Jean-Jacques Racamy, agent pénitentiaire, secrétaire général de l'Unsa Ufap Justice Guadeloupe. Photo : DR

« Je remercie et je présente tous mes respects aux agents pénitentiaires, dont une très grande partie, parfois plus de 50 % des promotions de formation, vient des Outre-mer pour servir la République partout dans les prisons. Je sais ce que nous devons aux familles ».

Ces mots prononcés par le ministre de la Justice Gérald Darmanin lors de l’inauguration de la prison de Basse-Terre le 7 décembre (lire ici), saluent l’engagement des Ultramarins au service de la République dans toutes les prisons de France.

Mais en Guadeloupe les prisons sont des poudrières. Le fossé est abyssal entre les principes d’une politique carcérale républicaine, qui vise la réinsertion et la sécurité, et la réalité d’un territoire traité comme « l’oublié de la Nation ».

Dans un tract syndical daté du 12 décembre, l’Unsa Ufap justice Guadeloupe convaincu que seules les « mobilisations, les sanctions infligées aux agents, et les palettes déposées devant les portes qui ont forcé l’État à construire, à investir, à réagir » appelle « à une grande mobilisation » et au blocage de la prison de Baie-Mahault cette semaine.

Le Courrier de Guadeloupe a, le 12 décembre, interrogé Jean-Jacques Racamy, syndicaliste et secrétaire général de l’Unsa Ufap justice Guadeloupe. Il nous répondait depuis Paris, où se jouait la veille la journée Justice et Outre-mer. Son témoignage interroge les rouages de la politique carcérale conduite localement. Il donne aussi une toute autre couleur à l’hommage ministériel rendu aux personnels pénitentiaires ultramarins, tandis qu’en Guadeloupe ils sont oubliés, épuisés et confrontés à des conditions de travail indignes.

Le Courrier de Guadeloupe : Étiez-vous le 11 décembre 2025 à la journée « Justice et Outre-mer » organisée par le ministre de la Justice Gérald Darmanin ?

Jean-Jacques Racamy : En fait, nous avons été reçus par le conseiller Outre-mer du ministre, avec qui nous avons pu échanger, à propos des difficultés que nous rencontrons dans les établissements pénitentiaires en Guadeloupe, que ce soit la maison d’arrêt de Basse-Terre ou le centre pénitentiaire de Baie-Mahault. Il était surpris quant aux difficultés que nous rencontrons sur le terrain.

À quoi avez-vous vu qu’il était surpris ?

Il nous l’a dit explicitement. Car lorsqu’il interroge la direction de l’administration pénitentiaire sur la situation, la réponse est systématiquement que tout va bien. On se pose donc la question : existe-t-il une barrière, au niveau de la mission Outre-mer ou de l’administration centrale, qui empêche la remontée de nos doléances ? Je ne pense pas que ce soit le cas de la Direction du service pénitentiaire d’Outre-mer (DSPOM), qui relaie bien nos demandes d’effectifs et de moyens budgétaires et techniques. C’est ensuite l’administration pénitentiaire qui rend un arbitrage et décide de ce qu’elle accorde.

Quelles sont vos demandes prioritaires de recrutement ?

Avant de parler des moyens humains, je souhaite souligner que l’annonce du ministre de la création d’une maison d’arrêt à Saint-Martin est un projet que nous avions déjà envisagé et sollicité. En avril, nous nous sommes déplacés, le secrétaire national de l’Unsa et moi-même, ainsi qu’un collègue, monsieur Augustin Lucanson, afin de discuter avec le préfet de Saint-Martin et le premier vice-président de la collectivité territoriale pour la construction de cette maison d’arrêt. À cette époque-là, ce dernier nous avait déjà proposé un terrain.

Nous félicitons le ministre pour cette annonce même s’il ne s’agit que de modulaires qui seront implantés à Saint-Martin. C’est déjà une avancée. Il a dit, dans deux ans. Nous verrons.

Concernant le personnel de santé, les surveillants : êtes-vous satisfait ?

Je ne peux pas être satisfait de la situation actuelle. D’ailleurs, d’ici la semaine prochaine, les organisations syndicales vont bloquer le centre pénitentiaire de Baie-Mahault parce que les moyens humains et budgétaires sont insuffisants et aussi parce qu’il y a une surpopulation carcérale.

