NOUVEL ÉPISODE D’UN FEUILLETON

Voilà plus d’un an et demi que les gérants de stations-service sont entrés en rébellion contre les pouvoirs publics sur le dossier du carburant. S’ils ont fini par accepter un accord sur la mise en application du décret Lurel, la remise en question des accords interprofessionnels (AIP) par la loi sonne le retour au front. Une occasion de faire le point sur les acteurs du dossier et leurs enjeux respectifs.

De réunions ajournées, aux provocations par médias interposés, les gérants et le président de Région se livrent à un véritable jeu du chat et de la souris. Dernier événement en date, la convocation par les gérants d’une nouvelle table ronde en présence de la SARA, des compagnies pétrolières, des élus communaux, de l’État et des associations de consommateurs, ce vendredi 13 mars à Jarry. Pas dupe, Victorin Lurel a aussitôt estimé, par communiqué interposé,  » sans fondement  » la réunion de concertation, puisque la question des stocks stratégiques, et de la revalorisation de la marge de détail était déjà au cœur de la réunion du 5 mars dernier. Petit tacle au passage. Le président de Région persiste et signe en annonçant d’emblée que les AIP ne pourraient être juridiquement reconduites. Il s’est aussi étonné de la présence de tant d’acteurs politiques et dit refuser  » de voir à travers la démarche de […] certains mouvements politiques, une volonté implicite de créer les conditions d’une absence de dialogue constructif de nature à permettre des avancées réelles dans l’intérêt des consommateurs guadeloupéens, avec un risque évident de cacophonie.  » Le ton mordant du communiqué laisse présager une tension croissante dans les négociations des acteurs du dossier.

Les pétroliers

L’origine du mal. Les pétroliers sont évidemment au premier plan du commerce mondial de carburant, mais ce qu’il ne faut pas oublier, dans le cas précis de la Guadeloupe et de la Martinique, c’est que leur statut est triple. Ils sont, et restent évidemment des exportateurs de brut, ensuite ils sont commerçants car ils le vendent à la SARA – dont ils détiennent le capital – enfin ils possèdent eux-mêmes des stations-service. On sait de longue date qu’ils font la pluie et le beau temps dans la Caraïbe. Déjà en janvier 2014, feu Christophe de Margerie, alors PDG du groupe Total (actionnaire majoritaire de la SARA) s’était montré particulièrement offensif lors d’une audition de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Devant la fronde des députés ultramarins menée par le Mahorais Ibrahim Aboubacar l’accusant de réticence face au décret Lurel, de Margerie s’était fendu d’un  » vous êtes menacés de représailles si vous ne vous en remettez pas à un préfet qui vous dit ce qu’il faut faire… On montre les dents  » ajoutant que si Mayotte n’était pas satisfaite de Total, il  » partirait tranquillement « . En dehors de cette saillie, au niveau régional, les pétroliers ne se sont jamais exprimés directement.

La SARA

On prend les mêmes et on recommence. La société anonyme de raffinerie des Antilles est détenue par les pétroliers. C’est une sorte d’interface directe commune aux trois départements français d’Amérique. Elle est donc sur un marché captif et en situation de monopole. Normalement, comme son acronyme l’indique, c’est une unité de raffinerie avant d’être une unité de livraison. Toutefois, la SARA n’arrive plus à raffiner tout le pétrole nécessaire à l’approvisionnement des trois départements. Et c’est là que vient la nébuleuse. Selon les sources du Courrier de Guadeloupe, elle achète presque qu’autant de pétrole raffiné, qu’elle n’en produit. Enfin, l’organisme se montre particulièrement discret et ne communique pas sur ses activités.

Les pouvoirs publics

Les élus ont reconnu une trop grande opacité sur la formation des prix. Toute l’ambition du décret Lurel était de faire le point sur les marges de chaque acteur pour que le consommateur ait une idée plus claire de la formation du prix. À la clé, jusqu’à 5 centimes en moins par litre de carburant. Pour ce faire, les pouvoirs publics et l’autorité de la concurrence ont imposé à la filière carburant une marge qui ne dépasse pas les 9 %. Dès juin 2013, les gérants de stations-service, porte-voix privilégiés des pétroliers, ont commencé à ruer dans les brancards arguant que le décret tel qu’il était conçu menaçait l’emploi. Malgré la mise en application du décret au 1er janvier 2014, les pouvoirs publics n’ont toujours pas reçu de la SARA les éléments pour mieux fixer le prix maximum de vente des carburants.

Les gérants de station-service

Qu’ils le veuillent ou pas, leurs intérêts sont intimement liés à ceux de la SARA. Pendant, longtemps, ils ont fait ensemble du carburant un moyen de pression. Il faut quand même reconnaître que leur statut est un peu particulier. Ils sont gérants et exploitants d’un fonds de commerce qui ne leur appartient pas. Justement, les accords interprofessionnels (AIP) étaient censés compenser cette précarité. Cependant, cet accord a été entre-temps largement dévoyé.

