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La symbolique du 27 mai

La date devenue mémoire de l’abolition de l’esclavage a tardé à mobiliser. Le 27 mai est désormais une institution en Guadeloupe.

 » La commémoration de l’abolition de l’esclavage par la République française et celle de la fin de tous les contrats d’engagement souscrits à la suite de cette abolition font l’objet d’une journée fériée « . La commémoration de l’abolition de l’esclavage est fériée depuis la loi du 30 juin 1983, modifiée par la loi du 21 mai 2011. Les célébrations de grande am- pleur datent toutefois d’une quinzaine d’années. En dépit du décret officiel (n° 83-1003 du 23 novembre 1983) fixant la date du 27 mai pour la Guadeloupe, ce jour a longtemps été boudé par la population. Ce fut l’affaire d’associations culturelles ou d’organisations nationalistes. 2 001 a marqué un tournant. Le 27 mai cette année-là, Michel Madassamy entre avec un groupe de sympathisants dans le restaurant Quick de Bergevin : le syndicaliste de l’UGTG en demande la fermeture immédiate, au motif de commémoration de l’abolition de l’esclavage. Face au refus le restaurant est saccagé. Aujourd’hui, rares sont les entreprises qui ouvrent un 27 mai. Quant aux collectivités locales, elles sont de toutes les initiatives symboliques. Selon Jean-Pierre Sainton, il s’en est fallu de peu pour que le 27 mai passe inaperçu. Interrogé le 23 mai par téléphone, l’historien soutient que sans les travaux de Jacques Adélaïde Merlande, la date du 27 mai serait demeurée inconnue :  » Le gouvernement s’est longtemps attaché au 27 avril. Ce jour correspond à la date d’adoption du décret d’abolition. Il précise que cela aurait pu être une date choisie entre juin et août 1848. La révolte des esclaves prête à embraser toute l’île a conduit le gouverneur Layrle à anticiper les modalités d’abolition. En Guadeloupe, le mois de mai rappelle le sacrifice de Delgrès en mai 1802. Il fait mémoire de la révolte des esclaves de 1 848 qui a conduit à l’abolition.

Moi, Andrée Nata descendante d’esclave et fière de l’être

 » Surprise par l’annonce de l’abolition de l’esclavage, Clara Messa retourne sur l’habitation de ses anciens maîtres « . Andrée Nata a raconté au Courrier de Guadeloupe avec lucidité et sans affect la traversée d’un siècle et demi de sa famille dont les ancêtres ont été des esclaves.

« Vous savez, depuis qu’on parle de réparations, tout le monde veut se trouver un ancêtre esclave. Il y a 40 ans tous les nègres se cherchaient un ancêtre blanc.  » Andrée Nata, les 86 ans alertes, cheveux poivre et sel, peignés en brosse, assène sa vérité et s’esclaffe.  » C’est fou cette histoire d’esclavage  » poursuit-elle en gravissant les marches de l’escalier qui mène à son salon. Pharmacienne à la retraite, Andrée Nata a de qui tenir. Ses deux parents étaient médecins. Sa mère a été la première femme médecin noire de Guadeloupe. Elle prononce distinctement deux patronymes :  » Hyppolite Yacou et Clara Messa « . Ce sont les père et mère des grand-père et grand-mère de son père. «  Mes ancêtres esclaves ont depuis toujours été identifiés et assumés « . Volubile, la Dame s’est assise sur une chaise au bord d’une petite table et farfouille parmi de vieux papiers. «  Voilà Clara Messa « . Elle a sorti d’une grande enveloppe en papier kraft, la photo d’une vieille dame assise, habillée d’une robe, qui la couvre jusqu’aux pieds. Un document. Andrée Nata explique que son père racontait souvent qu’il tenait de son père l’histoire de cette Clara Messa. Histoire qui lui avait été contée par sa grand-mère. Au jour de l’abolition de l’esclavage Clara Messa qui était esclave sur une habitation à Sainte-Rose était partie vendre du charbon de bois sur une barge à Pointe-à-Pitre.  » C’est là qu’elle apprend la nouvelle. Au son de caisse. Selon les propos de mon père, elle ne sait que faire. Elle va tout bonnement retourner sur l’habitation à Sainte-Rose « . Hyppolyte Yacou lui aussi esclave, épousera Clara Messa.

