Le sexe vu dans le carnaval
« Ni éthique ni moral »
• Selon le sociologue, plus que les gens dénudés, l’alcool et la présence des enfants constituent les vrais dangers dans les défilés.
Les tenues vestimentaires du groupe Vim lors des défilés du carnaval sont-elles un appel au sexe ?
Raymond Otto : Le carnaval est un exutoire. Sé bòdé apiyé, c’est la satire, c’est l’inversion, c’est l’excès. Ce n’est pas un espace éthique et moral. Dans le même temps, nous sommes influencés par les anglophones de la Caraïbe qui ont une sociologie du corps différente de la nôtre. Ils exhibent le corps, mais défense d’y toucher. Il y a plus grave que l’exposition des sexes. C’est tout l’alcool qui est consommé. Personne n’en parle. Autrefois, seuls les hommes buvaient dans les défilés. Aujourd’hui les femmes et les adolescents boivent tout autant. L’alcool favorise le passage à l’acte sexuel. L’autre anomalie c’est la présence des enfants dans les défilés. Avant, ils défilaient le samedi. On a voulu des baby-mas dans les défilés d’adultes. Des enfants de dix ans qui défilent chaque dimanche sont épuisés après deux mois. Or c’est la période des évaluations. Il faut être cohérent.
Les récriminations contre Vim sont-elles signe de l’avènement d’un carnaval plus rigoriste ?
L’évolution qui a cours aujourd’hui c’est l’installation de velléités mercantiles au détriment du culturel ou de la fête. Les musiciens du carnaval ont créé un collectif pour être rémunérés. Il y a un mercato des soufflants. Les groupes ont des préoccupations éloignées de la fête. Les femmes corpulentes sont reléguées au dernier rang. Un président de groupe a justifié cette tendance. Selon lui, il est important de « soigner l’esthétique télévisuelle ».
Le courant qui prône la retenue va-t-il supplanter les tenants du bòdé apiyé ?
À l’initiative d’Akiyo, Nasyon a nèg mawon, le Point et Voukoum est né un groupement intitulé Pòz rèpwansans’ qui a édicté des règles. ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas abordé le problème des enfants dans le carnaval. On y voit toujours des bébés dans des poussettes. Ils ont mis en place des ateliers d’insertion et de soins contre les addictions. Des commissions régissent les tenues vestimentaires. Le mot d’ordre est tenue sobre. Ils défendent leur vision. il n’est pas sûr qu’ils réussiront à l’imposer.
VIM accusé de sexualiser vaval
Le groupe carnavalesque Vim a comme l’an dernier défrayé la chronique après qu’il eut défilé vendredi 26 janvier dans les rues de Pointe-à-Pitre avec des tenues jugées indécentes. Érauss, slameur engagé s’est montré particulièrement véhément à l’égard de Vim. Il a estimé en substance que défiler presque nu contribuait à dénaturer notre culture, qu’il y a des enfants tout au long des défilés, « montrer les fesses des femmes noires, c’est les sexualiser, les instrumentaliser », proteste-t-il. Selon lui, le carnaval est un pan de notre culture et une affirmation identitaire, non un moment privilégié de débauche intense. Une thèse que réfute Rudy Benjamin directeur artistique de Vim, visé par les critiques. Le musicien joint au téléphone vendredi 2 février a d’emblée affirmé qu’il ne tient pas à alimenter la polémique. « Sé kannaval », a-t-il répondu. Le musicien déplore la quête perpétuelle du buzz orchestrée par les médias. Au-delà, il considère que ceux qui émettent ces critiques ne savent rien du carnaval. C’est selon lui, un moment d’inversion, de dérision, de licence et de liberté totale. Rudy Benjamin se réfère aux vidés des années soixante-dix. « Les coups de reins étaient osés. Les chants grivois au possible. Les carnavaliers venaient des couches populaires et n’étaient pas très habillés ». La polémique qui s’est installée depuis deux ans, révèle deux visions du carnaval. L’une se veut culturelle, identitaire voire nationaliste, l’autre festive avec comme corollaires, la dérision, la satire et licence à outrance.
Le sexe peut-il s’afficher dans le carnaval ?
• David Sulon, 40 ans, Chauffeur d’engin, Le Moule: « Le carnaval est synonyme de « tout est permis ». C’est un moment de défoulement qu’il faut quand même contrôler. Avant, quand je participais au carnaval, je faisais partie de l’équipe qui déguisait Vaval. Le mercredi des cendres on l’habillait de manière un peu osée. Mais il y a aussi des enfants qui, même très jeunes, comprennent ce qu’il se passe autour d’eux. »
• Dominique Jean-François, 46 ans, commerciale, Capesterre-Belle-Eau: « C’est une question de coutume. Au Brésil ou à Trinidad, ça ne choque personne car ça fait partie de leur culture. Ce n’est pas encore rentré dans les mœurs. On est très Européens, bien moins Caribéens qu’on ne le pense. La Guadeloupe n’est pas encore prête c’est tout. Est-ce que les gens sont capables de faire preuve d’ouverture d’esprit ? »
• Robert Coupon, 48 ans, chauffeur-livreur, Capesterre-Belle-Eau: « À la base pour moi le carnaval est diabolique. C’est une réalité spirituelle. L’encens, par exemple, a une vraie connotation spirituelle. Et le côté sexuel ajoute une couche supplémentaire à cette forme de dépravation. Ils n’ont pas conscience de ce qu’ils font. Mais heureusement tout le monde n’y va pas avec le même esprit. »
• Sabrina Vinglassalon, 40 ans, sans emploi, Capesterre-Belle-Eau: « C’est vrai qu’il y a des tenues assez dénudées, mais il n’y a pas forcément d’attrait sexuel. Ce n’est pas prohibé, mais c’est vrai que parfois ça va trop loin et pour avoir un bon carnaval ce n’est pas nécessaire. C’est tout simplement de la débauche. Il paraît même que c’est la période propice à la conception des bébés ! »
• Rosa Angélique, 37 ans, sans emploi, Les Abymes: « Le carnaval est un moment où on se défoule, où on s’amuse. Pour moi c’est caricatural. C’est une satire de notre société. Je pense qu’il faut respecter la liberté de chacun, mais certains se lâchent trop et en profitent pour tout montrer. Ils imitent la culture caribéenne et veulent se l’approprier, quitte à perdre leur propre identité. »
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