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Coup de chaud sur l’immigration illégale

EXIL

Une après-midi aura suffi. La rébellion de Nicholson Altino dont le cas sera examiné par la justice ce lundi 20 octobre a permis de remettre en lumière une préoccupation majeure de la population : le problème de l’immigration illégale. Le Courrier de Guadeloupe a mené l’enquête.

Flash-back. Le 28 octobre 2014, l’invasion du tarmac du terminal régional de l’aéroport Pôle Caraïbe par une dizaine d’Haïtiens venus soutenir un des leurs, Nicholson Altino, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), ainsi que le coup de gueule des autorités qu’il entraîne, mettent violemment en lumière le rapatriement de ces immigrés illégaux, présents parfois depuis de nombreuses années sur le territoire. Cette mission, assurée par les agents de la police aux frontières s’ajoute au démantèlement des filières et l’interception des têtes de pont. Pour autant, cette tâche lourde, est entravée par nombre d’obstacles administratifs inhérents à la constitution de la PAF, articulation d’une machine tricéphale qu’elle compose avec l’État et la police judiciaire. Certes, des mesures claires ont été prises au terminal pour que de tels incidents ne se reproduisent pas. Fin du vis-à-vis donnant sur le tarmac, renforcement du poste PAF, et renforcement des équipes du poste inspection filtrage (PIF). Mais ! La dernière opération de la police aux frontières à Marie-Galante, qui a pourtant permis l’interpellation de huit personnes en situation irrégulière, dont six ont fait l’objet d’OQTF, montre que l’on est encore loin du compte. Si l’opération peut paraître un succès, il faut tout de même savoir qu’il n’y a plus de poste PAF à Marie-Galante depuis 1998. Voilà donc 16 ans que l’île sert de porte d’entrée vers la Guadeloupe, alors qu’elle n’est qu’à quelques encablures de la Dominique, plaque tournante de l’immigration illégale.

En face de redoutables réseaux

De l’autre côté du prisme, on trouve des clandestins, qui, à l’image de leurs rabatteurs sont extrêmement mobiles, bien renseignés et solidaires. En général, leur choix de planque leur laisse plusieurs chemins de fuite.  » Il n’est pas rare que malgré notre rapidité d’action et le renforcement de nos équipes par des gendarmes, nous perdions la trace de clandestins qui ont eu le temps de fuir la planque que nous avions ciblée.  » admet Thierry Boureaud directeur départemental de la PAF. Pour les contrôles réguliers, les agents sont contraints de trouver la juste mesure face à de possibles contrevenants plus que réticents. «  Nous ne savons pas à qui nous avons affaire. Certains sont évadés de prison, recherchés en France ou dans leur pays d’origine. D’autres sont des quidams qui n’acceptent simplement pas le contrôle.  » Le démantèlement des filières, impliquant de longues enquêtes, demande un lourd investissement des équipes. La phase d’écoute difficile à mettre en place, nécessite l’intervention d’interprètes tant pour la linguistique que pour le codage des conversations. Les interventions, elles, nécessitent d’être au  » bon endroit au bon moment « . Les débarquements d’illégaux, menés par de fieffés ruseurs sont extrêmement aléatoires, dans une île, qui par essence, offre de multiples sites d’abordage.

 

LE FLOU ARTISTIQUE DES CHIFFRES

Clandestins : combien sont-ils ?

Le nombre peu important d’immigrés légaux sur le territoire montre que les clandestins sont de plus en plus nombreux. Les estimations, fumeuses, peuvent aller du simple au double…

Officiellement, selon la préfecture (seule compétente pour gérer les flux de personnes), le nombre d’étrangers titulaires d’un titre de séjour en Guadeloupe s’élève début 2014 à 11 703 personnes. Un chiffre faible qui révèle que de plus en plus d’immigrés de l’archipel sont en situation clandestine. Difficile de comptabiliser ces illégaux, par définition cachés.

Les estimations peuvent aller du simple au double

Dans une présentation datée du 21 et 22 septembre 2006, Fély Kacy-Bambuck, alors vice-présidente du conseil régional les estime, pour l’année 2005, entre 25 000 et 30 000, en majorité Haïtiens. Un chiffre important, comparé à la population de l’archipel, qui s’élève selon l’INSEE à 401 000 personnes au 1er janvier 2006. La question de Jacques Gillot au ministre de l’Outre-mer, publiée dans le Journal Officiel du Sénat et datée du 16 février 2005, donne une autre évaluation. Le sénateur estime que le nombre d’immigrés illégaux pénétrant chaque année sur le territoire est compris entre 12 000 et 18 000. La réponse de la ministre, Brigitte Girardin, est présentée comme une victoire : 1 083 reconduites à la frontière pour l’année 2004. Dans le même document, on apprend que les demandes d’asile, seraient passées de 130 en 2003 à 3 600 en 2004. Fély Kacy-Bambuck, dans sa présentation, annonce elle des chiffres complètement différents : 1 820 demandes en 2004, et 4 022 en 2005.

