VISITE MINISTÉRIELLE
Manuel Valls a entamé mercredi 16 octobre dernier une visite en Martinique et en Guadeloupe. La Guadeloupe qui a vu les meurtres se multiplier depuis le début de l’année 2013. De fait, tous les indicateurs sont au rouge, selon les récents chiffres de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Entre septembre 2012 et août 2013, les atteintes volontaires à l’intégrité physique ont bondi de 20,1 %. Les violences physiques, sexuelles, menaces… Tous les types de délinquance sont en augmentation. C’est pire qu’à Marseille expliquent certains médias. L’entourage de Manuel Valls fait remarquer qu’une grande part de cette violence est liée aux drames familiaux, au chômage de masse colossal, aux homicides dus à l’alcool. N’empêche, le mal est là et il faudra bien le traiter. Le tout c’est de savoir si les mesures annoncées par le ministre auront un effet quelconque sur cette délinquance en expansion ou si sa venue n’aura été qu’une action de communication.
POLICE MUNICIPALE
La proximité comme solution
Éviter la violence et non la contrer. C’est là la position de la police municipale. Bien qu’elle soit plus associée à une police administrative, ce corps des forces de l’ordre qui a en charge la surveillance et les patrouilles s’organisent pour mieux répondre à la nouvelle forme de violence qui sévit dans l’archipel.
La police municipale s’organise face à la délinquance. Entre répression et prévention, elle fait son choix. Le 19 septembre dernier, l’ensemble des polices municipales se sont réunies pour la deuxième édition du séminaire des polices municipales de la Guadeloupe avec pour thématique « De la prévention de la délinquance à la tranquillité publique « . Un séminaire qui a été l’occasion de discuter de la convention de coordination qui sera mise à jour début 2014. Une convention de coordination qui concerne les modalités d’actions en coopération avec la gendarmerie et la police nationale. Cette convention rafraîchit également les prérogatives de la police municipale : » Les agents de la police municipale sont autorisés à agir en cas de flagrant délit, mais leur fonction essentielle consiste aujourd’hui à assurer la tranquillité publique et l’application des décrets municipaux « , explique Patrice Korutos, directeur adjoint de la police municipale de Baie-Mahault. La prochaine convention qui est en discussion depuis déjà plusieurs mois sera adoptée d’ici le début d’année avec des changements concernant les moyens mis à disposition des agents, ce qui leur débloquera les mains pour mieux agir pour la prévention de la délinquance. » Notre première demande concerne la création d’une police intercommunale « , poursuit le directeur adjoint. Ces polices intercommunales combleraient le vide qui existe dans la mutualisation des efforts et des moyens. » C’est une disposition prévue par la loi et qu’il faut appliquer à la Guadeloupe pour redonner à la police municipale son rôle de lien avec la population « , ajoute encore Patrice Korutos.
Prévenir oui, mais comment ?
En matière de délinquance, empêcher le passage à l’acte n’est pas une chose aisée. La prévention est une notion très intimement liée à la crainte de l’uniforme. Une crainte qui s’est diluée avec le temps et la banalisation de l’incivilité. Mais ce n’est pas la seule manette actionnée par les agents de la police municipale. La deuxième édition du séminaire des polices municipales fait état de la nécessité d’instaurer une nouvelle forme de dialogue et d’adapter le comportement des policiers aux jeunes qu’ils côtoient. Des ateliers de mise en situation, des aides à la parentalité et bien d’autres réflexions sur les outils à mettre en place dans le cadre de cette prévention étaient au planning du séminaire. Seul le terrain pourra dire si les dispositions prises trouveront un écho favorable auprès de la jeunesse touchée par la délinquance. Un point positif est à accorder cela dit à ces hommes qui persévèrent face aux causes de la délinquance et tablent sur la proximité et la création de liens avec la population pour, non pas enrayer la violence, mais rétablir la civilité et la communication.