Victor Schœlcher et Félix Éboué

Quant au patronyme Nata, il est attribué à l’abolition de l’esclavage en 1 848 sous le matricule 2952 à celle qui porte le prénom de Lina. Ses enfants hériteront du nom. L’histoire aussi simple soit-elle ne convainc pas Andrée Nata. Assise dans son immense salon, parmi ses meubles anciens en bois massif, Andrée Nata secoue la tête avant de reprendre d’un souffle.  » Mon père m’a dit que la mère de son père était née Plantin. Son père se prénommait François, il y a les prénoms de tous les Nata sauf celui qui est âgé d’un an et à qui les papiers ne donnent pas de prénom « . Et alors ? lui fait-on remarquer.  » Je dis que Clara Messa avant de rencontrer Hyppolyte Yacou a sûrement été victime d’un viol dans les champs de cannes. Comme beaucoup à l’époque « . Et Inutile de lui souligner qu’elle prend là un raccourci. Elle poursuit aussitôt : «  Je remarque que de Plantin personne ne parle jamais dans la famille. C’était  l’époque, non? Je n’en éprouve aucune honte. »Andrée Nata a aussi un autre compte à régler. C’est le déni subi par Victor Schœlcher.  » Moi j’en ai bu tous les jours du Schœlcher. Mon père en parlait tout le temps. Il a d’ailleurs dédié sa thèse de médecine à l’alsacien et à son ancêtre esclave Clara Messa. Ce n’est pas parce qu’il y a eu les nèg mawon que Schœlcher n’a rien fait « . Dans les souvenirs d’Andrée Nata, il y a aussi Félix Éboué :  » Mon père a été décoré de la légion d’honneur par le gouverneur. Le point de ralliement de tous ces gens-là c’était la franc-maçonnerie.  »

Les élèves des trois continents conjurent le commerce triangulaire

Ils sont Nantais, Guadeloupéens, Surinamiens Sénégalais. Accompagnés de leurs professeurs, ils ont décidé de partager leurs connaissances, leurs expériences, leur culture afin de mieux appréhender le phénomène de l’esclavage.

 » Nous ne voulons pas enseigner la mémoire. Nous voulons transmettre l’histoire.  » Karine Sitcharn professeur d’histoire au lycée Jardin d’Essai aux Abymes ne lâche pas le sujet. Depuis un an, elle travaille avec ses élèves sur le thème de «  la traite négrière, l’esclavage et leurs héritages  » en collaboration avec Elise Ndo- bolle elle aussi professeur et ses élèves du collège Libertaire Rutigliano de Nantes. Le collège CEM Camberene du Sénégal, et le lycée du Surinam sont associés au projet. Mardi 24 mai, gare maritime de Pointe-à-Pitre, les professeures et une quarantaine d’élèves, âgés de 13 à 16 ans se rendent à Marie-Galante. Karine Sitcharn parle avec la passion de ceux qui osent.  » Dans cette aventure, Je n’ai pas des élèves ordinaires. J’ai des chanteurs, des danseurs, des artistes peintres, des écrivains  » insiste-t-elle. En attendant la traversée, les élèves donnent volontiers leur avis sur l’expérience qu’ils sont en train de vivre.

Un rythme soutenu des visites

Chloé commence par une boutade :  » Nous sommes souvent en sortie rigole-t-elle avant de se reprendre, c’est une véritable expérience. « . Tracy enchaîne  » j’ai surtout été marquée par les différentes formes de résistances des esclaves au rang desquels on trouve la fuite et le suicide « . Astrid croit déceler dans tout ce qu’elle a vu et appris, pourquoi les Guadeloupéens sont aussi attachés aux plantes médicinales. Tandis que Déborah n’a qu’une hâte : connaître l’origine de ses parents. Elle confie qu’elle était venue dans cette classe patrimoine à reculons et plutôt pour la danse. Aujourd’hui, elle n’éprouve aucun regret. Les élèves de Nantes plus jeunes, puisqu’au collège, sont dans le même état d’esprit. Inigy est content de découvrir un nouveau pays, lui qui n’avait jamais voyagé. Sonny est enchanté :  » Nous avons appris beaucoup. Je retiens surtout la visite au Mémorial ACTe. Nous allons pouvoir comparer avec ce que nous avons visité à Nantes  » conclut-il. Karine Sitcharn indique que les élèves de Nantes font preuve d’une grande ouverture culturelle. Après Marie-Galante les acteurs de l’opération investissent d’autres lieux pour d’autres expériences pédagogiques : Les archives départementales, le Fort fleur d’épée, la route de l’esclave en Grande-Terre. Un rythme soutenu jusqu’au départ des Nantais dimanche 29 mai.

