Une cinquantaine de convives sous chapiteau, des petits-fours, un orchestre, des cotillons, des fleurs, des cadeaux, une médaille et un diplôme. Il y a environ une semaine, le 5 mai, la commune de Morne-à-l’Eau a pris part à la célébration des 107 ans de Marie-Thérèse Dalmont domiciliée à Bonne-Terre (photo ci-dessus). En ce dimanche, dans une maison prêtée par une voisine, on célèbre cette ancienne amarreuse de cannes qui à l’âge actif cumulait les activités et faisait deux journées en une, mais aussi cette mère sans enfant et qui pourtant en a plein, cette femme qui s’occupait pour la communauté de l’entretien de la chapelle toute proche.
« À son époque, il fallait survivre. Les temps étaient difficiles. Elle a œuvré dans les champs de canne, il fallait qu’elle subvienne à ses besoins, il fallait qu’elle tienne, tout en étant seule » rapporte Joubert Luce l’adjoint au maire et président délégué du CCAS de la commune qui a fait le déplacement avec une délégation du conseil municipal.
« Si je devais lui demander aujourd’hui quel est le secret de sa longévité, nous pensons qu’elle a bien mangé, elle a mangé naturel. Elle a toujours œuvré, elle faisait [le trajet] du bourg à son domicile à pieds, plusieurs fois » poursuit l’élu sous les hochements de tête approbateurs de celle qui est saluée comme la doyenne de la commune. Marie-Thérèse Dalmont précède de seulement quelques mois le doyen de la commune qui n’est pas loin de fêter lui aussi ses 107 ans.


Tout au long de l’année, partout en Guadeloupe, les CCAS des communes apportent leurs contributions aux anniversaires des centenaires. L’année 2024, a démarré avec le 15 janvier, à Basse-Terre Camille Jérent qui fêtait ses 100 ans en présence du maire André Atallah venu saluer l’entrée dans cette classe d’âge illustre qui regroupe une douzaine de Basse-terriens centenaires.
Le 19 janvier c’était au tour du maire de Sainte-Anne d’honorer le 102e anniversaire de Marcellin Lubeth père, qui a été maire de la ville de 1989 à 2001 et président du conseil général de la Guadeloupe 1998 à 2001.
Le 24 février une messe a été célébrée à la Paroisse du centre gérontologique des Abymes par le Père Jean Hamot à l’occasion du 103e anniversaire de Gabrielle Cipolin. Le maire de Pointe-à-Pitre Harry Durimel était présent pour glorifier cette « mère de huit enfants, engagée tôt en politique et qui a activement œuvré pour le tissu associatif pointois et plus largement guadeloupéen ».
Le 27 février, la commune de Goyave festoyait aux côtés de la doyenne de la ville, Alida Virginie, 102 ans.
Le 29 avril c’était au tour du Gosier qui voyait Robert Ludovic Boisdur célébrer ses 101 ans.