FIASCO
La révision des politiques publiques : l’origine du mal
Les mesures prises par le gouvernement Sarkozy dans un souci de réduction de la masse des fonctionnaires ont considérablement mis à mal la fonction publique, quelle qu’elle soit. Pour la police, la tumeur se résume en quelques mots : la politique du chiffre. Le plan d’organisation des RGPP dans la police était le suivant : une réduction sensible des hommes sur le terrain mais dont le zèle et l’activité sont encouragés par une série de primes selon leurs résultats. Réduire le personnel mais surtout garder le même rendement. Sauf que cette disposition à eu un impact négatif à plusieurs niveaux. Il a créé une désertion de certaines zones par les autorités laissant place à une certaine délinquance, ce qui a été le cas en Guadeloupe. Et il a considérablement brouillé le dialogue des officiers avec leur hiérarchie qui ayant des comptes à rendre au ministère de l’Intérieur n’avaient les yeux rivés que sur les chiffres. Les agents ont donc cristallisé les angoisses de tout le monde : de leur hiérarchie en quête de résultats, aux citoyens chez qui leur image s’est dégradée compliquant leurs conditions de travail sur le terrain.
INUTILE BRELOQUE
Bracelet électronique : l’objet de la discorde
« Je crains énormément l’installation du bracelet électronique en Guadeloupe, car sur le terrain je vois que c’est une mesure complètement inefficace » s’inquiète Christian Klock. Depuis quelques mois, pour pallier à la surpopulation carcérale, la justice guadeloupéenne prononce de plus en plus de peines avec sursis, assorties du port du bracelet électronique. Cette mesure très en vogue aux États-Unis et au Canada pendant les années 90 a vite été délaissée. Le bracelet électronique permet aux forces de l’ordre de pouvoir à tout moment mettre la main sur un délinquant puisqu’il n’a pas le droit de quitter un certain périmètre, mais il ne l’empêche pas la récidive. » Il m’est arrivé plusieurs fois de mettre la main sur le responsable d’un braquage ou d’un vol alors même qu’il était dans un véhicule volé et qu’il portait son bracelet électronique. » Pour les forces de l’ordre, le bracelet électronique est devenu le symbole de l’effet passoire. Aussitôt attrapé, aussitôt relâché. « Une enquête demande de la disponibilité, de la patience et du temps. Tout cela est réduit à néant quand un multirécidiviste est relâché avec à son pied un bracelet. » D’un autre côté, le bracelet est un allié redoutable dans des territoires aux frontières poreuses comme la Guadeloupe. Il permet d’enrayer l’expatriation des délinquants originaires des îles voisines en les retenant sur place. Entre intérêts policiers et intérêts judiciaires, le gagnant loge forcément au tribunal.
VIOLENCE ET MÉDIAS
L’effet miroir
L’info, c’est l’info. On ne peut l’occulter. Il est donc normal que France-Antilles Guadeloupe informe sur les faits qui se déroulent en Guadeloupe, seraient-ils des plus violents. Mais alors pourquoi systématiquement en première page ? Pourquoi ces faits divers ensanglantés sont-ils toujours au sommet de la hiérarchie du traitement de l’information à France-Antilles Guadeloupe ? S’est-on une seule fois demandé dans ce journal quelles étaient les conséquences de cet effet miroir sur une population à qui on dit depuis 50 ans voilà votre image ? Plus simplement s’est-on également demandé quel impact peut avoir sur les malfrats eux-mêmes une telle exposition et un tel battage de leurs hauts faits. Bien sûr rétorquera-t-on les Guadeloupéens sont friands d’informations sordides, puisque voilà 50 ans qu’ils s’en repaissent goulûment. Cette réalité est dit-on la même, qu’on soit en Alsace, en Bretagne ou en Provence où il existe également une presse quotidienne qui a définitivement choisi pour fonds de commerce les faits divers. La différence c’est que dans toutes ces régions de l’Hexagone, les lecteurs de la presse quotidienne ont le choix. Pas les Guadeloupéens. Monopole oblige. Cela devrait faire naître des devoirs chez eux qui informent.
