Martinique. Le 9 octobre 2024. Eddy Arneton
L’heure n’est plus à rire du comportement amusant du préfet de la Martinique lors de la table ronde des 26 et 27 septembre derniers. La dénonciation des actions mortifères d’un pouvoir engoncé dans des réflexes violents d’une époque prétendument révolue s’impose car ne rien dire revient à être complice.
La stratégie du pouvoir dans les territoires dits d’Outre-mer pour faire taire la colère sociale suit un plan bien huilé maintes fois utilisé.
La colère, lorsqu’elle sort de la bouche de la jeunesse Corse, ou lorsqu’elle sort des tracteurs des agriculteurs français, doit être « entendue » selon les décideurs publics hexagonaux, celle des Martiniquais doit être matée : telle est la spécificité du traitement réservé à ce territoire et à ses voisins dont ne se départit jamais l’État depuis des siècles ; pour s’en convaincre, rappelons la répression de la révolte de 1870 durant laquelle milices, forces de l’ordre, justice eurent à cœur de réprimer dans le sang et l’emprisonnement les velléités de justice des Martiniquais, plus récemment, les militants anti-chlordécone en Martinique, les Grands frères en Guadeloupe connurent à peu de chose près ce sort peu enviable.
Quand une population réclame plus de justice, le préfet doit avant toute chose refuser une revendication légitime sans aucune raison valable pour arriver à un point de bascule. En l’espèce, il s’agissait de refuser au RPPRAC (qui avait avec brio mis sur l’agenda politique et social le sujet de la vie chère en Martinique) la diffusion en direct de la table ronde sur la crise sociale. Puis, il s’agit d’attendre patiemment l’entrée en lice d’une frange de la population, le lumpenprolétariat, qui dégradera la lutte initiale par la violence, ce qui autorisera alors tous les amalgames et l’exercice d’un pouvoir coercitif disproportionné.
Le préfet se dira ensuite contraint de décréter le couvre-feu, son arme favorite en Martinique, laquelle n’est cependant sortie que pour les très grandes occasions en France hexagonale.
Cet outil, dont les racines se trouvent dans le régime de Vichy, utilisé durant la guerre d’Algérie par Maurice Papon contre les Français musulmans d’Algérie, n’est pas, contrairement à ce qui est allégué, utilisé pour rétablir l’ordre public en Martinique.
L’annonce du couvre-feu est en vérité la première pierre de l’édifice, elle excite l’opinion publique nationale, qui raffole du feu en « Outre-mer » – et dont une partie estime qu’au loin, comme d’habitude, il y a des gens, voire des bêtes, qui finiront par se calmer avec quelques coups de bottes, et conditionne l’opinion locale à la courbure d’échine pour ce qui suivra : la violation des libertés fondamentales et la répression.
Le couvre-feu n’est autre qu’un cheval de Troie.
Ainsi, c’est avec effarement qu’on apprendra que postérieurement à la décision de couvre-feu, le préfet interdira purement et simplement des manifestations dont nul ne saurait nier le caractère pacifiste, c’est avec des haut-le-cœur qu’on verra Fort-de-France en état de siège, l’entrée de la ville capitale, étant bloquée par des fourgons de gendarmerie pour interdire l’accès à la ville des camionneurs qui se joignaient au mouvement de façon tout à fait pacifiste, et enfin, c’est avec effroi et écœurement qu’on apprendra l’arrivée de la CRS 8 en Martinique.
Dans un régime démocratique, le principe est qu’il n’existe pas de pouvoir sans responsabilité de celui qui l’exerce.
Nous touchons du doigt les confins du juridisme tant semble lointaine la juridiction qui retiendra la responsabilité pénale, pour blessures involontaires ou homicide involontaire, du préfet qui lâcherait dans les rues de Martinique la CRS 8, faute caractérisée du représentant de l’État car il aura exposé les victimes de ces policiers à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. On nous opposera, nous le savons, que ce n’est pas une faute détachable de ses fonctions.
Quant aux interdictions de manifester, au blocage injustifié de la ville de Fort-de-France, comment ne pas y voir les violations répétées de la liberté d’expression et de celle d’aller et venir, actes attentatoires à la liberté individuelle caractérisant l’abus d’autorité prohibé par l’article 432-4 du Code pénal.
Ainsi, la situation de ceux qui réclament en ce moment de se nourrir dignement est-elle tragique : la gestion de la colère sociale par la force par un seul individu exerçant un pouvoir trop grand pour lui qui n’entraînera une mise en jeu de sa responsabilité pour les éventuelles agressions subies par la population que de façon hypothétique.
Le 7 octobre 2024, le sang de manifestants pacifiques a coulé. Encore une fois. Il est indigne pour un pays qui se prétend être celui des droits de l’homme d’user d’une stratégie aussi violente à l’endroit des mêmes populations : le piétinement des libertés fondamentales puis des corps.
La fin de l’État de droit qui semble être prônée par le nouveau ministre de l’Intérieur est une réalité en Martinique, observer ce qui s’y passe équivaut à regarder l’avenir de la France : demander du pain, c’est risquer de recevoir du plomb !
Pourtant, un changement de paradigme est nécessaire dans l’utilisation par le représentant de l’État des outils juridiques coercitifs qui sont à sa disposition, de surcroît, lorsqu’une population dit simplement qu’elle a faim.
Qu’enfin, les préfets, en poste en Martinique, à la moindre alerte, ne perdent pas leur sang-froid et ne rognent pas sur les libertés fondamentales des Martiniquais car ce comportement attaque la population dans sa dignité et à sa suite la démocratie, modèle si souvent brandi par la France comme valeur universelle. La vie coûte incontestablement chère en Martinique, nos libertés fondamentales, surtout en temps de crise, lorsqu’elles sont maltraitées par l’État, sont un prix bien trop élevé qu’il faut également refuser de payer. Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge !, nous a appris le Penseur.
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