Personne ne conçoit une boulangerie sans four, une école sans élèves, une structure publique sans fonds. C’est pourtant la réalité de Guadeloupe formation et de l’École régionale de la deuxième chance (ER2C), privées de leurs labels Qualiopi et plongées dans une crise sans précédent. Derrière les explications enjôleuses du président de Région Ary Chalus se cache une réalité accablante : audits non réalisés, millions d’euros perdus, salariés sans statut et sans travail. Comment en est-on arrivé là ? Plongée dans les méandres d’une gestion désastreuse.
Qualiopi, le sésame perdu
Guadeloupe formation, le vaisseau amiral de la Région en matière de formation professionnelle, est hors-service. Il n’est plus titulaire du label Qualiopi, gage de qualité, ce label créé avec la loi Avenir professionnel de 2018, est devenu obligatoire au 1er janvier 2022. Il est décerné par le ministère du Travail, de l’emploi et de l’insertion aux organismes qui répondent à certains critères de qualité.
Consulté ce 31 janvier 2025, l’annuaire des entreprises dans la page consacrée à Guadeloupe formation indique « cette structure n’est pas certifiée Qualiopi ». Certification rappelons le, devenue obligatoire depuis le 1erjanvier 2022. Elle est d’autant obligatoire, qu’aucun organisme de formation professionnelle ne peut mobiliser des fonds publics que ce soit ceux de l’Etat, de la Région ou de France travail, s’il n’est pas certifié Qualiopi.
Les organismes de formation démunis de Qualiopi ne peuvent pas non plus bénéficier de financements mutualisés collectés dans le cadre du 1% formation prélevé sur la paye des salariés via les entreprises qui les reversent aux organismes paritaires collecteurs agréés (Opca).
Ary Chalus minimise
L’exécutif du conseil régional Ary Chalus a, le 6 janvier dernier au micro de la radio RCI, nié les causes et la portée de la perte de ce label. C’est juste parce « qu’il y a eu un retard de paiement, la facture est réglée, tout devrait rentrer dans l’ordre dans deux mois » a-t-il déclaré. Cette explication du Président de Région est trompeuse.
L’excuse du retard de paiement évoqué par Ary Chalus relève de la farce. Le Courrier de Guadeloupe a consulté plusieurs organismes de formation qui ont tous affirmé que le prix moyen de cette prestation se situe aux environs de 1 500 euros. Admettons que le centre régional de formation professionnelle, par sa taille, sa mission, ses antennes ait eu à payer cette certification cinq fois plus cher, elle aurait donc eu un retard de paiement pour seulement 7 500 euros ? Afin de garder une qualification dont dépend son fonctionnement ?
La réalité est plus grave. Le Courrier de Guadeloupe a consulté une série de mails entre l’organisme certificateur, en l’occurrence le bureau Véritas, et des cadres de Guadeloupe formation concernant cette certification Qualiopi. Il en ressort que Guadeloupe formation a reçu son certificat de qualification le 14 juin 2022. Mais ce n’était que le premier acte de la démarche. Le deuxième consiste à valider un audit de surveillance qui aurait dû intervenir en mai 2023. D’après la procédure en vigueur, un troisième audit de renouvellement serait venu confirmer la qualification trois ans plus tard.
C’est au niveau de cet audit de surveillance que la machine a coincé. Selon nos informations émanant de plusieurs sources différentes, cet audit n’a pas été mis en œuvre par Guadeloupe formation. Résultat : la certification est devenue caduque. Une situation tout aussi préjudiciable que s’il avait été réalisé et n’avait pas été concluant. Le directeur, Bernard Saulchoir, est le premier responsable de cette négligence. Un organisme de formation sans label Qualiopi est comme une voiture sans roue.
Inquiétude sur l’école de la deuxième chance
Dans les placards de l’action régionale pour la formation professionnelle, il y a bien une dette. Mais elle concerne l’ER2C, école régionale de la deuxième chance. Selon nos informations, un audit datant de 2023 n’avait pas été payé.
Plusieurs cadres de l’ER2C confirment que l’audit qualité de cet établissement a été réalisé, à cheval entre octobre et novembre 2024. « Ce fut catastrophique. Tout le monde savait que nous étions en train de perdre le label. Entre autres, il n’y avait pas le nombre suffisant de stagiaires en formation ou formés. L’encadrement lui-même était insuffisant. Il n’y a eu aucune action pour aller chercher le public destiné à cette école. D’où le tout petit nombre de stagiaires. Sans compter le manque de moyens pour travailler », décrit un agent du E2C.