DES UNES ENSANGLANTÉES
Le traitement des faits de violence par la presse nationale agace la population locale qui se sent stigmatisée. Les inquiétudes quant à l’image qui est donnée à l’île nous ont incités au Courrier de Guadeloupe à se pencher pour la seule année 2013 sur les nombreuses unes de France-Antilles Guadeloupe quotidien d’information seul sur la place. Édifiant, à la fois par le volume et le contenu.
14 février : Dilan, tué pour une insulte
19 février : Braqué et laissé à mon triste sort
21 février : Violée, elle échappe à ses tortionnaires
22 février : Malik, victime d’une guerre des gangs ?/ Braquages en série
26 février : Meurtre de Sandra Martial. L’émotion est encore vive
28 février : En prison tout peut déraper
9 mars : un enlèvement à la porte du collège ?
16 mars : Quand je vois mon fils, je vois mon violeur
18 mars : un discount braqué en plein jour
25 mars : Des voleurs hyper violents
1er avril : Tué sur la piste de danse
2 avril : un gérant de supérette agressé à l’acide entre la vie et la mort
9 avril : Jeté d’une voiture, Lucien agonise.
16 avril : Poignardé par son stoppeur
17 avril : Son ami abattu devant lui
20 avril : Moi, Mike dealer et braqueur NDLR (le clou du spectacle)
22 avril : un homme de 31 ans tué d’un coup de couteau à la carotide
24 avril : Pourquoi a-t-il été exécuté ?
7 mai : Fusillade en pleine fête populaire
22 mai : Coups de feu et panique à la veillée
10 juin : Week-end meurtrier, 3 morts sur la route
18 juin : Miguel, 20 ans abattu pour un regard
25 juin : Braqué et tué : la nuit à la plage
26 juin : Pourquoi le prof a simulé son suicide
27 juin : Visite dans une île au bord de la crise de nerfs
29 juin : Nuit chaude sur la ZSP
1er juillet : L’horreur à Tabanon
8 juillet : un mort et cinq blessés par balle
11 juillet : Miguel abattu à la Marina, son meurtrier s’est rendu
17 juillet : une jeune femme ébouillante son compagnon alors qu’il dormait
20 juillet : Sonia, droguée puis violée
22 juillet : un convoyeur de fonds braqué
24 juillet : Blessé à coups de fusil deux fois en deux jours
29 juillet : Tentative de meurtre à la fête d’anniversaire/Deux femmes blessées par des voleurs
3 août : Le Leader Price braqué en plein après-midi
5 août : un homme abattu cour Zamia
8 août : Les braquages nocturnes reprennent sur les plages/Deux stations-service braquées
10 août : Abattu pendant la fête d’après tour
16 août : Abattu dans un guet-apens
20 août : Fusillade au Gosier : deux blessés graves
21 août : Braquage à l’ammoniac
2 septembre : Poignardé à 17 ans, mais pourquoi ?
3 septembre : Le procureur crie sa honte/En exclusivité les communes les plus violentes
7 septembre : La rentrée des braqueurs
14 septembre : » Il m’a planté ses dents partout »
18 septembre : Coup de feu à Pliane : un jeune homme entre la vie et la mort
27 septembre : Séries de coups de feu à Capesterre-Belle-Eau.
8 octobre : Tué d’une balle dans la tête
9 octobre : Ils braquent et ils tirent
11 octobre : Délinquance : le pire est à craindre
14 octobre : Derrière les drames, l’alcool/Meurtres, braquages et coups de feu durant le week-end/une fillette et sa mère braquées
LES RAISONS DE COLÈRE
La visite de Manuel Valls en Guadeloupe est l’occasion pour les syndicats policiers de frapper un grand coup. Depuis plusieurs mois, ils appellent à une amélioration des conditions de travail sans jamais être entendus.
