HOMME FORT
Le chef d’entreprise emblématique et créateur du tour de Guadeloupe en voile traditionnelle (TGVT) a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) lundi 15 juin au matin. De nombreux médias ont annoncé sa mort. À tort. Mercredi 17 juin à l’heure où nous bouclons cette édition, Patrick Forbin hospitalisé au CHU de Pointe-à- Pitre/Abymes se bat toujours pour la vie. La Guadeloupe croise les doigts.
Vraie force de la nature, costaud et bien campé sur ses jambes, Patrick Forbin est taillé dans le roc. Son physique contraste avec son caractère affable et son calme presque débonnaire. Et pourtant l’homme est hyper dynamique. Sur son chantier, il a l’œil à tout et intervient toujours à bon escient. Patrick occupe une place importante dans la tribu Forbin. Côté mer évidemment. L’espace maritime n’est pas seulement son environnement. C’est sa raison d’être. Si son frère Jean opte comme son père Rosnel pour la charpente maritime et plus tard la résine pour faire face à la modernité, Patrick lui, choisit la mécanique, la maintenance et surtout s’intéresse à la voile et à la compétition. C’est lui qui crée avec quelques amis dont Jacques Louisy, Xavier Cordoval et le maire de Saint-François Laurent Bernier le tour de Guadeloupe de voile traditionnelle (TGVT) qui n’a cessé de grandir en notoriété. De fait, Patrick est avant tout un marin et il a remporté de nombreuses compétitions en voile traditionnelle. Mais pas uniquement puisqu’il a eu l’occasion de participer brillamment à la défunte transat des Alizés qui en son temps reliait Casablanca à Pointe-à- Pitre.
DU CÔTÉ DE LA SCIENCE
L’AVC, n’est pas une fatalité
Sur le plan mondial, c’est la troisième cause de mortalité. Sur le plan national c’est également la première cause de handicap chez l’adulte et la deuxième cause de démence dans les pays occidentaux. La Guadeloupe n’échappe pas à ces statistiques car selon l’Agence régionale de santé, il y a 800 hospitalisations chaque année de victimes d’accidents vasculaires cérébraux. Un fléau qui toucherait essentiellement les séniors aurait-on tendance à croire. Mais en réalité même si le nombre et la probabilité des AVC augmentent avec l’âge, de nombreux jeunes en sont les victimes, selon le ministère de la santé.
Un Guadeloupéen aurait 50 % de risque de plus d’être sujet à un AVC qu’un Vendéen ou qu’un Ariégeois. La forte prévalence d’AVC sous nos latitudes serait liée aux deux facteurs aggravants que sont l’hypertension artérielle et le diabète. Deux maladies plus fréquentes chez les Guadeloupéens que dans l’Hexagone et qui augmentent le risque d’accident vasculaire cérébral. Nous ne sommes pas donc tout à fait égaux devant l’AVC, menm si maladi paka achté. La sédentarité qui se développe, la mauvaise hygiène alimentaire qui se banalise sont par ailleurs autant de causes de ces maladies aggravantes.
I fè on konjèsyon ! Avant que la maladie ne soit bien identifiée, c’est cette idée de congestion qui revenait pour définir l’accident vasculaire cérébral que l’on associait souvent à un coup de sang ! Mais en réalité, selon le Dr Cosmin Alécu, neurologue, le stress ou le surmenage ne sont pas des facteurs concourant directement à un AVC. » Quelqu’un qui n’est pas bien peut développer tout un tas de maladies, mais pas plus un AVC qu’un cancer « , précise le responsable de l’unité neurovasculaire du CHU de Pointe-à-Pitre/Abymes.
Emballement médiatique, famille bouleversée
Lundi 15 juin au matin vers 8 heures, alors qu’il était déjà sur son chantier, Patrick Forbin s’affale d’un seul coup. Les secours arrivent très vite, les pompiers d’abord, puis le SAMU. Il est transféré au CHU. Patrick Forbin vient d’être victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Le jour même, en fin d’après-midi, sa mort est annoncée par plusieurs médias et non des moindres. En réalité, mercredi 17 juin à l’heure nous bouclons cette édition, Patrick Forbin se bat toujours pour la vie. Selon des proches il aurait bougé les membres mardi soir vers 18 heures. Un signe qui redonne espoir à la famille particulièrement agacée de démentir la mort de Patrick Forbin, alors qu’il n’en est rien. Cela dit, le combat n’est pas encore gagné. Le vaillant marin se bat toujours et la Guadeloupe espère qu’il sorte victorieux de cette terrible épreuve.