Louis-Auguste Joint, sociologue haïtien résidant en Guadeloupe, a réalisé une étude intitulée  » L’immigration clandestine en Guadeloupe : le cas des Haïtiens  » datée d’octobre 2005. Selon lui, le personnel du service étranger de la préfecture estimerait le nombre de clandestins à seulement 3 000. Il rajoute :  » Au début de l’année 2005, le service de la Police de la Guadeloupe estime qu’il y a environ 500 à 600 immigrés clandestins qui rentrent en Guadeloupe chaque mois, soit 6 000 à 7 200 par an, dont la majorité d’entre eux sont Haïtiens.  » Difficile d’y voir clair…

Les chiffres de la PAF

En 2013, 1 200 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés. 530 ont été reconduits à la frontière, et 700 sont restés sur le territoire. Leurs dossiers sont en cours d’étude en vue d’une régularisation. La même année, 320 personnes étaient sous obligation de quitter le territoire français (OQTF). Leur demande de régularisation avait été rejetée par les services administratifs. 72 % de ces personnes ont été éloignées. Les autres ont bénéficié d’un recours qui suspend leur expulsion ou ont fait l’objet de démarches judiciaires. Depuis le début de l’année 2014, 900 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés. 400 ont fait l’objet d’une procédure d’éloignement et 371 obligations de quitter le territoire ont été prononcées.

 

IMPUNIS

Les Duvalier, à l’origine de l’hémorragie haïtienne

La mort de  » Baby Doc « , samedi 4 octobre dernier, clôt une saga familiale sanglante à l’origine de l’importante émigration des Haïtiens.

Jean-Claude Duvalier, surnommé «  Baby Doc  » en raison de son visage poupin, est mort samedi 4 octobre dernier dans sa ville natale de Port-au- Prince, la capitale haïtienne. Sans avoir été jugé. Terrassé par une crise cardiaque. L’ancien dictateur, un temps plus jeune chef d’État du monde (il n’a que 19 ans lorsqu’il arrive au pouvoir à la mort de son père), était revenu à Haïti en 2011 après 25 années d’exil en France hexagonale. Son règne, comme celui de son père, François dit  » Papa Doc « , a été marqué par la corruption, les massacres et la terreur. Les conséquences, désastreuses pour le pays, ont grandement participé à l’exil des Haïtiens, qui ont fui la misère et la violence, en partie vers les côtes guadeloupéennes. L’émigration haïtienne est devenue conséquente à partir de l’arrivée au pouvoir de François Duvalier, et l’hémorragie a continué sous le règne du fils. L’autre porte d’entrée des immigrés haïtiens sera la musique. Les groupes de compas qui partent en concert restent en exil, bientôt imités par les groupes dominiquais.

 

CHER LE VOYAGE !

Haïti, Saint-Domingue, Dominique, Guadeloupe, les routes de l’immigration

Le statut de département français donne à la Guadeloupe des airs d’Eldorado pour les migrants des îles voisines. Du pain béni pour les filières de l’immigration illégale.

Jusqu’à 3 500 US $ soit environ 160 000 gourdes haïtiennes quand le salaire moyen annuel atteint péniblement les 760 US $ (ndlr : soit 35 000 gourdes). Voilà le prix de l’exil pour un Haïtien, nationalité composant la majorité de l’immigration légale et illégale en Guadeloupe. Un prix que certains paient pourtant à force de dettes. Sur le chemin qu’il emprunte vers la Guadeloupe, le migrant passe plusieurs bornes qu’il devra à chaque fois grassement rétribuer. Sa dangereuse aventure commence par un rabatteur, ou comme les Haïtiens l’appellent un raquetteur. En général, il est d’origine haïtienne ou dominicaine (ndlr : Pour les ressortissants dominicains, le voyage revient à près de 200 000 pesos). Il est en relation avec une tête de pont qui, elle, est dominiquaise. Le rabatteur, annonce à la fois le prochain départ et le tarif pour faire partie du voyage. Souvent, le prix annoncé ne comprend que l’arrivée vers la Dominique, le reste devant être assumé par l’exilé. La première étape du parcours est donc relativement simple. Le migrant est obligé de passer, en bus, en République dominicaine – une frontière extrêmement poreuse – pour prendre l’avion vers la Dominique. À ce stade, le rabatteur fournit visa et billet.