La semaine prochaine, ce sera quel jour exactement ?

Nous sommes en train de négocier quel sera le ou les jours où le centre pénitentiaire sera bloqué. Et totalement bloqué. Car le personnel a subi deux agressions en 48 heures.

Quel est le niveau de surpopulation ?

C’est une surpopulation record. Depuis hier, il y a au centre pénitentiaire 1 002 détenus écroués et 798 détenus incarcérés, hébergés, et notre directrice pénitentiaire souhaite mettre quatre détenus dans une cellule de 9 mètres carrés. Je le dis car sur ce sujet, nous ne sommes pas du tout d’accord. Il faut que les magistrats, l’administration pénitentiaire, le ministère de la Justice prenne des décisions adéquates parce que cette surpopulation engendre de la violence dont pâtit le personnel.

Quels sont les faits de violence ?

Chaque fin d’année, le personnel subit des agressions très violentes. Avec des armes que les détenus fabriquent. Des piques notamment. De surcroît, nous recevons des détenus qui présentent des troubles psychiatriques. Cela a fait d’ailleurs partie de l’une de nos demandes lorsque nous avons été reçus par le conseiller du ministre. Il nous faut une Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) pour des détenus qui présentent des troubles psychiatriques. Nous avons un retard de plus de 20 ans sur l’Hexagone.

C’est-à-dire ?

20 ans de retard sur l’Hexagone parce que ça fait bien longtemps que nous sommes confrontés à ce problème. À Ducos en Martinique à Rémire-Montjoly en Guyane, à Saint-Martin et en Guadeloupe, à Baie-Mahault et Basse-Terre. Il n’est prévu aucun projet pour régler ce problème. Nous nous sommes déplacés il y a deux ans avec les députés Outre-mer à l’Assemblée nationale pour discuter de cette problématique. Nous nous sommes même déplacés avec un député de la Martinique pour aller voir les structures. Nous avons quand même espoir puisque le ministre est prêt à nous écouter concernant les UHSA.

Qu’est-ce qui empêche la satisfaction de ces revendications ?

En ce qui concerne l’UHSA ça ne dépend pas seulement du ministère de la Justice, ça dépend aussi du ministère de la Santé. Donc il faut que ces deux ministères se mettent d’accord. Nous avons prévu un déplacement dans l’Hexagone avec les députés afin de discuter avec le ministère de la Santé et le ministère de la Justice. L’objectif c’est de créer une unité spécialement aménagée, soit en Martinique, soit en Guadeloupe ou en Guyane. Mais il faut que la région Antilles-Guyane soit dotée d’une unité hospitalière spécialement aménagée pour les détenus qui présentent des troubles psychiatriques.

L’administration envoie les détenus ayant des troubles psychiques vers les UHSA de l’Hexagone ?

Non, ces détenus restent en Guadeloupe. Ils sont soignés par le service médico-psychologique régional. Mais ce n’est pas suffisant, il nous faut vraiment des structures adaptées dans notre région avec des moyens humains, tant en personnel pénitentiaire qu’en personnel de santé. Parce que l’Outre-mer ne peut pas rester sans unité hospitalière spécialement aménagée.

Avez-vous demandé aux élus d’intervenir pour installer des UHSA ?

Non. Parce que ce n’est pas le rôle des représentants du personnel d’aller voir les maires. Il y a des conseillers, des personnes de l’administration pénitentiaire qui peuvent travailler là-dessus, des directeurs, c’est leur boulot. Notre rôle c’est de demander que cela existe sur notre territoire, puisque cela existe dans l’Hexagone.

Donc certains ne font pas leur travail ?

Je ne dirai pas que les gens ne font pas leur travail. Je dirai que nous sommes les oubliés de la Nation. L’Outre-mer, c’est l’oublié de la Nation. Je le répète et je le dis haut et fort, l’Outre-mer, c’est l’oublié de la Nation.

La forte criminalité qui sévit en Guadeloupe a-t-elle des prolongements à l’intérieur de ses prisons ?

Les prisons de la Guadeloupe sont très difficiles à gérer. Nous sommes confrontés à la présence de gangs à l’intérieur. Ce que nous trouvons à l’extérieur, nous le retrouvons à l’intérieur. Nous sommes donc obligés de faire en sorte que ces gangs ne se rencontrent pas. Parce que sinon, il y aura des violences entre détenus, qui peuvent se répercuter sur le personnel.

