C’est un paradoxe qui écorne sérieusement la crédibilité climatique de la France : si elle se présente comme une grande puissance maritime et verte, c’est uniquement grâce à ses territoires d’Outre-mer, qui lui offrent la deuxième plus vaste zone économique exclusive du monde.
Pourtant, ces mêmes territoires, en première ligne du dérèglement climatique, en sont les grands oubliés. Une analyse du Réseau action climat France (association qui mobilise face aux questions climatiques), publiée le 29 octobre, à l’approche de la Cop30 à Belém (Brésil) du 10 au 21 novembre, est sans équivoque : ces joyaux stratégiques, vitaux pour l’influence internationale de la France, sont systématiquement marginalisés dans les négociations climatiques.
Retards criants dans l’adaptation, manque de représentation et absence de compensation pour les pertes déjà subies… La cécité politique, et la négligence des territoires sont une double trahison : envers les populations locales, et envers les accords internationaux que la France a signés. Le Courrier de Guadeloupe publie la note in extenso.
Montreuil, le 29 octobre 2025. Réseau action climat France
À l’approche de la COP30 à Belém, le Réseau Action Climat publie une analyse pour rappeler une évidence trop souvent ignorée : les territoires ultramarins, qui concentrent 80 % de la biodiversité française et subissent de plein fouet les effets du dérèglement climatique, demeurent marginalisés dans la diplomatie française sur le climat.
Deuxième puissance maritime mondiale, la France doit cette position internationale en grande partie grâce à l’héritage d’un empire colonial dont les territoires ultramarins sont le prolongement. Répartis sur plusieurs océans (Atlantique, Indien, Pacifique et Austral), les territoires d’outre-mer sont le résultat de dominations coloniales, de mouvements de résistances et de relations asymétriques qui perdurent aujourd’hui dans la diplomatie dite “française”.
80 % : Les collectivités d’outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française sur 22 % du territoire national. Elles concentrent plus de 98 % de la faune vertébrée et 96 % des plantes vasculaires spécifiques à la France.
Érosions, cyclones, montée des eaux, dégradation des écosystèmes… Malgré une grande vulnérabilité face aux impacts du changement climatique, les Outre-mer n’ont pourtant qu’une place symbolique dans les négociations internationales climatiques. Minimiser le rôle des populations qui habitent et défendent ces territoires constitue un manquement stratégique majeur : c’est priver ces écosystèmes de leur meilleure défense et risquer leur disparition.
Les Outre-mer français : des espaces stratégiques vulnérables et marginalisés
Les Outre-mer se trouvent aujourd’hui dans une position contradictoire : ils renforcent l’influence internationale de la France sans bénéficier d’une autonomie suffisante. À l’occasion des COP par exemple, les territoires ultramarins n’ont pas de délégation propre : leur représentation est désignée par Paris et intégrée dans la délégation française, leur participation n’étant pas systématique.
0 % : À la COP29, 0 % des négociateurs et négociatrices de la délégation française provenaient des territoires ultramarins.
Certains, comme la Polynésie française, ont pu envoyer de petites délégations autonomes, mais celles-ci ne sont pas intégrées à la délégation française ce qui restreint considérablement leur capacité d’action au sein des négociations. Cette intégration reste un levier politique essentiel.
La diplomatie française nie la pluralité et l’expertise ultramarine
Des Antilles à la Guyane, de l’océan Indien au Pacifique, les territoires ultramarins français se caractérisent par une diversité géographique, culturelle et institutionnelle.
Mais l’approche uniforme et centralisée de la pratique diplomatique française efface ces différences. La loi Zéro Artificialisation Nette (ZAN) en est une illustration éloquente : vouloir stopper toute progression nette de l’artificialisation des sols d’ici 2050 se heurte dans les Outre-mer à une réalité plus complexe. Pression démographique, inégalités foncières, vulnérabilité climatique extrême… La rareté des terres constructibles oblige souvent à urbaniser des espaces pourtant essentiels pour l’adaptation et la protection des populations.
Par ailleurs, l’inclusion effective des catégories les plus marginalisées, à l’image des peuples autochtones, reste lacunaire. Le recrutement diplomatique et le choix des représentantes et représentants officiels reproduisent trop souvent des élites locales éloignées des réalités sociales propres à ces espaces.
Pistes concrètes pour une diplomatie climatique plus inclusive
1. Former et autonomiser les négociateurs et négociatrices ultramarins sur le climat
Un obstacle récurrent est le manque d’accès des représentant·e·s ultramarin·e·s aux formations diplomatiques de haut niveau. Il est nécessaire pour y remédier de développer des programmes de formation et des viviers de jeunes négociateurs et négociatrices issus de chaque territoire. La mise en place de formations universitaires dédiées permettrait également de renforcer profondément l’autonomie intellectuelle et politique des futures générations ultramarines.
2. Assurer une représentation pluraliste et transparente lors des sommets internationaux
Pour assurer la présence systématique de représentant·e·s issu·e·s de différents territoires et appartenances sociales, il faut appliquer des critères clairs de sélection dans toutes les délégations. Au Canada par exemple, la participation des représentant·e·s autochtones dans les délégations officielles est structurée et institutionnalisée.
3. Soutenir l’autonomie diplomatique régionale
Certaines collectivités ultramarines, notamment dans le Pacifique, disposent déjà d’une capacité d’action propre dans leur région, illustrant la possibilité d’une diplomatie partiellement décentralisée. Pour étendre cette dynamique à d’autres bassins ultramarins, il faut renforcer les moyens dédiés à leurs représentations régionales. Les démarches de coopération autonome, à l’image de l’alliance Guyane-Amapá, doivent en outre être soutenues et institutionnalisées.
4. Organiser des Assises de la diplomatie des Outre-mer
Formulée dans le rapport d’information du Sénat, cette proposition permettrait d’instaurer un rendez-vous régulier associant société civile, territoires et État pour co-construire la stratégie diplomatique, notamment sur le volet climatique.
5. Garantir une représentation effective aux COP pour chaque territoire
Établir une diplomatie climatique juste et inclusive nécessite notamment un engagement de la France à s’assurer de la présence systématique d’au moins un·e représentant·e de chacun de ses territoires ultramarins au sein de sa délégation officielle aux COP. Cette évolution présente plusieurs bénéfices, tels que la visibilité accrue de la diversité au cœur des négociations internationales ou encore la valorisation des expertises locales.
Lire la tribune originale : ici



Poster un commentaire
Tu dois être connecté Poster un commentaire.