REACTIONS

Serge Plaucoste :  » Le diocèse n’a rien prévu « , Prêtre du Prado et curé de Port-Louis

«  L’Église en Guadeloupe est déconnectée de la vie et de l’histoire des Guadeloupéens. Or, si la tête ne se sent pas concernée, le corps ne le sera pas. Il n’y a rien de prévu au niveau du diocèse. C’est David Macaire l’archevêque de Martinique qui a composé et proposé une prière intitulée  » Neuvaine de prière pour la guérison des blessures de l’esclavage « . Elle a débuté le 18 mai dans les trois départements français d’Amérique et s’achèvera le 27. Je considère que je ne puis être prêtre en dehors de mon peuple. Je vais donc à titre personnel, prendre part à certaines manifestations qui auront lieu le 27 mai « .

Serge Nouy :  » J’appartiens à l’humanité « , Chef d’entreprise

«  Je considère que l’esclavage est une abomination. L’homme a toujours profité de plus faible que lui. L’abolition de l’esclavage est un acte essentiel. Il fallait bien que cela cesse et cela n’aurait jamais dû exister. Il faut commémorer. S’arrêter un moment, se recueillir, se souvenir. La commémoration me concerne parce que je suis un homme et que j’appartiens à l’humanité. Les gens les plus simples sont à mon avis les plus importants. Si vous supprimez l’éboueur et la femme de ménage, considérés trop souvent comme insignifiants, toute la société en pâtira. Personne n’est supérieur à personne. C’est mon schème de vie « .

VOX POP

 » Que ferez-vous la journée du 27 mai ? « 

Steve Romer, 33 ans, électricien, Gosier

 » Je ne vais rien faire de particulier, juste me reposer. C’est dommage que ce ne soit pas la même date dans l’Hexagone, je ne vois pas pourquoi c’est le 10 mai là-bas. J’ai visité le Mémorial ACTe la semaine dernière et ça m’a permis de comprendre des choses, mais je n’aurais pas dû y emmener mon jeune fils, car la visite est longue ! En tout cas, c’est bien qu’on soit les seuls à avoir un musée sur l’esclavage.  »

Micheline Déméa, 58 ans, infirmière, Les Abymes

 » C’est vrai que c’est notre histoire, mais en Guadeloupe, on met toujours le côté négatif en avant. Il faudrait fêter l’abolition de l’esclavage sereinement, avec recueillement. On pourrait faire des conférences avec des historiens, pour parler du côté positif de l’abolition. L’esclavage, ça nous révolte quand on y pense, mais il ne faut pas qu’on revienne à cette question dès qu’il y a une grève ou un conflit social.  »

Rémy Ramin, 31 ans, photographe, Abymes

 » Nous jeunes, on ne se soucie pas assez de cette commémoration. Je le déplore. Nous sommes trop enfermés dans un système de communication visuelle. Nous promotionnons toutes sortes de fêtes importées souvent en raison de leur caractère commercial comme Halloween. Aucun centre commercial n’a jamais promu la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Vous direz qu’ils ne se sentent pas concernés…  »

Patrick Hasbun, 54 ans, cadre dirigeant, Gosier

 » Les gens utilisent le 27 mai comme un jour de congé. Pas comme un jour de recueillement. C’est un tort parce que nous perdons les valeurs et les traditions du pays. Il y a 30 ans est-ce qu’un centre commercial aurait ouvert un Vendredi saint ? Nous avons pourtant tout pour faire : le Mémorial ACTe devrait être le lieu privilégié où organiser un événement avec des historiens, des philosophes et une grande communion.  »

Joélène Pougeol, 17 ans et demi, en Terminale, Sainte Rose

 » Je souhaite qu’un grand événement qui réunirait tous les Guadeloupéens soit organisé. L’idée c’est de se rappeler de tout ce qui s’est passé. Nous bâtirions une grande fresque historique. Un buffet géant gratuit devrait être organisé. Nous pourrions réunir un nombre conséquent de personnes. L’événement aurait de l’ampleur et attirerait l’attention du monde entier. Nous devons nous donner les moyens.  »

INSOUMISSION

Sur les traces des nèg mawon

70 randonneurs ; trois heures de marche. Vendredi dernier, le Parc national a organisé une excursion nocturne sur le thème du marronnage des esclaves. Reportage.