Le consommateur

Encore plus qu’ailleurs, le consommateur guadeloupéen est dépendant de son véhicule, venu compenser l’incurie du service public de transport. Il a d’ailleurs été le premier à être interpellé sur le peu d’impact qu’a eu la baisse mondiale du prix du pétrole dans le département. Son souci est donc de payer son essence moins chère – le budget carburant en Guadeloupe peut peser jusqu’à 300 euros mensuel – et ne de pas se faire gruger. Aussi le mouvement des gérants est fortement impopulaire.

 

CONTROVERSE

Une réunion pour rien

La rencontre entre les gérants de station Victorin Lurel, et Jacques Gillot n’a rien donné sinon une nouvelle polémique sur la non-convocation de la SARA et des compagnies pétrolières.

À l’invitation du préfet, mais en réalité, tout part d’un défi entre Jacques Gillot et Victorin Lurel lancé sur les ondes de RCI, à propos de la grogne qui monte chez les gérants de station de service. Ces derniers sont donc invités à prendre part à une table ronde en présence de Victorin Lurel et de Jacques Gillot et du Préfet. Cette réunion a surtout confirmé les positions antagonistes du président de Région et ceux de Patrick Collé sur le sujet qui les oppose à savoir, les revenus des gérants de station-service. La confrontation Lurel/Collet a été âpre pour ne pas dire plus. Elle n’a évidemment pas contribué à calmer les esprits. Les gérants sont plus que jamais en guerre ouverte contre le décret Lurel qu’ils récusent. Ils l’accusent en substance de les mener à la ruine. Ils tempêtent notamment contre la disparition des fameux accords interprofessionnels pétroliers (AIP). Victorin Lurel a soutenu le choix qui avait été de les supprimer puisqu’à ses yeux ce profit est foncièrement injuste. Les AIP sont assis sur une fraction du prix du litre d’essence payé par les automobilistes. Cette réunion a débouché sur une autre polémique autour de la non-convocation de la SARA et des compagnies pétrolières. France Antilles ayant annoncé un peu vite que les pétroliers et la Sara avaient boudé l’invitation. De fait, ces derniers n’avaient pas été invités. Ils n’ont pas loupé l’occasion de faire part de leur indignation. Selon nos informations, le préfet a clairement expliqué leur absence à cette réunion de jeudi 5 mars. De fait, il n’appartient pas au préfet de Guadeloupe d’inviter la SARA à une telle réunion mais au préfet de Martinique. Le siège social de la raffinerie étant situé en Martinique. Le préfet de Martinique ayant qualité pour agir en premier ressort sur la question des stocks stratégiques pour les Antilles-Guyane.

Pourquoi les AIP sont-ils encore en vigueur en Martinique…

Les gérants de station-service de Guadeloupe emmenés par Patrick Collé ont fait valoir que les AIP étaient en vigueur en Martinique.

Vrai. Sauf que les derniers AIP signés en Martinique l’ont été après ceux de la Guadeloupe. La plupart de ceux signés en Guadeloupe, sont venus à échéance courant 2013. Les contrats en cours en Martinique restent donc valables car non échus. Les AIP ne seront plus renouvelés en Martinique à l’échéance des contrats en cours c’est-à-dire au bout de 5 ans à compter de la date de signature du contrat.

 

CONSOMMATEUR PAYEUR

La vie secrète des AIP

Les accords interprofessionnels pétroliers (AIP) l’une des pommes de discorde brandie par les gérants de station-service s’apparentent à une rente payée par l’automobiliste et que touchent tous les 5 ans les gérants de station-service.

Les accords interprofessionnels pétroliers (AIP) ont vu le jour en 2002. Ils faisaient suite à un énorme conflit entre la compagnie Shell et les gérants de stations-service qu’elle avait sous contrat. Shell voulaient transformer les contrats des gérants de station jusque-là, à durée indéterminée en mandats de trois ans qui pouvaient ne pas être renouvelés. Et ce, sans indemnité aucune. Les gérants devenaient ainsi des mandataires sociaux à forte précarité. Le conflit a été âpre. Tous les gérants, y compris ceux qui ne dépendaient pas de Shell ont été solidaires. Les stations Shell furent bloquées pendant deux mois. Le conflit s’est terminé sur l’abandon de Shell de transformer les gérants en mandataires. Ces derniers n’ont plus eu des contrats à durée indéterminée, ni de trois ans mais des contrats de cinq ans renouvelables avec en prime, les fameux accords interprofessionnels pétroliers. (AIP).