Une prise en charge efficace en Guadeloupe
Depuis la création d’une unité et d’une filière neuro-vasculaire en 2010, la prise en charge des AVC s’est organisée de façon efficace en Guadeloupe. Sapeurs-pompiers, SAMU et services des urgences du CHU Pointe-à-Pitre/Abymes, du CHBT à Basse-Terre ou encore de Marie-Galante mais aussi les services de radiologie, de neurologie et de rééducation se sont coordonnés pour la prise en charge rapide des victimes d’AVC. Car en la matière, le temps c’est la vie. Plus le délai entre les premiers signes avant-coureurs et la prise en charge est réduit, plus les chances de survie et de rétablissement du malade sont importantes. Des signes d’alerte largement diffusés dans les campagnes de sensibilisation organisées ici et dans l’Hexagone : déformation de la bouche, faiblesse d’un côté du corps et troubles de la parole. Actuellement, une seule unité neuro-vasculaire existe dans l’archipel en raison du nombre insuffisant de neurologue.
7 NOVEMBRE 2015
Un symposium où côtoyer les professionnels de santé
Le 7 novembre prochain, l’association France AVC Guadeloupe et l’unité neurovasculaire organiseront un symposium » AVC et égalité des chances dans les îles de Guadeloupe « , à destination des professionnels de santé. Une manifestation qui se déroulera à la Bibliothèque multimédia de Baie-Mahault, ouverte également au grand public.
21 JUIN 2015
Une journée pour prévenir et sensibiliser sur l’AVC
Sensibiliser toujours et encore sur l’accident vasculaire cérébral et sa prévention, c’est le sens de la manifestation » Maho’s Littoral » organisée ce dimanche 21 juin à Baie-Mahault, dans le cadre de la fête patronale. Une marche de 2,5 km et une course de 5 km sur le littoral sont organisées et le total des frais d’inscription sera reversé à France AVC Guadeloupe pour les aider à accompagner les malades et les familles. Une conférence-débat se tiendra sur le thème : » AVC, prévenir pour éviter des conséquences graves » et un village santé et plusieurs ateliers sportifs seront ouverts aux visiteurs jusqu’à 14 heures.
FORBIN
Plus qu’un nom, une famille et une histoire…
Un nom entré dans le patrimoine culturel, qui impose le respect au Carénage à Pointe-à-Pitre, et en Guadeloupe.
Ancienne cité-dortoir de l’usine Darboussier, Carénage est aujourd’hui plus connu pour ses belles-de-nuit latinos. Le temps y a fait son œuvre. Mais les mutations diverses ont laissé la réputation patronymique intacte. Parler des Forbin, c’est d’abord comprendre comment ces natifs du Gosier ont réussi en quatre générations à peine à se faire un nom dans un quartier, puis à l’échelle de la Guadeloupe tout entière. Curieusement c’est dans cette zone de Carénage où depuis des siècles les marins venaient remettre en état leurs embarcations que bon nombre d’ouvriers de l’usine sucrière toute proche venaient s’installer. Mais pour la famille Forbin le destin sera un peu différent.
Le grand-père
Arrivé du Gosier, le grand-père s’y installe avec sa famille. Madame, comme bon nombre de femmes à l’époque, travaille à la compagnie, sur les docks de Pointe-à-Pitre où tout se décharge. Portant de lourdes charges sur la tête. C’est ainsi qu’on gagnait sa journée. Plus tard, elle vend aussi du charbon. En l’absence d’un gaz butane encore marginal, c’est le carburant idéal pour une cuisine de premier choix.
Le père
C’est dans ce contexte que son fils, fait sien ce nouvel univers et se forge une réputation en acier trempé. Il faut dire que Rosnel a le coup de poing facile contre ceux qui osent lui chercher noise ou, crime de lèse-majesté profaner son nom de famille. En réalité, entre les oncles, les tantes, les cousins, les cousines, des Forbin, il commence à y en avoir beaucoup dans le quartier. Le message finit par passer : » On ne s’en prend pas à un Forbin en toute impunité « . C’est un gamin comme cela, toujours bien mis mais qui ne fuit jamais devant un combat. Sa vie professionnelle en sera marquée, lui qui ne reculera devant aucun défi, mais toujours en cultivant une quelconque originalité. Professionnellement, là où d’autres choisissent le travail à l’usine, lui choisira la mer et le monde de la pêche, très présent au Carénage. C’est un créatif. La routine l’ennuie. Il saura avant tout le monde tirer parti de ses prédispositions. D’abord, en tant que charpentier de marine. Il sait donner aux canots traditionnels qui naissent de ses mains, les bonnes courbes. Il réinvente le métier au gré de ses expériences et s’en fait une solide réputation. Dans le métier, son nom fait référence. Une réputation louée par une célèbre chanson quand lors d’une compétition de canots à voile traditionnelle, son bateau fétiche » Angélina » cloue sur place ses adversaires et entre dans la légende. » Angélina joli bateau… » vante son savoir-faire et l’inscrit au patrimoine culturel de la Guadeloupe. Mais à cet homme qui bouillonne sans cesse d’idées neuves, il faut déjà d’autres challenges. L’idée lui vient alors de construire un mouillage où les bateaux de ses locataires pourraient être aux abris. Ce premier mouillage de l’île, construit de façon rudimentaire d’abord puis modernisé ensuite marque le début d’une nouvelle ère. D’une nouvelle vie aussi, car non loin de là, marins voisins et amis peuvent déjà venir se détendre autour d’un verre et déguster les » pissiettes » et » coulirous » que son épouse excelle à cuisiner.
