mais les limites du texte reflètent les résistances politiques à une réparation intégrale. Comme le résume un militant : « On nous donne des mots, pas des solutions ». Les victimes devront encore s’appuyer sur les tribunaux pour obtenir justice, comme l’a montré la récente condamnation de l’État en mars 2025.

La balle est désormais dans le camp de l’Assemblée nationale, qui devra trancher : valider ce compromis ou l’améliorer afin de concrétiser la promesse d’équité et de justice.

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