Trouver une voie vers la Guadeloupe

Auparavant, les Haïtiens et les Dominicains n’avaient pas besoin de visa pour rester en Dominique. Mais face à l’immigration massive qui en découlait, la France a passé un accord avec le gouvernement dominiquais, qui, en échange de la mise en place d’un visa de trois mois pour les ressortissants d’Hispaniola, a autorisé la présence légale des Dominiquais sur le territoire français pendant 15 jours. Reste que, selon les filières, les migrants sont soit  » stockés  » dans des hôtels appartenant la plupart du temps aux têtes de pont, soit lâchés dans la nature libre de trouver une solution pour la suite de leur route. Dans les filières bien structurées qui amènent jusqu’en Guadeloupe, les migrants sont répartis en groupe pour des départs en bateau échelonnés sur quelques semaines ou quelques mois. Le départ coûte en moyenne 500 euros.  » Les dernières écoutes menées, nous ont donné la piste d’un arrivage de 21 personnes débarquées à Bananier Capesterre Belle-Eau, d’un bateau immatriculé en Dominique. Là, après quelques minutes de marche pour rejoindre la route, ils ont été pris en charge par un convoyeur, payé 150 € pour les amener à Pointe-à-Pitre  » explique Thierry Boureaud directeur départemental adjoint de la police aux frontières. Une fois arrivés à destination, les migrants se fondent dans la nature et activent, selon les cas, leur réseau personnel.

 

PLUS ÉLOIGNÉS

Les cas syriens et chinois

La complexe révolution syrienne a poussé des milliers d’entre eux à l’exil. Certains font le choix de rejoindre en Guadeloupe des parents issus d’une ancienne immigration. Ils sortent de Syrie, passent par le Liban, entrent en Turquie, de là prennent l’avion direction Amsterdam, puis Antigua pour enfin atteindre Basse-Terre. Là ils sont pris en charge par la communauté. Même chemin pour les chinois, qui peuvent aussi aller vers le Surinam pour ensuite rejoindre la Guyane et venir en Guadeloupe. Ils procèdent souvent à des usurpations d’identité ou jouent sur la multiplicité des ethnies asiatiques.

 

MARIE-GALANTE, DOMINIQUE

Le rôle des navettes inter-îles

Certains Haïtiens et Dominicains se débrouillent autrement pour arriver en Guadeloupe. Ils tentent de prendre les navettes maritimes régulières en partance de la Dominique ou de Marie-Galante. Au départ de la Dominique, ils doivent trouver un pêcheur ou un passeur capable de les faire passer le bras de mer, à condition de lui payer les frais d’essence. À partir de Marie-Galante, ils prennent simplement un billet et arrivent à Pointe-à-Pitre. Pour ceux qui tentent de partir depuis la Dominique, les chances de se faufiler sont nettement moins bonnes, puisque les agents de la PAF procèdent souvent à des contrôles d’identité.

 

QUI SONT-ILS ? OU VIVENT-ILS, QUE FONT-ILS ?

Des immigrés solidaires et bien organisés

Difficile d’établir un profil type de l’immigration en Guadeloupe. La dernière étude de l’Insee sur le sujet date de 2006 et les administrations ne se basent que sur des estimations. Mais en fonction de l’origine des immigrés, des tendances se dégagent.

Une fois en territoire guadeloupéen, les immigrés, qu’ils soient seuls ou en groupe, ne manquent pas d’organisation et de solidarité pour se fondre dans la masse. Originaires des pays voisins, la plupart ont un pied-à-terre dès leur arrivée. Famille, amis, connaissances… ils trouvent également refuge au sein des communautés religieuses de leur obédience.  » Les immigrés sont très solidaires entre eux « , ajoute Jean-Pierre Huveteau, responsable du Gisti et d’Amnesty international en Guadeloupe. Cet esprit de solidarité est particulièrement vrai chez les Haïtiens. L’invasion du tarmac de l’aéroport, le 27 septembre dernier, pour empêcher l’expulsion de l’un des leurs en est une parfaite démonstration.  » C’est une communauté très structurée et organisée « , assure la Police aux frontières (PAF). Ceux qui n’ont pas de pied-à-terre font de la colocation dans des logements insalubres.  » À Pointe-à-Pitre, Petit-Bourg ou Gosier, ils peuvent louer facilement des logements non déclarés « , souligne Catharina Ferdieu, du consulat de la Dominique en Guadeloupe.

