Le tribunal administratif de Basse-Terre a rendu lundi 1er février 2016, une ordonnance qui condamne la communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre (CASBT) à payer au syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) la somme de 3 464 368,72 euros à titre de provisions. C’est une décision contraire à celle qui avait été rendue en référé le 6 octobre 2015. Cette sentence avait débouté le SIAEAG qui réclamait le paiement de l’eau qu’elle fournit au territoire du Sud Basse-Terre. Le juge avait fondé sa décision sur l’absence de contrat entre les deux entités pour repousser la demande du SIAEAG. Cette fois le syndicat a motivé sa demande sur la notion d’enrichissement sans cause et sa requête a abouti. Le juge a également repoussé la notion de l’autorité de la chose jugée dont se prévalait la CASBT eu égard au premier jugement en référé rendu en sa faveur. Le juge s’est appuyé sur le prix moyen de l’eau vendue par le SIAEAG aux autres communautés d’agglomération, pour en fixer le prix, et calculer la provision.

 

REACTION

Laurent Bernier se montre inflexible

Joint par téléphone mardi 2 février en fin de journée, Laurent Bernier, président du syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe (SIAEAG) se dit  » naturellement satisfait de cette décision en faveur du syndicat  » (ndlr sa requête pour enrichissement sans cause a prospéré et vu la condamnation de la CASBT à payer 3,5 millions d’euros de provisions au SIAEAG). Le président du SIAEAG, agacé, dit «  n’avoir aucune illusion « . Il sait que Lucette Michaux-Chevry ne cédera pas sur sa décision de ne pas adhérer au syndicat unique de l’eau et qu’elle fera tout pour ne pas payer. Aussi nous a-t-il indiqué, il ira  » jusqu’au bout et emploiera les voies et moyens mis à sa disposition pour faire exécuter l’ordonnance du tribunal administratif. Lucette Michaux-Chevry dit qu’elle n’a rien demandé au SIAEAG. J’aimerais savoir comment elle s’y prendrait si le SIAEAG ne fournissait plus d’eau à la CASBT ? « . Envisagez-vous de couper l’eau, lui avons-nous demandé ? Laurent Bernier a répondu sur un ton grave : «  faire des menaces, n’est pas ma pratique « . Toutefois, il a réitéré  » sa volonté de faire payer la CASBT, et de mettre en place les procédures pour qu’il en soit ainsi.  »

 

ECLAIRAGE

Pourquoi Lucette Michaux-Chevry entrave la création de Eau de Guadeloupe…

Énergique, et revigorée malgré le revers judiciaire essuyé par la CASBT face au SIAEAG, LMC réaffirme son refus d’adhérer au syndicat unique de l’eau. Retour sur ses principales déclarations, à l’antenne et hors-micro, sur RCI le 1ère février dernier.

 » Jamais, vous entendez, Jamais je ne signerai l’entrée de la CASBT dans ce syndicat unique de l’eau. Personne ne me fera plier « . Lucette Michaux-Chevry agite sa main droite avec une énergie farouche pour appuyer son refus. La présidente de la communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre (CASBT) interrogée en direct à la radio est venue lundi 1er février dernier à 18 h 30 sur le plateau de RCI dire sa vérité. Sa principale bête noire : la Générale des Eaux qu’elle soupçonne  » de tirer les ficelles en coulisse « . Condamnée à payer près de 3,5 millions d’euros dans le conflit qui l’oppose au SIAEAG, la CASBT vient d’essuyer un vrai revers. Mais curieusement, la dame de Basse-Terre en est plutôt revigorée. Sa voix prend des inflexions rassurantes, presque charmeuses, et puis brusquement elle se fait tonitruante. Lucette Michaux-Chevry fulmine :  » Le syndicat unique vendra de l’eau. Il n’est question nulle part dans les statuts des canalisations. Or c’est l’unique problème à régler « . Lucette explique que l’État veut la contraindre à entre au syndicat en exerçant sur elle des pressions. Elle cite sa mise en examen dans une affaire de travaux réalisés dans son appartement de Paris et la condamnation de la CASBT dans l’affaire qui l’oppose au SIAEAG. Et conclut, hors micro, que  » le préfet aura du mal à prendre son décret sans ma signature. S’il avait pu le faire il l’aurait déjà fait.  » L’obstination de Lucette Michaux-Chevry se nourrit d’une condition sine qua none énoncée par le président de la République lors de son passage en Guadeloupe en mai 2015 à l’occasion de l’inauguration du Mémorial ACTe. François Hollande avait indiqué que  » l’aide de l’État était subordonnée à une gestion unique de l’eau.  » Mettez-vous d’abord d’accord avait-il dit en substance. On n’y est pas encore.