Nous avons aussi des bagarres entre détenus. Aussi bien au centre pénitentiaire de Baie-Mahault qu’à la maison d’arrêt de Basse-Terre. La nouvelle maison d’arrêt de Basse-Terre, qui vient d’ouvrir le 16 novembre dernier, est déjà surpeuplée. On a déjà installé dix matelas au sol.

Le dispositif de capacité d’agrandissement de Baie-Mahault (DAC) interviendra fin 2028-2029. Nous avons donc encore pratiquement deux ans, voire trois ans, à souffrir de cette surpopulation carcérale.

J’ajoute que l’administration a encore oublié de programmer un établissement pour mineurs. À l’heure actuelle, nous avons un quartier pour mineurs avec dix-huit détenus. Il fonctionne en lieu et place du quartier « arrivant ». Baie-Mahault n’a pas de quartier « arrivant », nous avons seulement quelques cellules « arrivant ». Encore une fois, nous avons un vrai retard sur l’Hexagone.

Comment traitez-vous le problème de la drogue dans la prison ?

En principe le personnel pénitentiaire procède à des fouilles. Ils trouvent des téléphones portables, de l’alcool, de la drogue…

Hier, deux détenus qui ont consommé de la drogue dure ont pété les plombs. Il a fallu l’intervention de plusieurs collègues, et de l’équipe locale « sécurité pénitentiaire » pour maîtriser ces détenus qui se sont montrés très violents envers le personnel, envers tout le monde.

La prise en charge médicale des addictions sévères est-elle au point ?

Je dirai oui. Mais ce serait bien mieux d’avoir une unité hospitalière spécialement aménagée pour les détenus qui présentent des troubles psychiatriques.

Pour tout ce qui est drogue, nous avons fait le maximum, je dis bien le maximum, puisque nous avons quand même des dispositifs anti-drones. Nous faisons de notre mieux pour qu’il n’y ait pas de livraison depuis l’extérieur, de téléphones portables, de drogue, d’alcool. Mais nous ne sommes pas à 100 %.

La question c’est comment arrêter ce phénomène ? C’est très difficile, puisque nous avons aussi des visiteurs qui viennent aux parloirs et il arrive que les forces de l’ordre arrêtent des familles venues avec de la drogue au parloir. Avant, nous avions des fouilles systématiques sur les détenus sortant du parloir, mais l’administration en a décidé autrement : ce sont des fouilles aléatoires. Nous espérons que le ministre de la Justice va rétablir les fouilles systématiques.

Il y a le problème des armes aussi ?

Oui, il ne faut pas oublier que les détenus confectionnent des armes avec tout ce qu’ils trouvent. Une brosse à dents leur suffit, un balai, n’importe quoi. Ils sont très futés dans ce domaine.

Le personnel est-il suffisamment formé et équipé ?

Nous avons une équipe locale de sécurité pénitentiaire (ELSP) équipée, mais nous manquons de personnel pour la constituer complètement. Il y a vingt ans, la France a créé les Équipes régionales d’intervention et de sécurité (Éris), l’équivalent du GIGN pour le pénitentiaire. Nous, en Outre-mer, nous n’avons pas d’Éris. On a copié sous le nom d’ELSP ce que nous avions mis en place en Guadeloupe, mais nous sommes privés de la version aboutie.

Observez-vous du burn-out, des démissions ou des demandes de mutation parmi vos collègues ?

Nous n’avons pas de demande de mutation. Au contraire les agents [en poste dans l’Hexagone] attendent plus de quinze, je dirai plus de dix-huit ans avant de rentrer chez eux [Outre-mer]. En revanche, oui, nous avons cette problématique de burn-out.

Parce que les agents font trop d’heures supplémentaires. Ils font pratiquement plus de soixante-dix à quatre-vingts heures supplémentaires par mois. Ils ne voient pas beaucoup leur famille, certains agents travaillent douze heures par jour sous un rythme de quatre jours avec un quatrième jour en double vacation. Ils sont fatigués, épuisés.

Il y a indéniablement un manque de moyens humains. Les établissements pénitentiaires de l’Hexagone reçoivent des stagiaires et des élèves. Ici, nous n’avons que des mutés. Et il ne faut pas oublier que la moyenne d’âge au centre pénitentiaire de Baie-Mahault et à la maison d’arrêt de Basse-Terre est de cinquante-cinq ans.