8 fois plus nombreux que dans l’Hexagone
Les centenaires sont de plus en plus nombreux en France. Parmi eux certains vivent bien au-delà de 100 ans. C’est le constat relevé dans l’étude menée par l’Institut national d’études démographiques (Ined) qui publie le 24 avril, un article consacré aux centenaires en France et titré « Vivre au-delà de 105 ans : quand l’improbable devient réalité ».
Les auteurs décrivent une augmentation « spectaculaire » du nombre de centenaires depuis la fin de la 2e guerre mondiale. Autrefois rares, les plus de cent ans sont aujourd’hui de plus en plus nombreux, avec l’émergence de surcroît d’une nouvelle classe d’âge, les supercentenaires qui atteignent 110 ans et plus.
La grande majorité des centenaires sont des femmes 86 % en 2023. Selon l’Insee leur prépondérance est encore plus importante chez les 105 ans et plus, et davantage encore chez les supercentenaires.
L’étude relate surtout qu’on retrouve les supercentenaires en plus grande proportion en Guadeloupe et en Martinique. Ces deux territoires avec respectivement 44 et 36 supercentenaires, pour un million d’habitants, se distinguent nettement du reste de la France. Rapportés à la population, les supercentenaires en Guadeloupe et en Martinique sont 8 fois plus nombreux que dans l’Hexagone.
Cette différence est d’autant plus surprenante que la Guadeloupe a une espérance de vie à la naissance sensiblement inférieure à celle de l’Hexagone (en 2022, 83,5 ans pour les Guadeloupéennes contre 85,2 ans dans l’Hexagone).
« De plus en plus de ‘supercentenaires’ en France : pourquoi sont-ils surreprésentés aux Antilles ? » a titré le site d’actualités Le Parisien. « Pourquoi les supercentenaires sont si nombreux aux Antilles ? » s’est aussi interrogé le site de l’hebdomadaire Le Point. Sur la même longueur d’onde, le site dédié au grand âge pleinevie.fr titre « Pourquoi vit-on plus longtemps en Guadeloupe et en Martinique ? »
Sauf que « selon les données de l’Ined, on ne sait pas vraiment pourquoi il y a plus de supercentenaires en Guadeloupe et en Martinique » rapporte Pleine vie.
Une hypothèse génétique peu scientifique
Il est vrai que pour expliquer ce bénéfice antillais, l’Ined patauge dans le flou. L’institut avance des hypothèses. L’une d’elle est que cette propension à vivre très vieux serait imputable à des gènes de longévité qu’aurait conservé et perpétué les plus robustes des esclaves. Les conditions extrêmes de la traversée de l’Atlantique auraient abouti à une sélection des plus résistants d’entre eux. Mais, La Guyane qui a un connu un peuplement issu de la traite négrière transatlantique n’abrite pas autant de supercentenaires que les Antilles, ce qui ne plaide pas en faveur de cette hypothèse.
Il en est de même pour le quatrième département ultramarin. L’Ined s’est intéressée à La Réunion et avance l’idée selon laquelle les esclaves déportés à l’île Bourbon n’auraient pas subi la rudesse de la traversée de l’Atlantique, à l’inverse de ceux qui ont fait route vers les colonies d’Amérique. Une affirmation vraie pour les esclaves en provenance de Madagascar, du Mozambique ou plus généralement de la côte orientale du continent africain. Mais beaucoup venaient aussi de l’Afrique de l’Ouest. Or, depuis la côte ouest de l’Afrique, la route vers La Réunion est bien plus longue en passant par le cap de Bonne espérance tout au sud de l’Afrique, que celle qui mène aux Antilles et qui traverse l’Atlantique.
Interrogée par Le Courrier de Guadeloupe sur les causes de la longévité des centenaires guadeloupéens, le Dr Larissa Vainqueur, oncogériatre et présidente de la société de gériatrie et gérontologie de Guadeloupe souligne qu’elle n’a pas été sollicitée par l’Ined à l’occasion de cette publication. Et à sa connaissance aucun membre de la société de gériatrie non plus.
Nourriture, activité physique, sommeil, domicile
Larissa Vainqueur n’a rien contre l’hypothèse génétique, mais dit-elle, elle ne repose sur rien de scientifique. En revanche, la gériatre martèle, comme sa consœur Dr Leïla Rinaldo gériatre et précédente présidente de la société de gériatrie, qu’il n’y a pas qu’un seul facteur qui explique cette longévité exceptionnelle. Celle-ci est liée au mode de vie.
Un mode de vie qui englobe notamment la nourriture, l’activité physique via la mobilité, le sommeil. « Nos grands-parents mangeaient des racines, ignames, fruit à pain, madères. Des aliments pauvres en apport calorique mais riches en acides gras, oméga 3 et oméga 6. Ils ne mangeaient de la viande que le dimanche et c’était souvent un poulet élevé dans leur jardin. Ils se déplaçaient à pied pour aller à l’école quand ils étaient petits et continuaient à se déplacer à pied lorsqu’ils étaient devenus adultes » décrit le Dr Vainqueur.
Vive d’esprit et le verbe clair, à Basse-Terre en janvier dernier Camille Jérent décrivait son régime frugal : « On allait à la rivière pêcher des écrevisses. On ne mangeait pas trop, juste ce qu’il y avait au jardin. En fonction des mois, janvier, février, mars, ça changeait. C’était dur, mais on ne manquait de rien. » André Atallah, cardiologue et maire de la ville rappelait à cette occasion que « 80 % des déterminants de santé c’est le mode de vie et l’environnement, ce que vous mangez, avez dans votre assiette, l’air que vous respirez… ». Le médecin insistait aussi sur le fait qu’à cet âge, ce qui est important ce n’est plus de « mettre des années dans la vie, mais de la vie dans les années ».

L’environnement affectif, et le maintien à domicile, un facteur qui fait les jours heureux de nombreux centenaires en Guadeloupe. La Basse-terrienne Camille Jérent qui raconte avoir eu « la messe pour compagnon » et avoir dû élever seule ses trois enfants, se réjouit d’être encore aujourd’hui très entourée par ses enfants, neveux, et leurs enfants. Ce sont ses trois enfants qui se relaient pour dormir avec elle tous les soirs. Un maintien à domicile vanté par le conseil départemental en charge de la politique du grand âge.
« Le Département se fait fort de mettre en place des politiques qui tendraient à maintenir la personne âgée au sein de la famille. On sait que la personne âgée maintenue dans la famille, c’est un signe d’épanouissement et de longévité dans de bonnes conditions » soutient Élie Califer, député et conseiller du canton de Basse-Terre. La Guadeloupe compte environ 7 500 bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie. Près de 90 % des bénéficiaires étaient à domicile et 10 % en hébergement.
Face à l’augmentation connue du nombre des personnes âgées et très âgées, se posent les défis de l’augmentation des services dédiés et du contrôle de leur qualité.
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