 

VOX POP

Les Capesterriens prêts à descendre dans la rue

Ils craignent des coupures d’eau complètes, ce qui serait selon eux,  » un comble pour la commune qui fournit la majeure partie de l’eau potable en Guadeloupe !  » Florilèges de réactions glanées à Capesterre Belle-Eau.

Alexandrine Déferi, Monrepos

Sa maison est normalement alimentée en eau.

La condamnation de la CASBT ? C’est une affaire qui aurait dû se régler entre décideurs de la question de l’eau. Sans passer par un tribunal. Une fois de plus je réalise que c’est la population qui est prise en otage. Si nous étions privés d’eau, ils verront de quel bois se chauffent les Capesterriens. Nous verrons avec les associations, notamment avec Monsieur Paran ce qu’il y a lieu de faire. Je serais prête à descendre dans la rue.

Yolène Héry, Routhiers

En dehors des tours d’eau hebdomadaires, elle reçoit de l’eau régulièrement.

Pour moi, la condamnation de la CASBT est une affaire de politique et de gros sous. Les élus pouvaient bien régler cette question entre eux. Une fois de plus c’est la population qui en fera les frais. Je suis une jeune maman, il n’est pas question pour moi de rester sans eaux à cause de cela. Si d’aventure nous étions privés d’eau, je crois que la population de Capesterre Belle-Eau, moi comprise, descendra dans la rue pour se faire entendre.

Guy Laverderie, La Sarde

Depuis 2013, ne sait pas ce qu’est avoir de l’eau au robinet

La condamnation de la CASBT ? C’est de la politique. Rien de plus. Depuis 2013 nous n’avons pas vu un robinet d’eau potable couler régulièrement chez nous. Dans de telles conditions, nous ne risquons pas de voir la différence si on coupait l’eau. Nous nous sommes déjà organisés. Nous avons fait l’acquisition de deux citernes. L’une de 2 000 litres, l’autre de 3 000. Nous recueillons l’eau pluviale pour l’usage domestique et la commune nous livre chaque samedi dix litres d’eau potable pour la semaine. Mais là encore, les livreurs ne passent pas régulièrement. Nous ne les avons pas vus samedi dernier (ndlr 30 janvier). Vu notre situation, pas question de nous facturer quoi que ce soit.

David Royer, Carangaise

À régulièrement de l’eau, sauf lors des tours d’eau.

Sa pa bon minm ! L’eau sort de Capesterre Belle-Eau et nous sommes sanctionnés. Ce n’est pas normal. Si le SIAEAG coupe l’eau, je me rapprocherais du comité de l’eau dont je suis adhérent pour savoir ce qu’on décide de faire. Mais on ne laissera pas passer ça.

Astrid Amiens, Fonds Cacao

Subit des coupures tous les 2 ou 3 jours.

Dans cette affaire, il n’y a pas que les politiques. C’est d’abord des femmes, des enfants. Ils devraient y penser un peu plus. J’espère qu’ils n’iront pas jusqu’à couper l’eau à Capesterre Belle-Eau. Je serais prête à porter plainte parce que cette situation me porte directement préjudice. Plus largement, je me réserve le droit de faire tout ce qui est envisageable pour défendre les Capesterriens.

 

FINANCES PUBLIQUES

Hélène vainqueur :  » Ce sont les contribuables qui paieront « 

 » Budget eau assainissement déficitaire, budget général de la CASBT également « . Selon le maire de Trois-Rivières, la dette mise à la charge de la communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre (CASBT) viendra alourdir son déficit. Interrogée mardi 2 février, Hélène Vainqueur annonce que ce sont les contribuables qui vont trinquer.