Haïtiens, Dominiquais, Dominicains… à chacun son mode de vie

Les Haïtiens constituent la plus grande partie de la population immigrée en Guadeloupe. Contrairement aux autres communautés, ils s’installent dès leur arrivée dans les zones rurales, du côté de Sainte-Rose par exemple, pour y exercer des métiers agricoles. Viennent ensuite les Dominiquais qui ont plutôt tendance à travailler en tant qu’ouvriers du bâtiment et femmes de ménages. Du côté des Dominicains, ou plutôt des Dominicaines – cette population immigrée comptant très peu d’hommes- on les retrouve au Carénage, haut lieu de la prostitution à Pointe-à-Pitre… «  Il nous est arrivé de contrôler sur le trottoir des femmes qui étaient arrivées le matin même « , explique la PAF. Les Dominicaines cherchent en effet à gagner rapidement de l’argent pour épurer les dettes liées au voyage. Celles qui parviennent à s’implanter ouvrent un commerce type coiffure ou restauration mais c’est une minorité. D’après les examens des transferts Western Union, l’argent gagné va directement à la famille pour nourrir les enfants et s’occuper de leur scolarité.

 

GÉOLOCALISATION DES IMMIGRES

Une forte concentration en zone urbaine

Les observations de terrain confirment les dernières études de l’Insee sur la situation géographique des immigrés en Guadeloupe.

Selon une étude de l’Insee “Atlas des populations immigrées en Guadeloupe” parue en 2006, 87 % des immigrés de Guadeloupe vivaient en ville en 1999. La commune de Saint-Martin en accueillait à elle seule 44 % suivie de Pointe-à-Pitre avec 37 %. Étant donné l’absence d’étude récente, il est difficile d’actualiser ces données. Les observations des consulats et des associations d’aide aux immigrés confirment toutefois la tendance. Selon Jean-Pierre Huveteau, responsable de l’antenne locale du Gisti et d’Amnesty international et Catharina Ferdieu, du consulat de la Dominique en Guadeloupe, les immigrés continuent à s’installer dans les zones les plus peuplées qui présentent de meilleures perspectives d’emploi.

 

LA MER EST UNE PASSOIRE

Les garde-côtes sauvent des vies et n’interpellent pas les clandestins

En mer, l’immigration illégale révèle la vulnérabilité de ceux qui y ont recours. Les autorités compétentes, dont les garde-côtes, sont amenées à faire face à ces bateaux de réfugiés avec une prérogative unique : le sauvetage.

Sauver au lieu d’interpeller. Voilà la mission des garde-côtes et de toute autre autorité qui intervient en mer.  » Notre mission première est le trafic de marchandises illégales : substances illicites, armes et contrefaçons également. En tant que services des garde-côtes, si nous sommes amenés à intervenir auprès de clandestins, la priorité est de leur sauver la vie et non pas de procéder à des interpellations « , explique Gisèle Clément, à la tête de la Direction régionale des garde-côtes. La gendarmerie maritime, la marine nationale et même la police aux frontières ont cette même prérogative en cas d’intervention en mer auprès de clandestins présents dans les eaux de Guadeloupe. Une mission qui si elle peut étonner, est compréhensible :  » Dans cette situation, il ne faut pas oublier que ce sont des populations fragiles, souvent épuisées qui ont été victimes d’extorsions par des passeurs qui, eux, sont les vrais coupables. Bien entendu, suite à notre prise en charge, une enquête est ouverte, mais cela est de la compétence du procureur, saisi après que la police aux frontières ou la gendarmerie maritime a appréhendé les personnes en infraction. Là commence le travail pour démanteler la filière et arrêter les passeurs « , complète-t-elle.