Police en Guadeloupe : à la limite de l’asphyxie
Le temps passe et les raisons de la colère des policiers se font un peu plus nombreuses. Le 11 octobre dernier, le syndicat UNSA-Police menait une action au commissariat de Basse-Terre. Le lieu est symbolique de l’état de la police : derrière une façade à l’apparence neuve, des fils dénudés, des problèmes d’insalubrité et travaux commencés à peine finis. Ces conditions n’empêchent pas les policiers d’y assurer un service continu. » Les conditions de travail dans ce commissariat ne sont pas dignes de la police. De plus, comment accueillir dignement le citoyen qui vient chercher du réconfort, alors qu’il vit souvent un moment difficile de sa vie, avec de l’eau, qui coule du toit ? Le bâtiment qui abrite ce commissariat date du milieu des années 60. De par sa vétusté, son devenir a été en balance et l’est encore. Il devait être déménagé. Aucune décision ferme n’a été prise. Ce sont ces atermoiements qui ont empêché la mise en œuvre de bons travaux de réfection » explique Éric Calmels secrétaire départemental adjoint de l’UNSA-Police. Et le commissariat de Capesterre-Belle-Eau, en attente lui aussi d’une fermeture qui ne vient pas ne se porte pas mieux. En quelques années, près de quatre commissariats et gendarmerie ont fermé leurs portes dans le département. Quoiqu’en dise la direction départementale, les officiers n’ont aucun doute quant à la nécessité d’un renforcement de la présence sur le terrain. » On a perdu 60 postes ces dernières années en départs à la retraite et en mutations. Ces postes n’ont pas été remplacés, en dehors des 27 renforts qui ont été promis par Jean-Marc Ayrault et qui ont pris leurs fonctions il y a deux mois. Or, pour une couverture optimale du terrain, nous aurions besoin de 100 personnes » analyse Christian Klock responsable départemental du syndicat. Un effectif qu’il n’est pas impossible à atteindre en jouant notamment sur les demandes de mutations et le retour des jeunes policiers guadeloupéens frais sortis de l’école de police. Pourtant là encore, l’administration centrale fait la sourde oreille. Mieux, les policiers pensent que durant sa visite le ministre ne verra pas les problèmes qu’affrontent les policiers. » Nous ne nous faisons aucune illusion quant à la venue du ministre de l’Intérieur. Il va faire quelques visites, viendra ici [commissariat Pointe-à-Pitre/Abymes de Boissard] alors que les lieux sont neufs et n’aura aucun moyen de se faire une idée précise de l’état de la police en Guadeloupe, ça c’est toujours passé comme ça « . Toutefois, cette apparente résignation des syndicats, dans un contexte de tensions internes et externes, ne les empêchera pas d’attendre les déclarations du ministre de pied ferme. En attendant une pétition qui associe les agents et la société civile et qui demande entre autres un classement des secteurs les plus criminogènes de Guadeloupe pour y associer la présence une présence policière renforcée.
Des services à renforcer
Si le recul de la présence des forces de l’ordre se fait sentir sur le terrain, notamment par la difficulté à boucler des patrouilles, certains services sont clairement à la peine, autant au niveau des hommes que des moyens. Le plus touché est le service Groupe Opérationnel du SDIG récemment créé pour la régulation des bandes organisées et de l’économie souterraine. Opérationnel depuis un mois, il ne dispose toujours pas des moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Pas de local, pas d’ordinateurs, d’appareils photos ni de voitures pour les filatures. Pourtant les policiers ont déjà investi le terrain et bricolent par leurs propres moyens, et ont souvent recours à leurs propres véhicules. Bien que justifiée, la création du service n’a pas semblé faire l’objet d’une préparation préalable. Les services d’enquête – nécessaires pour la prévention et le suivi des dossiers sont logés à la même enseigne. Les effectifs mériteraient d’être renforcés. » La nature a horreur du vide, c’est bien parce que notre présence sur le terrain est en recul que les actes de délinquance se sont multipliés. Car non seulement ils ont lieu en région pointoise, mais aussi dans toutes les campagnes où nous occupons un peu moins le terrain » conclut Christian Klock. Malgré des conditions difficiles, les chiffres présentés par la direction de la police et la préfecture affichent un taux d’élucidation particulièrement élevé. Pourtant, ce bon résultat prouve aussi que la police court après un phénomène qu’elle n’avait absolument pas anticipé.
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