Le Courrier de Guadeloupe : Votre commune a choisi de créer une régie pour la distribution de l’eau, la condamnation de la CASBT vous concerne-t-elle ?

Hélène Vainqueur : Cette condamnation concerne tous les habitants du territoire de la communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre. Au final ce sont eux qui seront mis à contribution. Davantage d’impôts seront prélevés au contribuable de l’agglomération pour payer cette dette. Vous pourriez avoir raison, les habitants de ma commune auraient pu être épargnés par la hausse des impôts. Malheureusement le service eau et assainissement de la CASBT est déficitaire. Les habitants de trois rivières devront eux aussi contribuer au budget général de la communauté pour combler le trou.

Si les déboires du service eau de la CASBT ont des conséquences sur le porte-monnaie de votre population quel intérêt d’avoir créé une régie ?

L’intérêt est réel. Aucun citoyen de Trois-Rivières ne connaît la pénurie d’eau. Ce n’est pas le cas des autres communes de l’agglomération. Baillif et Capesterre Belle- Eau sont les exemples les plus criants. J’ajoute que c’est à Trois-Rivières que l’eau coûte le moins cher en Guadeloupe. Nous en sommes fiers. Cela veut dire que nous savons gérer.

Avez-vous vu venir cette condamnation ? Si oui pourquoi n’avoir pas alerté vos collègues élus de la CASBT ?

J’ai maintes fois dit aux différentes réunions de la CASBT que cette somme est due et qu’il fallait l’inscrire au budget. C’est grave parce qu’elle ne l’est pas, et le budget est déficitaire. C’est une véritable catastrophe.

 

CE QUE DIT LE DROIT

 » Un dossier aux allures complexes qui concerne pourtant un besoin élémentaire « 

Ernest Daninthe avocat spécialiste du droit administratif a répondu mercredi 3 février à nos questions sur la portée de la condamnation à l’encontre de la communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre (CASBT). 3,5 millions d’euros de provisions à payer au SIAEAG… c’est une somme.

Nouvel épisode dans la guerre de pouvoirs autour de la gestion de l’eau en Guadeloupe. Longtemps déléguée à une entreprise privée, la Générale des Eaux filiale de Véolia, le sujet est saisi plus fortement par les politiques, au moment où des milliers de foyers sont privés d’eau un peu partout en Guadeloupe. En cause notamment les canalisations, vieilles de 60 ans.

L’état met en avant la nécessité de créer un syndicat unique de l’eau compétent sur toute la Guadeloupe, en substitution des intervenants communaux et intercommunaux. La communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre (CASBT) refuse d’adhérer à ce syndicat unique. Lucette Michaux-Chevry, présidente de la CASBT, voit dans la récente condamnation de la communauté d’agglomération un moyen de pression mis en œuvre par l’état pour la contraindre à adhérer. Mais quelle est la portée de cette condamnation ?

Le Courrier de Guadeloupe : Le jugement est-il juridiquement sans faille, conforme aux règles du droit ? Ernest Daninthe : Il s’agit en réalité d’une ordonnance de référé rendue par le président du tribunal administratif de la Guadeloupe. Elle rentre parfaitement dans les compétences attribuées au juge des référés par l’article R 541-1 du code de justice administrative qui permet d’accorder au créancier une provision à valoir sur le montant total des sommes qui lui sont dues. Elle est bien motivée et fondée principalement sur la théorie jurisprudentielle de l’enrichissement sans cause que l’on applique tant en droit public qu’en droit privé. Cependant, en la matière, il y a toujours une part d’appréciation du caractère contestable ou non de l’obligation. Mais il ne s’agit ni d’un jugement ni d’un arrêt sur le fond du droit qui reste donc à trancher.

Le jugement est-il exécutoire ?