Des moyens logistiques et humains

Trois vedettes, deux brigades et 12 hommes. Voilà toute la logistique et les moyens dont disposent les garde-côtes pour assurer leur mission de protection du littoral guadeloupéen.  » Une première brigade est basée à Pointe-à-Pitre et l’autre à Basse-Terre avec en tout douze agents et trois vedettes, dont deux de surveillance et une de garde-côtes. Leur rayon d’action s’étend jusqu’à 100 000 nautiques avec des prérogatives qui varient en fonction de la zone concernée « , détaille encore la directrice. Car il existe un découpage des eaux autour de la Guadeloupe en trois zones. La première va jusqu’à 12 000 miles ce sont les eaux territoriales, de 12 000 à 24 000 miles, les garde-côtes sont dans une zone où la douane a une mission d’interception des navires pour la fouille, au-delà, jusqu’à 100 000 nautique, ils ne peuvent intervenir que sur renseignements, puisque c’est la marine nationale qui a autorité. Des moyens qui, s’ils sont peu impressionnants permettent d’assurer la fonction de protection du littoral de l’archipel, tout en assurant un premier lien avec les clandestins qui choisissent la voie maritime pour rejoindre la Guadeloupe.

 

PORT AU PRINCE/POINTE-À-PITRE

Les tribulations habituelles d’un clandestin haïtien

Marie-Ludivine a tout sacrifié pour quitter Haïti et prit tous les risques pour fuir la misère. Portrait d’une immigrée en clandestinité depuis six ans en Guadeloupe.

lle est menue. Très menue. Pourtant ce petit corps abrite une voix forte et son bonjour est retentissant. Marie-Ludivine a 35 ans. Elle vend des T-shirts à Pointe-à-Pitre. Née à Port-au-Prince en Haïti, ce petit bout de femme entrée illégalement en Guadeloupe est dans cette situation depuis six ans. Quand elle apprend que c’est pour la presse, son visage se ferme immédiatement. Ses yeux marrons s’ouvrent grands et c’est la présence d’un contact, lui aussi Haïtien, qui la rassure. Elle raconte alors son histoire. L’histoire d’un périple pour une destination inconnue. De fait, les Haïtiens qui s’exilent ne choisissent pas leur destination. Leur démarche est aléatoire. Mais il faut partir !  » En Haïti, la vie est dure. Partir c’est la meilleure solution pour gagner de l’argent. Pour ce faire, il faut guetter l’ouverture d’un chemin.  » C’est ainsi qu’on appelle une opportunité. Pour en profiter, il faut se rapprocher d’un raquetteur. Il est Haïtien ou Dominicain.  » Toute ta vie est entre ses mains. Il se charge du passage et des visas. Mais sans dire où on va. J’ai donné 2 300 euros en une fois. Pour cela, je me suis endettée auprès de ma famille, de mes amis. C’est beaucoup d’argent. Trois ans après mon arrivée en Guadeloupe, je remboursais toujours « . À l’évocation de ce souvenir, les sourcils de Marie-Ludivine se froncent encore. Elle a eu de la chance. Beaucoup de chance. Certains paient la somme jusqu’à trois fois sans jamais quitter Haïti et sans jamais revoir le raquetteur. L’itinéraire est le suivant : il faut d’abord rejoindre Saint-Domingue, d’où on prend un avion pour la Dominique. Là, c’est la grande débrouille.  » Le prix payé au raquetteur ne comprend que le passage vers la Dominique. On y est en situation régulière pendant trois mois. Ensuite il faut se débrouiller comme on peut. Je dormais chez une connaissance et j’ai trouvé un petit travail de nettoyage. Au noir. Mais je n’ai pas voulu rester là-bas. J’ai entendu qu’en Guadeloupe on gagnait mieux sa vie. Je suis passée par un pêcheur que j’ai supplié pendant six mois. Je l’ai payé et j’ai payé tous ses frais d’essence. Il m’a emmené en Guadeloupe directement dans un tout petit bateau. J’ai cru mourir. Je n’ai jamais autant prié de ma vie. En plus ce jour-là, il y a eu du mauvais temps entre Marie-Galante et la Guadeloupe. D’ailleurs en voyant Marie-Galante, j’ai cru que le supplice allait bientôt finir mais ce n’était que le début. J’ai cru que j’allais mourir « . La femme à côté de Marie-Ludivine, Haïtienne elle aussi, frissonne. On dirait que cela lui rappelle quelque chose. Mais quand on l’interroge, elle secoue vivement la tête, sans rien dire. Maire-Ludivine poursuit.  » On peut être victime de mésaventures plus cruelles encore. La femme qui a traversé avant moi allait rejoindre son mari en Guadeloupe. Le pêcheur qui l’a fait traverser était mauvais. Non seulement elle a payé les frais, mais en plus il a demandé au mari de payer à l’arrivée en menaçant de jeter la femme à la mer. Quand, le mari a dit qu’il ne pouvait pas. Le pêcheur l’a poussé violemment du bateau. C’est le réflexe de s’accrocher fermement à sa chemise qui l’a sauvée. Il a fini par la ramener en Dominique.  » Comparé à cela l’arrivée en Guadeloupe de Marie-Ludivine est une plaisanterie. Elle en sourit encore.  » Je me suis sentie fière de moi, soulagée. On pourra trouver un travail, rembourser ses dettes, manger et aider la famille là-bas « . D’autant qu’on sait tout faire, agriculture, nettoyage, vente.  » Il faut trouver des connaissances qui vous aident. On rentre dans un chitou (ndlr : tontine où l’argent collecté pendant un certain temps par plusieurs personnes misant la même somme. Chacun touchant la totalité de la mise à tour de rôle).  » On mise 100 euros et quand c’est votre tour de toucher on peut rembourser et ensuite acheter des marchandises pour la revente. La vie s’organise enfin.  » S’exiler de Haïti, c’est comme retenir son souffle sans jamais savoir si on pourra respirer de nouveau. Une longue traversée, avec pour seul phare, fuir la misère et gagner un peu d’argent.

