Accueil Société Éducation Le créole et l’innovation pour contrer l’illétrisme

Le créole et l’innovation pour contrer l’illétrisme

Des députés réclament de  » dépasser la logique comptable « . Ils misent sur le créole et l’innovation. Et visent aussi les aspects matériels de la vie scolaire.

Remettre en état les bâtiments vétustes, les ventiler et les climatiser. Adapter les transports scolaires aux horaires des cours, mais aussi réduire leurs trajets et leurs prix, car pour les élèves de Marie Galante, des Saintes et de la Désirade, par exemple, celui de la traversée en bateau oscille  » entre 26 et 43 euros « . Et encore? Créer plus d’internats ouverts le week-end, proposer une restauration scolaire par établissement, des repas sains à base de productions locales, envisager des collations le matin, améliorer le parc et les connexions numériques… Telles sont les principales pistes d’amélioration des conditions matérielles d’enseignement listées dans le rapport présenté ce 1er juin par quatre députés de la délégation outre-mer de l’Assemblée nationale, les « hexagonales » Cécile Rilhac et Danièle Obono, le réunionnais David Lorion et Max Mathiasin, député Modem de Guadeloupe. Des améliorations très concrètes que les électeurs pourront donc rappeler, en ces temps d’élections, aux candidats qui réclameront leurs voix, puisqu’il s’agit là, justement, de compétences du Département et de la Région…

Lancée fin 2019, suite à la longue grève des enseignants aux Antilles, consécutive aux suppressions de postes annoncées par le ministère de l’Éducation, cette mission d’information s’est concentrée sur les conditions d’enseignement dans les territoires en baisse démographique: Guadeloupe, Martinique et La Réunion. Cette baisse justifiait aux yeux du ministère, la réduction des effectifs d’enseignants. Mais celle-ci avait alors suscité les protestations unanimes des parlementaires de Guadeloupe auprès du ministre Jean-Michel Blanquer. Car ces trois territoires présentent en même temps un taux de décrochage scolaire supérieur à la moyenne nationale.

Ce rapport permet aux parlementaires d’étoffer leurs arguments. Outre les handicaps géographique et climatique, la précarité économique pèse en effet sur les résultats scolaires:  » Un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté – contre 14% dans l’Hexagone, ndlr – , et un élève sur deux en Guadeloupe est boursier « , a rappelé Cécile Rilhac. Sans compter « le prix des fournitures scolaires, trois fois plus élevé que dans l’Hexagone « , pointe le rapport. S’ajoute à cela une particularité ultramarine:  » Le nombre de jours réels d’enseignement par élève présent est inférieur à la moyenne nationale « . Et cela en raison  » des absences liées aux conflits sociaux récurrents « ,  » des événements climatiques extrêmes « , ou de  » la tolérance pendant la période du carnaval « , écrivent les députés. Le rapport cite Christine Gangloff-Ziegler, rectrice de Guadeloupe, selon laquelle  » depuis la rentrée, 20% de jours de classe ont déjà été perdus, du fait de grèves, de coupures d’eau, d’échouages de sargasses ou d’opérations de dératisation « .

Et le constat est que si le taux de réussite au bac est comparable en Guadeloupe et Martinique à celui de Lille (87,8% en Guadeloupe au bac général et technologique, contre 90% sur l’ensemble du territoire), c’est que  » la partie des élève en difficulté a délaissé le cursus scolaire avant de s’y présenter « . Le taux de jeunes de 16 à 26 ans ayant des difficultés de lecture atteint 30% en Guadeloupe, contre 11,8% au national. Et lors d’une évaluation en 2018 à l’entrée en sixième, 28,7% des élèves de Guadeloupe manifestaient une maîtrise insuffisante du français, contre 13,3% en moyenne nationale. Certes, le taux de décrochage scolaire est similaire à la moyenne nationale, mais la part des plus de 15 ans qui n’ont aucun diplôme atteint 50% Outre-mer, contre 32% dans l’Hexagone.

C’est pourquoi, si la baisse des effectifs d’élèves est indéniable (l’académie a perdu 14% de ses effectifs en six ans et près de 2000 élèves entre 2018 et 2019), les rapporteurs recommandent de suspendre les réductions de postes d’enseignants (-33 postes dans le 1er degré et – 297 dans le 2ème en Guadeloupe depuis 2013), afin de garantir des effectifs réduits par classe et de mieux pourvoir aux remplacements.

Car aujourd’hui, le taux d’encadrement est bon, à 7,41 enseignants pour 100 élèves en Guadeloupe dans le 1er degré contre 5,7 en moyenne nationale, avec 19,6 élèves par classe (contre 22,2 en moyenne nationale). Dans le second degré, le nombre moyen d’élèves par division est de 24,39 en Guadeloupe contre 25,37 en moyenne nationale. Mais ces moyennes cachent des disparités, ont souligné les syndicats, entre les îles et selon les cycles, notamment.

Outre ce maintien des effectifs, les députés préconisent d’amplifier les dispositifs nationaux déjà mis en œuvre (GPDS, réseaux Foquale) ou adaptés, comme  » devoirs faits « , développé dans le primaire en Guadeloupe 8 heures par semaine pour 1000 élèves à la rentrée 2020. Et de corriger au passage les inégalités:  » En Guadeloupe, un rééquilibrage des moyens en éducation prioritaire s’impose « , a insisté le réunionnais David Lorion. Si 55% des élèves étudient en zone prioritaire à la Réunion et 45% en Martinique, ils ne sont en effet que 28% en Guadeloupe,  » alors que les difficultés rencontrées sont similaires « .

La lutte contre le décrochage scolaire appelle aussi des réponses pédagogiques. Les députés recommandent le recours aux langues créoles, comme levier d’apprentissage du français et  » vecteur d’estime de soi « . En Guadeloupe, en pointe à ce sujet, leur enseignement concerne déjà 10% des effectifs. Et 17% des élèves du primaire suivaient en 2018 des cours de créole antillais. Les députés suggèrent aussi l’apprentissage de l’anglais dès le plus jeune âge, et l’extension des innovations comme le  » cours moyen modulaire « , visant à prévenir les ruptures entre CM2 et 6ème, et la Pré-sup, pour éviter le décrochage à l’entrée en université. Ils demandent aussi que les  » territoires numériques éducatifs « , offre de matériel aux élèves et aux professeurs couplée à une formation des parents, expérimentée dans l’Aisne et le Val d’Oise à la rentrée 2020, soit étendue aux outre-mer. Seront-ils entendus par Jean Michel Blanquer, auxquels ils doivent présenter leurs conclusions? Max Mathiasin a suggéré qu’elles soient aussi présentées en Guadeloupe. Et Olivier Serva, qui préside la délégation Outre-mer, s’est dit enthousiaste pour le faire.

Poster un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.