Des élèves en classe en Guadeloupe. Photo d’illustration : Gilles Morel / Sipa

Le rapport d’information de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat évalue l’application de la loi Molac sur les langues régionales quatre ans après son adoption (lire ici). Le constat n’est pas enthousiaste sur l’enseignement de ces langues y compris le créole. Il a cependant le mérite d’identifier les freins à l’épanouissement du créole et de proposer un cadre concret pour son sauvetage.

Dans les académies d’Outre-mer, le créole résonne aussi bien dans les cours de récréation que dans les foyers, mais son entrée dans les salles de classe reste timide. Le rapport sénatorial sur les langues régionales, publié le 5 octobre dernier en dresse le constat : si la demande des familles est « forte », les obstacles structurels limitent l’apprentissage.

« Le créole est la langue maternelle ou langue d’usage de la majorité des enfants » en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion, peut-on lire dans le document. Pourtant, son enseignement bute sur une offre inégale et un manque de professeurs formés.

Le problème est clairement identifié : « Le nombre de postes ouverts aux concours de recrutement de professeurs des écoles et du secondaire demeure très faible ». Résultat, peu d’enseignants sont formés pour transmettre cette langue, alors que la loi du 21 mai 2021, dite loi Molac, a ouvert de nouvelles possibilités, comme l’enseignement immersif.

Les sénateurs appellent à « renforcer la formation initiale et continue des enseignants » et à « sécuriser les parcours immersifs ». Ils proposent aussi d’intégrer davantage le créole dans les cartes académiques des langues vivantes, pour lui donner une visibilité équivalente aux autres langues.

Un potentiel énorme, mais

Les données du rapport révèlent une situation contrastée pour le créole en Guadeloupe. L’essor est remarquable dans le primaire. Le créole connaît dans le premier degré une progression explosive de 92 % de ses effectifs entre 2021 et 2023, passant de 4 643 à 8 896 écoliers. Ce qui augure d’un ancrage prometteur chez les jeunes générations.

Cet élan est brisé net dans le secondaire. Si les effectifs collégiens restent importants, on observe une chute brutale de 43,7 % des effectifs au lycée. Cette rupture est le symptôme d’un système qui ne parvient pas à retenir les élèves.

Le rapport identifie plusieurs freins. La réforme du lycée et du baccalauréat est la cause principale du « trou d’air » du secondaire. Les options de langues régionales sont marginalisées dans les emplois du temps et bien moins valorisées dans la note finale. Pour un lycéen, choisir le créole devient un « choix coûteux » en termes de charge de travail pour une reconnaissance limitée.

Le manque de moyens humains est l’autre frein important. Le rapport souligne la « très forte carence en ressources humaines : trop peu d’enseignants maîtrisent les langues régionales ». Cette pénurie empêche l’ouverture de nouvelles filières et fragilise celles qui existent, avec des enseignants absents, difficilement remplacés.

L’absence de politique nationale claire est un autre handicap. Aujourd’hui, la promotion des langues régionales dépend du volontarisme local et de « rapports de force ». Le rapport déplore également le manque de continuité. Il n’existe pas de parcours fluide « de la maternelle au bac ». L’offre créole est souvent morcelée, sans garantie de pouvoir poursuivre l’apprentissage dans l’établissement suivant. De plus, la faible reconnaissance au baccalauréat (peu de points bonus) n’incite pas les élèves à persévérer.

Un plan d’action sur mesure pour le créole

Au-delà du constat, le rapport dresse une feuille de route. 23 recommandations, en forme de boîte à outils directement applicable pour sauver l’enseignement du créole.

Le rapport préconise une politique publique nationale. Il recommande de définir une stratégie nationale pour garantir une impulsion égale sur tous les territoires, y compris ceux concernés par le créole. Il faut aussi développer l’offre scolaire, assurer la continuité des parcours pour mettre fin à l’hémorragie collège lycée.

De même le rapport recommande de développer les filières bilingues et immersives, méthode indispensable pour former des locuteurs complets. L’autre axe vise à développer les moyens humains. Le rapport propose de recenser les enseignants compétents et volontaires et d’intégrer le créole dans la formation initiale des enseignants. Pour ce faire, il convient de sécuriser la formation continue et de communiquer sur son existence.

À toutes ces mesures il faut ajouter une véritable valorisation de la langue. Le rapport préconise aussi de concevoir des épreuves du bac en créole (mathématiques, spécialités, grand oral). Mesure qui soit dit en passant a tout d’une chimère.

Le gouvernement, les élus locaux, les acteurs de l’éducation nationale sont appelés à offrir au créole, une chance de passer du statut de « patrimoine en danger » à celui de « langue vivante et transmise ».

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