 

TÊT KOLE

Pierre-Louis Astrel, 42 ans de combat pour l’intégration des Haïtiens

Affaibli mais encore vif d’esprit il n’y a que la parole trébuchante et le pas non assuré qui trahissent le long parcours depuis son arrivée en Guadeloupe de Pierre-Louis Astrel créateur de Tèt kolé.

« Je continuerai jusqu’à la fin la lutte pour aider au mieux les ressortissants haïtiens« . Voilà comment résumer en une phrase le personnage de Pierre-Louis Astrel, l’un des fondateurs de l’association de coordination haïtienne en Guadeloupe Tèt Kolé. L’homme qui est resté diminué après son AVC en 2009, garde pourtant tout son entrain quand il s’agit de raconter son aventure. Et d’aventure, à première vue, il n’y a pas vraiment, tant l’homme raconte son arrivée en Guadeloupe avec simplicité.  » Je suis arrivé en Guadeloupe en 1974 avec l’orchestre les Professionnels de Haïti, après un détour par Saint-Martin, je me suis marié un an plus tard avec une demoiselle Montout du Gosier et j’ai commencé mes démarches pour obtenir la nationalité et je l’ai obtenu le 23 mai 1977 « . Simple, sobre. Pour autant derrière la parole hésitante de l’homme qui a atteint sa 74ème année, flotte l’ombre d’une vraie bataille.  » J’ai commencé par être tailleur, je travaillais et me déplaçais partout en Guadeloupe, mais petit à petit, les affaires ont commencé à décliner alors j’ai dû arrêter en 1999. C’est là que je me suis lancé dans le commerce avec une boutique d’alimentation que j’avais installé à Chemin Neuf à Pointe-à-Pitre « . Et c’est suite à la création de ce commerce et à un léger accrochage verbal avec un policier durant un contrôle que Pierre-Louis Astrel raconte avec émotion, que l’idée d’une association commence à germer.

 » On ne m’avait jamais fait me sentir étranger avant ça « 

Avec ces quelques mots, le natif haïtien traduit la douleur qu’il a ressentie à l’époque des faits. Une émotion qu’il va occulter jusqu’à un certain appel entendu un soir sur France Inter.  » On lançait un appel aux dons pour Haïti qui souffrait sous Aristide, et je me suis dit pourquoi nous qui venons de là-bas nous ne ferions pas quelque chose ? « . Et dès le lendemain, l’homme s’est lancé dans une levée de fonds pour aider ses compatriotes.  » C’est comme ça que Tèt kolé a commencé « . À partir de là, il a tout fait pour s’intégrer, décidé de tendre la main à ses compatriotes désireux de faire de même. De 14 cellules éclatées un peu partout en Guadeloupe à une vraie coopération organisée, Tèt Kolé a fait son chemin sous la direction de Pierre-Louis Astrel. Mais aujourd’hui la communauté s’en détourne.  » Les Haïtiens qui arrivent pensent tous que nous allons leur donner une carte de séjour, mais nous ne sommes pas la préfecture, nous pouvons juste les aider à faire leur démarche. Du coup, ils ne viennent pas vers l’association et le lien ne se fait pas « . Quoi qu’il en soit, l’homme qui n’a jamais oublié d’où il vient entend bien continuer jusqu’au bout son action pour la coopération au sein de la communauté haïtienne.

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