Accueil Pouvoir Gouvernance Baie-Mahault brûle, les usagers trinquent, Chalus regarde ailleurs

Baie-Mahault brûle, les usagers trinquent, Chalus regarde ailleurs

Dans la nuit du 9 au 10 octobre, la commune de Baie-Mahault a subi de nombreux actes de vandalisme, en soutien à la grève des agents communaux.

• Candidat à la mairie, et observateur de son territoire, Joël Sylvestre «prend ses responsabilités» en livrant son analyse des dessous du conflit social qui agite la commune.
• Après un mois de grève, les deux parties ne parviennent toujours pas à trouver un accord. Retour sur une grève qui enflamme Baie-Mahault.

 

Interview : « La solitude de Polifonte est d’une violence inouïe »

Joël Sylvestre du mouvement convergence candidat aux prochaines municipales à Baie-Mahault appelle à « arrêter le bluff ».
Joël Sylvestre du mouvement convergence candidat aux prochaines municipales à Baie-Mahault appelle à « arrêter le bluff ».

Joël Sylvestre est avocat. Il est président du mouvement politique municipal « Convergence ». Joël Sylvestre a annoncé sa candidature aux élections municipales de Baie-Mahault sur RCI, mercredi 9 octobre. Il avait déjà été candidat à cette élection en 2001. Sans succès. Il livre son décryptage des dessous du conflit en cours à Baie-Mahault où le maire Hélène Polifonte fait face au syndicat UTC UGTG.

Le Courrier de Guadeloupe : Comment analysez-vous le conflit qui oppose le maire aux grévistes de la collectivité ?

Joël Sylvestre : Quand les gens se révoltent aussi violemment, c’est une fin de cycle qui s’annonce. C’est la dénonciation d’un système inéquitable. Or, aucune société ne peut perdurer sur la base d’inégalités. Les frustrations s’accumulent et un jour elles explosent. On veut tout casser. Le système est à bout de souffle. il y avait une acceptation autour d’Ary Chalus. Elle n’est plus. Une autonomie de pensée s’est instaurée. Y compris chez ceux qu’il a recrutés. Le mouvement paraît jusqu’auboutiste mais les inégalités ne datent pas d’aujourd’hui. Les grévistes ne sont pas fous. Ils agissent en période électorale. Moment délicat.

Comment jugez-vous la façon du maire de gérer le conflit ?

J’éprouve une certaine compassion à l’égard de Madame Polifonte. Sa solitude est d’une violence inouïe. Je n’ai vu aucun conseiller autour d’elle. À l’inverse, pendant les fêtes de quartier, les conseillers municipaux se bousculaient pour parler au micro. Y compris Ary Chalus qui aujourd’hui brille par son absence.

Vous voulez dire qu’il ne la soutient pas dans ce conflit ?

Il cherche au contraire à l’anéantir politiquement. Teddy Bernadotte directeur de cabinet à la Région était le remplaçant désigné de Madame Polifonte. Ary Chalus a démenti. Mais je confirme que c’était cela le projet. Je prends la responsabilité d’affirmer cela. Ce sont des gens de son cercle le plus proche qui me l’ont affirmé. Plusieurs cadres de la Région me l’ont confirmé. Il a lancé un ballon d’essai. Le ballon a crevé alors qu’il n’avait même pas pris son envol. Ary Chalus s’est rendu compte que la mayonnaise autour de Bernadotte ne prenait pas. Il y quelque temps, Ary Chalus revendiquait la paternité de sa majorité, son bilan. C’est lui qui formerait la liste et tutti quanti. Où est-il passé ? Il était aux Saintes pendant qu’il y a le feu à Baie-Mahault, alors qu’il y est pour un oui ou pour un non. Il faut arrêter le bluff. Ce pays a besoin de vérité.

Comment voyez-vous la suite de ce conflit ?

Au final, il sera sans doute réglé. Comment je n’en sais rien. En revanche, il laissera des traces. Pour la population c’est un choc. Depuis l’arrivée de Chalus à la mairie de Baie-Mahault, il n’y avait jamais eu de tels débordements. La population sait désormais que quelque chose ne tourne pas rond dans la maison Chalus.

Vous dites cela parce que vous êtes candidat aux municipales de Baie-Mahault ?

Oui, je suis candidat. Mais cela ne change rien à mon analyse. Le climat est malsain à la mairie. Ce n’est pas nouveau. Le côté positif de ce conflit c’est d’avoir révélé au grand jour une situation désastreuse qu’on faisait passer pour idyllique. Cela peut tout changer.


Chronologie d’une grève

« C’est la révolution en Guadeloupe ou quoi ? » Planté là, au milieu de la route, Nicolas ne peut contenir sa surprise. Les yeux écarquillés, les mains sur les hanches, il secoue sa tête de gauche à droite tout en marmonnant quelques mots dans sa barbe. « C’est quoi ça, c’est quoi le but ? » répète-t-il à voix basse. Ce jeune baie-mahautien de 25 ans rentre paisiblement chez lui lorsqu’il découvre, dans le rond-point de Destreland, une carcasse de voiture en feu, pile au niveau de la sortie qui mène vers le bourg. La nuit du 9 octobre a été particulièrement agitée à Baie-Mahault. Vers 18 heures, les gendarmes et les pompiers sont intervenus pour éteindre les feux allumés sur plusieurs barrages érigés sur des sites de la commune. Les pompiers ont été pris pour cible sur l’un d’entre eux, boulevard Nelson Mandela. Des individus les ont caillassés, ont menacé de mettre le feu au véhicule. Des vitres ont été brisées. Depuis plus de trois semaines les agents communaux sont en grève. Ils revendiquent, entre autres, une revalorisation de leur régime indemnitaire. En l’espace d’une nuit, la grève a pris une dimension extraordinaire.

