Le mois de mai tire à sa fin. Il aura été comme chaque année, consacré aux commémorations avec pour ce qui concerne la Guadeloupe, le prisme de la traite négrière, les luttes pour l’abolition de l’esclavage, et les questions afférentes à cette thématique. Particularité de cette année, la question des réparations jamais éteinte, a ressurgi, comme revigorée en 2015. Mais le clou de ce mois de mai reste bien sûr, l’édification du Mémorial ACTe avec à la clé son inauguration par François Hollande, en présence de nombreux dignitaires de pays d’Afrique dont deux chefs d’État, celle de dirigeants de pays de la Caraïbe, dont Haïti. Peut-être prédestiné, pour les commémorations ou célébrations fortes, le mois de mai n’a pas seulement été consacré à la traite négrière. François Hollande sur sa lancée a présidé l’entrée au Panthéon de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Thillon, Pierre Brossolette et Jean Zay. Quatre résistants de la deuxième guerre mondiale qui selon le président de la République ne devaient pas sortir de la mémoire des Français pour leur action, leur attitude, leur engagement, leur résistance pendant l’occupation allemande. Rien à redire. Au contraire, la République a besoin de modèles et de symboles pour perpétuer au fil du temps ses principes. Et pourtant, il s’est tout de même trouvé quelques énergumènes pour critiquer l’initiative. Bien sûr c’est François Hollande qui est visé. En gros, on lui reproche d’essayer d’enjoliver le présent en refaisant vivre le passé. C’est bien possible. Mais en voulant atteindre le chef de l’État on dénigre aussi toutes ces figures de la résistance. D’autres vont encore plus loin. Il faut arrêter de commémorer. Il faut bannir les lieux de mémoire. Et dernier argument il faut distinguer l’Histoire de la mémoire. Au nom de la rigueur méthodologique, c’est plutôt juste. Mais encore faut-il que cette rigueur soit réelle. Car ce sont toujours les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Et ils écrivent l’histoire qui leur convient. Ainsi, si l’on se fiait à Jules Michelet, historien qui s’est promené dans tous les manuels scolaires d’Histoire, Dieu que la France et ses monarques seraient majestueux. Tout cela pour dire qu’il va de soi que la recherche historique imprime le ton. À condition toutefois d’avoir toujours à l’esprit que cette exigence scientifique peut déboucher sur des connaissances parcellaires et que par conséquent, dans ce domaine aussi, la vérité n’est pas absolue. Reste maintenant le procès qu’on fait à la mémoire et aux lieux de mémoire. En réalité, commémorer ne veut rien dire d’autre que se souvenir. Se souvenir solennellement et publiquement, mais surtout se souvenir, se remémorer. Pour ce qui concerne les Juifs, il s’agit de ne jamais oublier que des hommes comme eux ont pu programmer leur extermination en organisant leur gazage comme de vulgaires poux. Pour les Descendants d’esclaves, il s’agit de ne jamais oublier que des hommes comme eux, ont pu considérer que leurs aïeux noirs étaient des objets qu’on pouvait vendre, à qui on pouvait mettre des fers aux pieds, faire travailler à coups de fouets et faire subir les pires sévices. Certains de ceux qui ne sont ni Juifs ni Descendants d’esclaves croient n’être pas concernés. Ils réfutent par avance ce qu’ils appellent dédaigneusement toute repentance. Ils ont pourtant tort. Non pas par parce qu’ils seraient responsables des atrocités commises, mais parce que chaque homme porte en lui la responsabilité totale de l’humanité tout entière. Certes les commémorations brûlent davantage la mémoire de ceux dont les pères ont subi les errements et les folies humaines, cela n’empêche pas que tous les hommes soient concernés par chaque atteinte portée à l’humanité. Pour autant, il ne s’agit pas non plus de venir ressasser chaque année sa rancœur et désigner un coupable. Dans l’idée même de commémoration on devrait pouvoir trouver la notion de recueillement et d’apaisement. Les lieux de mémoire servent d’abord à cela.
Poster un commentaire