C’est plutôt vieux…

Je ne vais pas dire que c’est vieux, mais c’est quand même un bel âge. Parce que, quand je vous dis que la moyenne d’âge des personnels pénitentiaires c’est cinquante-cinq ans, il faut regarder en face et voir la moyenne d’âge des personnes détenues, très jeunes, entre vingt-cinq et vingt-sept ans.

Et dans l’Hexagone ?

Les agents pénitentiaires sont beaucoup plus jeunes. Ils ont beaucoup d’élèves et de stagiaires, des jeunes qui arrivent pour découvrir le métier pénitentiaire. Ils ont dix-huit, dix-neuf, vingt ans, ça rajeunit l’âge moyen des personnels. Mais nous, nous avons des agents qui ont plus de cinquante ans et qui exercent toujours en continu.

Les heures supplémentaires sont-elles payées ?

C’est compliqué. Les agents ont un plafond d’heures payables par trimestre. Lorsqu’ils font 60 heures en décembre, 70 en janvier et 80 en février, le plafond est largement dépassé. Ces heures sont reportées et s’accumulent. Certains agents ont plus de 300 heures supplémentaires non payées. On ne peut pas dire aux agents de refuser de travailler, car il faut assurer la continuité du service public. Mais l’administration doit mettre les moyens pour les payer intégralement.

Au-delà des besoins au niveau des places à créer, les bâtiments actuels sont-ils en bon état ?

Au centre pénitentiaire de Baie-Mahault nous allons avoir quelques problèmes, puisque l’unité sanitaire, les différents locaux de greffe, les vestiaires pour le personnel, sont trop petits.

L’administration pénitentiaire a prévu d’augmenter la capacité du centre de 300 places sans penser adapter les autres pièces à ce surcroît de détenus. Nous avons une cuisine qui fait à manger pour 700 détenus. Mais nous savons tous que, lorsque l’ouverture du dispositif d’accroissement de capacité va se faire fin 2028, fin 2029, l’effectif de Baie-Mahault va passer à plus de mille détenus.

Ils n’ont pas pensé à agrandir la cuisine, ni les vestiaires pour les détenus. C’est cette problématique aussi que nous avons soulevée auprès du conseiller du ministre, afin qu’il puisse débloquer des budgets avant la livraison du DAC de 2028-2029.

Comment jugez-vous la collaboration entre la prison, le personnel de la protection judiciaire de la jeunesse et les associations pour prévenir la récidive, notamment des jeunes ?

À Baie-Mahault, nous avons un gros problème d’oisiveté. Plus de 60, 70 % des détenus ne travaillent pas. Que font les détenus lorsqu’ils restent dans les cellules ? Ils essaient de trouver des solutions pour trafiquer, pour vendre de la drogue, pour fabriquer des armes. Nous attendons des réponses de la Région pour mettre en place des activités professionnelles, des activités scolaires aussi, puisque nous n’en avons pas assez.

Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui devrait avoir au maximum 60 dossiers à gérer par personne, traite entre 90 à 110 dossiers par agent. Au niveau du ministère, ils reconnaissent que nous avons un manque de moyens humains, tant pour les personnels de surveillance, que pour le personnel d’insertion et de probation, le personnel administratif, le personnel technique… C’est vrai aussi pour ce qui concerne le corps d’encadrement et le corps de commandement.

Quelles sont vos trois demandes urgentes et concrètes pour le personnel pénitentiaire ?

D’abord des moyens humains ensuite des moyens budgétaires et des moyens techniques. Et j’ai quand même quelque chose à rajouter, puisque ça nous tient à cœur : on a parlé du pénitentiaire, mais il faut aussi parler de l’action sociale au sein du département de la Guadeloupe et aussi de l’Outre-mer. Chaque département de l’Hexagone a une direction des ressources humaines et de l’action sociale.

En Outre-mer, je le dis encore, nous sommes considérés — excusez-moi de l’expression — comme de la merde, puisque nous sommes gérés, encore une fois, par le secrétariat général. Notre bataille d’aujourd’hui, et on l’a demandé au conseiller du ministre, c’est que l’Outre-mer soit reconnu comme telle, pour que nous puissions avoir notre entité de direction des ressources humaines et ne plus être gérés par le secrétariat général du ministère de la Justice.

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