• ACTE I : LES DEUX PARTIES SE RENCONTRENT

Par courrier en date du 5 septembre, l’UTC UGTG adresse à la ville de Baie-Mahault un préavis de grève prenant effet le lundi 16 septembre à zéro heure. Le syndicat demande l’ouverture de négociations sur plusieurs points. L’application de l’action sociale en faveur de l’ensemble des agents et un budget alloué, la revalorisation du régime indemnitaire de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) plus un complément d’indemnité annuelle, la mise en place de mesures de sécurité en faveur de tous les agents de la collectivité, ou encore la mise à niveau de l’UCPA, l’Unité centrale de production alimentaire qui selon les grévistes manqueraient d’entretien et d’équipements. Le jeudi 12 septembre, la maire, Hélène Polifonte, invite l’UTC UGTG à une première rencontre afin d’entamer les discussions sur le premier point relatif à la mise en œuvre de l’action sociale. Au terme de cet entretien il est convenu de transmettre par courrier à l’organisation syndicale les montants alloués par la commune aux prestations sociales pour les années 2016 à 2019. Chose qui faite le vendredi 13 septembre. Le jour même les discussions reprennent. Au bout d’1 h 30, les deux parties ne parviennent pas à trouver un accord. Elles bloquent sur l’application de la revalorisation du régime indemnitaire des agents. Un accord signé en 2016. « Tous les engagements concernant le protocole de 2016 sur le régime indemnitaire ont été respectés », assure Hélène Polifonte. « Nous avons dans un premier temps revalorisé le régime indemnitaire du personnel en passant de 1,5 à 3 en 2016. Et une augmentation qui était prévue conformément au protocole en janvier 2017 ». Ce régime n’est pas obligatoire, pourtant il a été appliqué à Baie-Mahault et revalorisé, d’après le maire de la commune. Du côté de l’UTC UGTG, on voit les choses d’un autre œil. « Lorsque le maire dit qu’elle a revalorisé le régime indemnitaire des agents en 2017, il faut rappeler que nous avons signé un accord avec elle en 2016 » raconte un représentant UTC UGTG des personnels grévistes de Baie-Mahault. « Cet accord devait permettre que l’ensemble des agents bénéficient de cette revalorisation. Au final il y en a beaucoup qui n’en ont pas profité, et ce que nous avons signé n’a pas été appliqué correctement ».

• ACTE II : LE MAIRE REFUSE DE CHARGER SA COMMUNE DE DETTE

Au lendemain de cette nuit agitée, la surprise est totale dans plusieurs établissements scolaires du bourg. Saccagés, la municipalité annonce leur fermeture ce jeudi 10 octobre. Les écoles maternelles Félix Edinval, Joseph Turlepin, Rosita Kammer, Mérosier Narbal et les écoles élémentaires Cora Mayeko, Louis Andrea 1 & 2 n’ont pas pu accueillir les élèves. Le maire décide de s’adresser à la population dans une lettre ouverte. Les négociations bloquent sur le point de revendication relatif à la revalorisation du régime indemnitaire. La revendication syndicale porte sur l’IFSE selon les fonctions exercées, du grade, du niveau d’expertise et de l’expérience professionnelle. « Il est essentiel de préciser que ces conditions d’attribution et de revalorisation ont été fixées et adoptées par délibération du conseil municipal du 31 août, ce, après un avis favorable de l’ensemble des organisations syndicales représentées au comité technique (dont l’UTC UGTG) », souligne le maire dans sa lettre ouverte. De son côté, toujours d’après les précisions d’Hélène Polifonte, l’UTC UGTG réclame « une revalorisation immédiate du régime indemnitaire »à hauteur de 150 % qui, après discussions, a évolué vers une augmentation de 120 % pour l’ensemble des agents de la collectivité« . Ce qui représente une augmentation moyenne de 350 euros mensuels par agent, soit un coût annuel de 2 726 448 euros. Des revendications auxquelles l’édile s’oppose fermement. »À l’heure où les maires sont pointés du doigt, il est hors de question que je puisse obérer les capacités financières de ma ville, qui se traduirait par une augmentation de vos impôts, en faisant droit à de telles exigences« . Pour l’UTC UGTG, ces explications ne sont pas valables.  »La collectivité de Baie-Mahault vote les montants maximums alloués aux agents lors d’une délibération, donc nos revendications ne coûtent pas un centime à la collectivité«  explique le représentant UTC UGTG des personnels grévistes de Baie-Mahault. Selon lui,  »dans le cadre de la délibération, il est possible de payer les revalorisations« . Malgré ces explications, Hélène Polifonte aurait proposé une solution : une »augmentation au cas par cas dans un souci d’équité, respectueuse des critères de la délibération, tenant compte des obligations du contrat de Cahors, et dans le respect des grands équilibres budgétaires« . Une solution qui ne semble pas convenir au syndicat puisque la grève est maintenue.

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