Sur le sentier boueux de Bras-David, à la lumière des  » chal touné  » en bambou confectionnés quelques instants plus tôt dans l’atelier animé par les agents d’accueil de la Maison de la forêt, les 70 randonneurs remontent le temps… Ce vendredi 20 mai, le Parc national de Guadeloupe a organisé pour la 3ème fois une sortie nocturne sur les traces des nèg marron, depuis l’aire de pique-nique de Corossol, à mi-chemin de la route de la Traversée. Une partie de la forêt qui était un haut-lieu du marronnage, car elle était située à proximité des habitations coloniales de Vernou et Prise d’eau.

Au cœur de cette forêt primaire luxuriante, entourés du chant des oiseaux et du coassement des grenouilles, cernés par les insectes volants, l’odeur de pétrole des flambeaux arrivant à leurs narines, les participants se sont mis dans la peau de ces anciens esclaves, un bandeau rouge ceint sur le front, pour une marche de trois heures. On pouvait presque entendre le son des tambours fabriqués en bois de caconnier, qui permettaient aux camps de nèg mawon de communiquer entre eux…  » Les esclaves insoumis pouvaient se battre de différentes façons : faire la grève du zèle ou saboter les moulins avec le  » figuier maudit « , mais la plus belle manière était le marronnage. Aujourd’hui, on retrouve encore des traces de leurs réduits « , raconte Patrice Segretier, guide de haute montagne.

Le marronnage a commencé par l’esclavage

Les esclaves avaient différentes façons de marronner, mais le faisaient aussi pour des raisons variées :  » Les esclaves créoles, qui étaient nés esclaves dans les habitations, pouvaient marronner quand ils étaient mal nourris ou fouettés, ou juste la nuit pour aller voir leur famille dans une autre habitation « , explique David Nazaire, guide de haute montagne.  » Les  » bosals « , capturés en Afrique, dont certains étaient de lignée royale, maronnaient, eux, pour la liberté. Ils arrivaient avec leurs pratiques africaines : dialecte, sorcellerie, utilisation des plantes médicinales. Ils étaient aussi polygames, mais avec un système matrilinéaire : les femmes ne se déplaçaient jamais dans le camp de leur mari « . Le marronnage en Guadeloupe a commencé dès l’arrivée des premiers esclaves : en 1656, Jean Leblanc et Pèdre étaient déjà les chefs d’une petite bande qui a semé des troubles entre Basse-Terre et Capesterre. Capturés et jugés, Jean Leblanc a été écartelé, et ses compagnons écorchés vifs. Au début, «  les premiers nèg mawon sont redevenus captifs des Amérindiens Kalinago, avant d’avoir un ennemi commun et des histoires d’amour, qui ont donné naissance à une langue et une culture mixte : celles des Garifunas ou  » Caraïbes noirs «  (red niggers en anglais) « .

Le camp des  » killers « 

Le marronnage s’est aussi poursuivi après l’abolition de l’esclavage, les nèg mawon continuant à vivre dans les bois de façon très organisée. Les camps, formés de 25 à 100 personnes, avaient tous un chef nommé «  le roi des bois « , sur les hauteurs de Capesterre, Goyave, Trois-Rivières ou Deshaies, et sur l’îlet Cousteau. Ils désignaient un chef suprême appelé «  le roi des rois « . Le plus grand camp, fortifié avec des palissades et un fossé rempli de piques, abritait 1 000 à 1 500 personnes. Dans ce  » camp des barbus « , les nèg mawon arboraient des bongos et se limaient les dents en triangle : les Anglais les appelaient les  » killers « .

Des bandes de cinq à 25 nèg mawon descendaient sur les habitations coloniales pour échanger du gommier blanc contre de la nourriture aux esclaves, ou pour faire des razzias. Après le rétablissement de l’esclavage en 1802, des blancs hostiles à l’esclavage les ont rejoints et leur ont donné des renseignements pour attaquer les habitations. David Nazaire évoque au détour d’un sentier sa rencontre il y a quelques années, avec le dernier descendant des nèg mawon, «  tonton Lépin « , alors âgé de 82 ans, et qui avait passé toute sa vie dans les bois, et seulement deux jours à l’école.

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