Les fils
Un mouillage, un bar, et une clientèle toujours présente, c’est dans ce contexte que grandit la troisième génération avec le petit Patrick pour aîné. De fait, la nouvelle génération structure, organise, gère et fait de l’idée d’un père, une véritable entreprise familiale occupant plusieurs segments du secteur et forçant le respect dans le quartier mais également à l’échelle de leur ville, Pointe-à-Pitre. Tous les éléments sont réunis pour faire de cet espace une véritable réussite. Et c’est Patrick qui emboîtera le premier les pas de son père. L’homme passionné de course au large sera des premiers à tirer bénéfice des retombées médiatiques de la Route du Rhum et de la défunte transat des Alizés à laquelle il participera avec brio au sein d’un équipage de passionnés guadeloupéens. A-t-il compris que le vent de la modernité doit emmener la réputation de la famille vers d’autres ports ? Au contact de toute cette foule qui désormais se passionne pour la mer, il ouvre les yeux et les oreilles sur ce qui se fait de mieux en matière de construction navale. Lui aussi sera pionnier et comble un vide. Il devient désormais possible de réparer ou caréner les bateaux de plaisance ou de pêche en Guadeloupe. Cela suppose un équipement lourd dont il se dote et qui permet aux chantiers Forbin d’entrer dans une nouvelle ère. Mais en bon compétiteur et en bon marin guadeloupéen, il reste solidement attaché à la tradition, à la course en canot à voile traditionnelle. L’homme n’oublie pas son que père est un militant acharné de la cause du bois qui toute sa vie défendra l’embarcation traditionnelle et a su communiquer à lui et à son frère l’amour de ce matériau. Rien d’étonnant alors que Jean Forbin hérite des outils de son père. Lui aussi, tout en excellant dans la construction de canots en bois ouvre aux chantiers Forbin les portes de la modernité et se lance également dans la construction d’embarcations en résine et fibre de verre. Avec le temps, la réputation ne faiblit pas. Mieux, elle s’étend. Jean devient formateur au service d’une jeunesse en quête d’avenir. Pour réussir, il faut un bon équipage, de la stratégie, mais surtout un bon bateau de compétition. En la matière, les chantiers Forbin font merveille. Du choix du bois de construction à la mise à l’eau, Jean Forbin supervise toutes les étapes avec soin. À croire que son père lui a réservé ses secrets de fabrication. Aujourd’hui, le patriarche des Forbin n’est plus, mais la légende demeure inaltérable. Le rendez-vous, c’est désormais le restaurant du mouillage qui a remplacé le bar d’antan et cet espace de proximité, mi-cybercafé, mi-espace de reprographie de proximité que tiennent les filles. Le mouillage quant à lui pourrait raconter les exploits sportifs de la famille. Car ils sont de toutes les compétitions et raflent de nombreux prix particulièrement lors du tour de Guadeloupe en voile traditionnelle où le nom de Jean Forbin a remplacé celui de Patrick son frère. Une dynastie résolument tournée vers la mer et qui s’y est forgé un modèle économique pérenne.
Les petits-fils
Une vraie fratrie où règne la solidarité des hommes de la mer. Et si l’on considère les prouesses de la quatrième génération, on peut se dire que nous n’en sommes qu’au début. Le nautisme évolue et se diversifie alors eux rêvent d’ailleurs. Dans son chantier où il construit lui aussi des bateaux en résine et fibre de verre Mathieu, le fils de Patrick, se prépare ardemment à concourir au large. Marc son frère a accroché en 2014 un titre mondial au palmarès familial en bon champion du monde 2 014 de scooter des mers. Vous avez dit l’appel du grand large ?
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