Les décisions du juge des référés n’ont pas l’autorité de la chose jugée en raison de leur caractère provisoire puisqu’elles peuvent faire l’objet d’un recours devant la cour administrative d’appel, celle de Bordeaux pour ce qui concerne la Guadeloupe. L’arrêt de la cour administrative d’appel peut lui aussi faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État. En revanche, les ordonnances de référé sont exécutoires. Comme toute décision de justice, l’ordonnance en question doit être exécutée. En l’occurrence, elle pourrait l’être sans délai. Mais en matière de référé provision, la personne condamnée peut demander au juge du fond, s’il n’est pas déjà saisi par le créancier, de fixer définitivement sa dette donc de statuer sur le fond. La communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre (CASBT) dispose pour ce faire d’un délai de deux mois après notification de l’ordonnance rendue en application de l’article R 541- du code de justice administrative. La CASBT peut aussi obtenir du juge d’appel ou du juge de cassation le sursis à l’exécution de l’ordonnance. Les conditions habituelles en ce domaine doivent être remplies : conséquences difficilement réparables en cas d’exécution et moyens sérieux d’annulation.

Le préfet peut-il procéder à un mandatement d’office au profit du SIAEAG ?

Lorsque la condamnation concerne une collectivité locale ou un établissement public, à défaut d’ordonnancement ou de mandatement de la somme due dans ce délai de deux mois, le préfet ou l’autorité de tutelle, après mise en demeure restée vaine de créer les ressources nécessaires “y pourvoit”, c’est-à-dire procède au mandatement d’office, sous peine d’engager la responsabilité de l’État pour faute simple en cas de dommage “anormal et spécial” résultant d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, voire se substitue à la collectivité défaillante pour prendre les mesures nécessaires à cette exécution. L’article L 1612-15 du CGCT dispose que  » la chambre régionale des comptes saisie, soit par le représentant de l’État dans le département, soit par le comptable public concerné, soit par toute personne y ayant intérêt, constate qu’une dépense obligatoire n’a pas été inscrite au budget ou l’a été pour une somme insuffisante. Elle opère cette constatation dans le délai d’un mois à partir de sa saisine et adresse une mise en demeure à la collectivité territoriale concernée. Si, dans un délai d’un mois, cette mise en demeure n’est pas suivie d’effet, la chambre régionale des comptes demande au représentant de l’État d’inscrire cette dépense au budget et propose, s’il y a lieu, la création de ressources ou la diminution de dépenses facultatives destinées à couvrir la dépense obligatoire. Le représentant de l’État dans le département règle et rend exécutoire le budget rectifié en conséquence… « .

Enfin, la Cour de discipline budgétaire et financière peut, sur saisine du créancier, infliger aux agents et, depuis la loi du 29 janvier 1993, aux élus locaux (CE, 20 déc. 2003, Michaux-Chevry : AJDA 2003, p. 1223) qui refusent de mandater lesdites sommes une amende (C. jur. fin., art. L. 312-1 et L. 313-2) et, depuis la loi du 12 avril 2000 relative aux relations entre les citoyens et l’administration, ce régime est applicable aux décisions prises dans le cadre de la procédure du référé provision (CJA, art. R 531-2).

Quel est le délai l’exécution de ce jugement et la mise en place d’un éventuel mandatement d’office ?

Tout dépendra des diligences de l’autorité préfectorale qui aura peut-être le souci de voir épuiser tous les recours et toutes les voies de droit dans ce dossier aux allures complexes concernant pourtant un besoin élémentaire : l’approvisionnement en eau.

DECRET

Le préfet passera outre Lucette Michaux-Chevry

Pendant que le SIAEAG et la CASBT se battent sur le front judiciaire, de bonne source nous apprenons au moment où ce numéro est mis sous presse que le préfet est sur le point de prendre l’arrêté qui créera le syndicat unique de l’eau. Jacques Billant a convoqué ce vendredi 5 février à 15 heures en préfecture les présidents de communauté d’agglomération de Guadeloupe pour débattre du sujet. Le préfet leur  » exposera le contexte juridique dans lequel pourra être créé ce syndicat « . Nonobstant son refus, le décret portant création du syndicat unique de l’eau verra le jour sans la bénédiction de Lucette Michaux-Chevry. Jusqu’où ce décret pourrait-il la contraindre ?

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