Guadeloupe. Le 19 février 2025. Lettre d’un citoyen soucieux d’équité
Que d’inquiétudes sur l’avenir du sucre de canne de Guadeloupe, cette douceur couleur or que l’on met dans les desserts ou qu’on ajoute au rhum. Le mouvement de revendication de la récolte 2024 s’était terminé avec un protocole de fin de conflit le 29 avril 2024, signé par tous, même l’Association des Producteurs Exportateurs de Canne de Guadeloupe (Assocane) qui existe depuis le début du siècle dernier et Gardel.
L’accord prévoyait de demander à des groupes d’experts de revoir la formule de la richesse, la livraison et l’analyse des cannes, le calcul des revenus des producteurs de canne et le modèle économique de la filière canne-sucre-rhum-énergie. La Région Guadeloupe devait financer l’étude d’un nouveau modèle économique autour de la canne et la répartition des aides avait été revue.
Car les aides dans la canne en Guadeloupe ne sont pas de vraies aides, elles sont calculées en fonction de la qualité des cannes. Quand la canne manque de sucre par carence de soleil et excès de pluie, les planteurs ont besoin d’argent pour améliorer leur situation et acheter des engrais et des intrants mais c’est là qu’on leur accorde le moins d’aide.
C’est comme si c’étaient des aides déguisées pour que l’on continue à livrer de la canne aux industriels du sucre qui eux continuent à payer la tonne de canne au producteur de canne environ 14 € comme avant les années 2000. Il faut ajouter l’énergie dans la filière canne-sucre-rhum, car la bagasse brûlée dans les centrales à biomasse d’Albioma depuis plus de 25 années n’est toujours pas payée aux producteurs de canne.
En plus, c’est grâce à la bagasse de la canne qu’ils ont pu, pendant plus de 20 ans, continuer à faire des bénéfices en brûlant du charbon, en dépit de tous les engagements de la Guadeloupe pour l’environnement. Le nouveau modèle économique qui devrait être proposé doit garantir un prix minimum de la tonne de canne au niveau du coût de revient, et cela quelle que soit la pureté du sucre exploitable.
Il doit permettre de prendre en compte tous les coproduits présents et futurs de la canne tels que la mélasse, le rhum, la bagasse, la cire, etc., et donc compenser les variations de la richesse en sucre et les cours des marchés internationaux.
Donc, tout était réuni à la fin avril 2024, pour limiter la casse et faire que le temps perdu à cause de la volonté de certains Agoulou Grands-Fales de continuer à manger toutes les subventions de la canne, afin que ce temps perdu soit rattrapé.
Mais c’était sans compter sur l’usine de Gardel qui a montré ses failles. Elle a connu un grand nombre d’arrêts et n’a été capable de broyer que moins de 270 000 tonnes de cannes, laissant plus de 150 000 tonnes sur pied. Officiellement c’est parce que la pureté des cannes était trop basse et cela ralentissait la fabrication des sucres.
On peut quand même se demander si cette usine est compétitive. En toute logique, une usine devrait adapter sa production à sa matière première et par l’inverse. Mais à trop chercher à vendre les œufs de la poule directement dans son derrière, Gardel a joué au grenndé sur sa production en prévendant du sucre qu’elle n’a pas été capable de produire.
On s’est même demandé pourquoi, alors qu’ils avaient des obligations de produire des sucres pré-vendus, ils n’ont pas cherché à régler le conflit plus tôt et venir négocier avec le Kolèktif des agriculteurs (KdA) qui s’est mis en place en 2023 et le collectif des syndicats. Une Tatie Clairin qui tient son bar à tafiateurs gérerait avec plus d’efficacité son business ; Elle n’ouvrirait jamais sa petite boutique avant d’être certaine d’avoir assez de guildive à vendre.
Après de nombreux retards, le premier groupe d’experts a conclu en octobre 2024 qu’il fallait plus de transparence et de communication entre les producteurs de canne et les usines. Et ils ont demandé la révision de tous les paramètres de la formule de la richesse qui, avec le temps, ne permettent pas de déterminer la quantité de sucre dans la canne cultivée aujourd’hui.
Les huit experts, chercheurs, enseignants, ingénieurs, des « Grands Grecs », ont demandé de payer séparément chacun des produits de la canne pour plus de clarté. Nos arrière-parents avaient raison. Le prix de la tonne de cannes n’est pas clair avec la formule de la richesse et ça depuis plus 40 années, ça manque de lisibilité, sa pa klè menm !
Les partenaires de la filière canne-sucre se sont rencontrés en décembre 2024 et en janvier 2025. Mais à la tête de l’Interprofession guadeloupéenne pour la canne à sucre (Iguacanne), organisation interprofessionnelle reconnue par l’État depuis 2006, c’est au tour des industriels. Donc après deux années de direction assurées par un vendeur de cocos censé se battre pour les producteurs de canne, le directeur de l’usine de Marie-Galante la SA sucrerie et rhumerie de Marie-Galante préside l’Iguacanne.
Les directions des usines de Marie-Galante et du Moule qui sont membres de L’Assocanne, l’association historique des producteurs et exportateurs de sucre, ont fait comme si le rapport des experts guadeloupéens n’existait pas. Comme si toutes les propositions faites n’avaient pas de sens et ils se sont encore une fois accrochés à la vieille formule de 1984 que même l’Union des producteurs agricoles de la Guadeloupe (ancien Union des paysans pauvres de Guadeloupe) demandait à réformer.
La situation actuelle vient directement de l’immobilisme à l’Iguacanne. Les paramètres de la formule de la richesse ne sont plus valables et ne représentent pas la réalité physique parce qu’ils n’ont pas été mis à jour depuis plus de 40 ans. C’est tellement grave que le Centre technique de la canne et du sucre (CTCS), qui devrait être l’organisme autorisé à proposer la meilleure formule pour évaluer le pourcentage de sucre exploitable dans la canne ne peut pas garantir que le volume de canne analysé par chariot est le bon et n’a pas les moyens d’assurer les analyses de toutes les livraisons en cas de panne d’une balance.
Pour le moment, les modifications proposées et validées au sein de l’interprofession ne concernent que des points qui ne remettent pas en cause une formule de la richesse utilisée comme une formule de paiement et non une formule de mesure de la quantité de sucre extractible par chacune des usines telle que le décret de 1964 le prévoit.
Les autres modifications vont permettre d’informer un peu mieux les producteurs de canne mais pas de garantir que les analyses sont faites dans de bonnes conditions et permettre de valider scientifiquement les résultats de la formule. Finalement, la filière se met hors la loi et valide des solutions d’analyse injustes. Si tout cela continue, les producteurs, et même les gros, vont encore devoir jouer au casino en livrant leur canne à l’usine. Ils peuvent espérer un jour un coup de chance et faire fortune, mais la maison ne perd jamais.
Aux prochaines conditions météorologiques difficiles, on va encore perdre des producteurs et des champs de canne à sucre à cause d’un prix d’achat de la tonne trop faible. Avec l’industrialisation, les coûts de la production d’une tonne de canne évoluent avec le prix du pétrole et il ne baisse pas assez.
Le prix d’achat de la tonne de canne sera à nouveau cette année pour les cannes de haute qualité entre 95 et 115 € avec les aides bien sûr, donc pour ceux qui ne doivent d’argent ni aux impôts, ni à la sécurité sociale. C’est loin de permettre d’atteindre la rentabilité minimale entre 120 et 160 € la tonne de canne comme demandé l’année passée par les producteurs.
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