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Lanceur d’alerte, un vrai statut

L’arrêt rendu par la Cour de cassation dans l’affaire qui opposait Laurent Jacoby-Koaly à Gérard Maximin, alors président de l’association guadeloupéenne de gestion et de réalisation d’examens de santé (Agrexam), réhabilite Laurent Jacoby-Koaly. Un homme meurtri. L’arrêt administre aussi une gifle magistrale à un système qui se complaît depuis toujours dans les connivences et la lâcheté. Il donne surtout espoir à ceux qui croient encore aux valeurs d’intégrité, d’honnêteté et de courage. Dans cette affaire – le rappeler ne plaira pas à tout le monde – l’histoire se répète. L’Agrexam a pris la suite du centre Sainte-Geneviève où un directeur administratif et financier avait déjà dénoncé les extravagances d’un médecin directeur. Le centre a périclité sans bruit ni trompette. Paix à son âme. L’Agrexam dès son départ, a failli emboîter le pas à Sainte-Geneviève. Heureusement, il n’en est rien. Les Guadeloupéens démunis peuvent par l’entremise de l’établissement, bénéficier d’un suivi médical gratuit, sans que certains ne s’engraissent de fonds publics.

L’arrêt Jacoby-Koaly a une portée nationale. C’est bien la première fois que la Cour de cassation consacre officiellement, et sans équivoque, un lanceur d’alerte. Cet arrêt est d’autant chargé de sens qu’il coupe l’herbe sous le pied du législateur. En l’occurrence au Sénat qui est en ce moment à ergoter sur les conditions nécessaires propres à reconnaître un lanceur d’alerte. Des conditions que la chambre haute voudrait drastiques, afin dit-elle, de protéger le secret des affaires. De fait, les exigences du Sénat tendront surtout à rendre impossible la qualité de lanceur d’alerte. L’analyse d’une seule des conditions préconisées par la droite sénatoriale renseigne sur ses réelles motivations. Celle qui consiste par exemple à rendre obligatoire la plainte du salarié d’abord à son supérieur hiérarchique, puis à un échelon plus haut, ainsi de suite jusqu’au dernier, avant de s’en remettre aux autorités judiciaires, relève d’une triste farce. Si cette exigence avait été de rigueur, Laurent Jacoby-Koaly aurait attendu longtemps. Le président de l’Agrexam était de mèche avec Pierre Thicot. Il n’ignorait rien des manigances de son confrère. Pourquoi Laurent Jacoby-Koaly se serait-il plaint à lui ?

L’arrêt a également une portée européenne puisqu’il puise son fondement dans l’article 10 chapitre 1 de la convention de sauvegarde de la liberté d’expression et des droits de l’homme. Un texte qui appartient au corpus de la convention européenne des droits de l’homme. C’est dire combien les juges luxembourgeois ont été crasses lorsqu’ils ont condamné les donneurs d’alerte de leur pays en motivant leur décision par une prétendue absence de texte. Dans l’interview qu’il a accordée au Courrier de Guadeloupe (voir page 6) Raphaël Spéronel analyse la portée de cet arrêt, cette fois au niveau de la sphère guadeloupéenne. Pour aller vite, le psychologue estime que toute la Guadeloupe devrait s’en sentir gratifiée.

Le peu d’écho donné à l’information ne plaide pas dans le sens de cette thèse. Même quand ils font l’histoire, ne serait-ce que l’histoire législative, les Guadeloupéens préfèrent regarder ailleurs. Reste maintenant à évoquer l’épilogue de cette saga judiciaire. L’Agrexam sera condamnée par la cour d’appel de Basse-Terre obligatoirement recomposée, à réintégrer Laurent Jacoby-Koaly. Selon les injonctions de la Cour de cassation. Le licenciement prononcé à l’encontre du salarié est nul. Son contrat est réputé n’avoir jamais été interrompu. L’Agrexam lui doit donc cinq ans de salaire. Laurent Jacoby-Koaly va pouvoir aussi réintégrer son poste. Et au cas où il le ferait, m’est avis que ses supérieurs et ses collègues le regarderont d’un autre œil. Lanceur d’alerte, c’est un vrai statut.

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