Rente quinquennale

Inspirés des AIP en vigueur dans l’Hexagone, les AIP version Antilles-Guyane n’ont cependant rien à voir avec leur modèle. D’abord les AIP de France hexagonale fonctionnent comme une indemnité perçue uniquement lorsque le gérant s’en va, définitivement. Or, en Guadeloupe les gérants perçoivent cette prime à chaque fin de période des cinq ans. Cela n’empêche nullement de signer tout de suite après un autre contrat avec la même compagnie. C’est en quelque sorte une rente quinquennale. Et puis, en France hexagonale, c’est un contrat entre deux entités commerciales : la. compagnie pétrolière et le gérant. Contrairement à ce qui est observé en Guadeloupe, elle n’est pas abondée par un pourcentage du litre d’essence payée par l’automobiliste (2,3 centimes par litre). Collectée par la SARA sur le chiffre d’affaires d’essence vendue, les AIP sont versés aux gérants des stations-service des Antilles. Autre caractéristique, l’AIP ne devrait concerner que les gérants sous contrat. Or, toutes les stations perçoivent des AIP. Y compris celles qui ne sont pas sous contrats mais qui sont propriétaires de leurs stations. Il en subsiste une vingtaine en Guadeloupe dans cette configuration.

 

FLOU PERSISTANT

Des AIP dans chaque goutte

Plusieurs Guadeloupéens possèdent des cuves privées. Cela leur permet de ne pas souffrir des affres occasionnées par les blocages des stations d’essence. De bonnes sources assurent que les ventes effectuées dans ce contexte, ont contribué elles aussi, à la cagnotte des AIP. Les propriétaires de cuves privées qui achètent directement leur carburant aux grossistes paient aussi les AIP. Le savent-ils ?

 

RÉQUISITION

Les dessous du décret Lurel

Dans les nouveaux textes qui régissent la distribution des produits pétroliers en Guadeloupe, l’accent est mis sur les marges des pétroliers, la transparence imposée à la raffinerie SARA, les AIP des gérants de station-service. Mais il faut aussi noter qu’il ne devrait plus être possible de bloquer la Guadeloupe pour cause de pénurie de carburant. Explications.

Dans le petit monde du circuit pétrolier, personne n’est content. La suppression des AIP rend furieux les gérants de station-service, la transparence réclamée à la raffinerie SARA la met dans tous ses états. Elle a d’ailleurs décidé de ne plus communiquer aux services de l’État, les éléments nécessaires au calcul du prix du carburant. Les pétroliers sont plus qu’agacés de voir leur marge rognée. Mais il y a un autre point du décret Lurel qui risque encore davantage d’ulcérer les différents protagonistes du circuit pétrolier. À la lecture du texte aujourd’hui en vigueur pour la distribution du carburant dans les DOM, il paraît difficile de bloquer complètement la Guadeloupe en la privant de carburant, si bien sûr, la loi est intégralement appliquée. Ainsi, le chapitre unique du titre VII du livre VI du code de l’énergie est complété par des articles L. 671-2 et L. 671-3. Ces deux articles stipulent que dans le secteur des produits pétroliers, les entreprises sont soumises à une réglementation. Elles ne peuvent décider d’interrompre leur activité de distribution, moyennant certaines conditions strictes. D’abord le préfet après concertation avec les différents acteurs de la filière, doit rendre public un plan de prévention des ruptures d’approvisionnement. Plan qui prévoit la livraison de carburant pour le quart des détaillants du réseau. Sur la liste les détaillants doivent être nommément désignés et répartis sur le territoire. Le texte poursuit :  » Si, en cas d’interruption volontaire de son activité, une entreprise du secteur de la distribution en gros refuse d’approvisionner les détaillants de son réseau de distribution mentionnés au plan de prévention des ruptures d’approvisionnement, le représentant de l’État procède à sa réquisition(…) « . Autrement dit, la SARA est obligée de livrer au moins un quart des stations d’essence. Sur 107 que compte la Guadeloupe, cela ferait 41 stations ouvertes. De fait, la menace de non-livraison de carburant par la SARA ne devrait pas valoir tripette. Mais le texte a prévu également de prévenir une paralysie occasionnée par les gérants de station-service.  » Lorsque les points de vente figurant dans le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement font l’objet d’une interruption de leur activité à la suite d’une décision concertée des entreprises de distribution de détail, le représentant de l’État procède à leur réquisition, dans les conditions prévues à l’article L. 2215-1 du code général des collectivités. (…).

 

CODE DE L’ÉNERGIE

Sanctions lourdes pour les contrevenants

L’Art. L. 671-3 dispose qu’une entreprise du secteur de la distribution en gros de produits pétroliers qui ne respecterait pas le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement mentionné à l’article L. 671-2 sera puni de 50 000 € d’amende. La loi a prévu des modalités et des règles pour organiser la distribution des produits pétroliers, mais aussi des sanctions pour ceux qui contreviendraient à la réglementation.

 

 

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