En somme, l’ER2C est aussi sans label. Résultat : lorsqu’on consulte la carte des écoles de la deuxième chance en France, la Guadeloupe est le seul département d’Outre-mer a en être désormais dépourvu. Un autre cadre qui a également requis l’anonymat soutient que « le président Chalus a été informé personnellement en ce qui concerne la perte du label de l’ER2C, parce que c’est lui qui reçoit ce type de courrier en tant que président du conseil d’administration ». Et c’est aussi lui, au titre de l’exécutif régional, qui est garant de la politique d’accès à la formation professionnelle des jeunes et adultes qui cherchent à s’insérer rapidement et durablement dans le monde du travail.
L’avenir incertain de Guadeloupe formation
Privée de la certification Qualiopi, Guadeloupe formation ne pouvait en aucune manière répondre à l’appel à projets lancé par la Région Guadeloupe autorité de gestion du Fonds social européen (FSE) « pour soutenir les actions innovantes de préqualification et de formations qualifiantes, certifiantes, diplômantes sur des secteurs à potentiels d’emplois non existants sur le territoire et insuffisamment couverts », pour reprendre l’intitulé de l’appel à projets.
Car les organismes de formation candidats « devaient être déclarés auprès des Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités et titulaires de la certification Qualité ». Le montant du soutien financier était tout de même de 4 millions d’euros de fonds européens.
Le président de Région, lors de son interview sur RCI, a soutenu que la formation en Guadeloupe se porte bien. « Il y a 8 000 formations par an en Guadeloupe. La Région signe des conventions avec l’armée, et Pôle emploi », a renchérit Ary Chalus. Alors à quoi sert Guadeloupe formation qui emploie environ 180 salariés ? Comment justifier que la Région y consacre chaque année des millions d’euros ? Pour payer un directeur qui prive d’emploi son personnel, qui est dans l’impossibilité de justifier d’un volume de travail significatif en contrepartie de la rémunération avec de l’argent public ?
Un formateur dépeint la situation : « Un de nos collègues formateurs qui vient ici tous les matins n’a pas eu de stagiaires depuis trois ans. L’homme n’est pas loin de la dépression ». Un autre agent de Guadeloupe formation raconte : « Le démantèlement de Guadeloupe formation est déjà programmé ». Ary Chalus a glissé sur RCI qu «il y aura une réflexion à mener sur ce que deviendra Guadeloupe formation ».
Une structure à l’arrêt
Lors d’une réunion qui s’est tenue le 1erdécembre 2023 avec le syndicat CGTG au siège de Guadeloupe formation à Roujol Petit-Bourg, le directeur de l’établissement Bernard Saulchoir, avait confessé des aveux inquiétants : « Le budget n’ayant pas augmenté depuis plusieurs années, face à la situation, il s’agit de ne pas générer plus de dettes et de ne pas démarrer de nouvelles actions. C’est pourquoi il n’y a plus d’actions en cours, mais seulement celles qui étaient déjà engagées » expliquait-t-il.
Compte tenu du fait que « la génération des dettes serait principalement issue des activités de formation et que les fonds européens n’ont jamais été perçus de 2016 à 2021 » poursuivait Bernard Saulchoir, « Guadeloupe formation ne génère plus de formation ». Pour être tout-à-fait- complet, il faut ajouter que Guadeloupe formation ne dispense plus non plus de formation continue. Les locaux consacrés à cette activité à Jarry qui coûtaient en loyers 30 000 euros par mois, ont été remis à son propriétaire.
L’inquiétude a gagné les personnels de Guadeloupe formation. Plusieurs d’entre eux craignent de se retrouver au chômage. La plupart garde le silence mais quelques-uns laissent poindre leur colère. « Nous voyons bien qu’il ne se passe plus rien ici. Il reste à peine quelques bribes de formation mais rien de solide. Il n’y a plus de stagiaires. Depuis mai 2024, je n’ai rien à faire. Et concernant la direction c’est l’omerta. Ils ne disent rien », se plaint un agent formateur, la gorge nouée.
Le statut des salariés, l’autre mauvaise gestion
À Guadeloupe formation il y a toujours plus grave. Lors de la réunion du 1er décembre 2023 avec la CGTG, Bernard Saulchoir confirmait que la régularisation des salariés qui devaient devenir des agents publics n’était toujours pas effective. « La situation administrative des salariés a été constatée par la préfecture qui a failli déférer tous les contrats, car ils sont de droit privé dans un établissement public » confessait-t-il. Il reconnaissait : « C’est une menace qui pèse sur tous les salariés, mais [il] aurait obtenu oralement un moratoire pour achever la transposition avant la fin du premier trimestre 2024 ».
En cette fin-janvier 2025, rien n’a été entrepris. Les salariés de Guadeloupe formation n’ont toujours pas de statut. Ils appartiennent à une catégorie non-répertoriée, ni agents publics ni salariés privés.
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