MÉMORIAL ACTE
Le comédien prend ses fonctions de président du Mémorial avec une énorme envie mais aussi un terrible défi à relever. L’occasion de faire connaissance avec un immense artiste qui a pour mission de nous faire communier.
Grand, imposant, Jacques Martial a des allures de seigneur. Seigneur affable s’entend, car il dégage au premier contact une candeur indicible, sorte de quiétude qui force respect et confiance. L’homme inspire d’emblée la sympathie. Aucune emphase, pas d’affectation. Pas de faux-semblant. Jacques Martial est un comédien qui ne se la joue pas. Avec sa voix bien posée qu’il sait moduler, le tout nouveau et premier président du Mémorial ACTe, se livre facilement. De sa prime enfance, il garde les souvenirs de la banlieue parisienne. Ce n’était pas encore la zone ou le ghetto. C’était toujours cette France des années soixante où on goûtait encore au plaisir d’aller au cinéma du quartier, le dimanche venu. Des joies simples. En famille. Et puis Jacques Martial partira de Paris. Puis reviendra. Entre-temps, il aura fait des séjours dans plusieurs pays d’Afrique. La vie qu’ont eue beaucoup d’Antillais de cette époque qui avaient souvent comme moi un père fonctionnaire. Explique-t-il, tranquillement. Une enfance dont finalement il se souvient d’une chose. Entre mille. Un jour, tout petit, il monte sur une estrade. Il donne la réplique. Laquelle, il ne sait plus. Mais il est sûr que c’est à cet instant qu’il a voulu faire de la scène. De la scène. Pas forcément du théâtre ou du cinéma. Insiste-t-il » Non, je savais dès cet instant que je voulais monter sur une scène. Pour faire quoi, peu m’importait. Mais je voulais être sur une scène « . Plus tard, c’est le théâtre qui va s’imposer. Sans forcer. Tout naturellement. Jacques Martial prend des cours et très vite commence à obtenir des rôles. Au début toujours les mêmes. Ceux qu’on réserve en général aux Noirs. Les Américains lui feront plus confiance au début. Et, puis petit à petit, l’artiste qui a du talent et apprend vite, arrive à se faire connaître en France. Son premier vrai succès, c’est bien sûr Navarro avec Roger Hanin, à la télévision. Jacques Martial raconte une belle histoire à propos de ce téléfilm. » Quand Roger Hanin est venu me proposer le rôle. Il m’a dit : je vais me battre pour qu’on fasse trois épisodes. Après il m’a dit on va peut-être obtenir une semaine de plus. Et puis cela a duré 18 ans « . Mais la carrière de Jacques Martial ne se résume pas à Navarro. Au cinéma, Jacques Martial c’est tout de même une cinquantaine de films, autant à la télévision, et pas des navets. Au théâtre c’est une trentaine de rôles et de nombreuses mises en scène. Mais Jacques Martial n’en fait pas étalage. Il avoue tout de même un petit penchant pour l’obstination, voire une hardiesse dont on ne le soupçonnerait pas. » Un jour j’arrive pour faire un bout d’essai. Le metteur en scène me propose le second rôle. Je m’exécute. Parfait me dit-il. Et je lui réponds : Sauf que cela ne m’intéresse pas. J’étais venu pour le premier rôle. Il dit OK. Je fais le bout d’essai pour le premier rôle et je l’obtiens ! » Sa nomination à la tête du Parc de la Villette tient de la même veine. » Je n’avais aucune formation de gestion de musée ou même de théâtre. Mais j’avais une vision et une idée précise de ce que pouvait être ce Parc. J’ai fait acte de candidature en disant que j’étais un artiste un comédien, un homme de théâtre et que j’avais un projet d’artiste. Pas un projet de directeur de musée. La ministre m’a convoqué et m’a dit cela m’intéresse. J’ai exposé mon projet. Cela a marché. J’ai même rempilé. Si ce n’était le Mémorial acte pour lequel j’ai eu un vrai coup de cœur, j’y serais encore « . L’autre coup de cœur mais qui parle tout autant à l’esprit c’est sans aucun doute Aimé Césaire. Jacques Martial a mis en scène et interprété de façon magistrale Cahier de retour au pays natal. Quand on lui évoque ce texte qu’il a joué, Jacques Martial reste pensif un moment et répond presque hagard : « j’étais comme habité « . C’est ce même Jacques Martial qui dira les textes de Césaire, lors des funérailles du poète à Fort-de-France. Moment solennel et magique. Et que sera-t-il du Mémorial ACTe ? » J’ai hâte de m’y consacrer. Rien n’est définitif tant que toute mon équipe ne sera constituée. Mais je sais d’ores-et- déjà que je consacrerai toute mon ardeur à faire en sorte que les Guadeloupéens en fassent leur chose et qu’ils en soient fiers « . À vous de jouer maestro. La Guadeloupe entière est prête à vous suivre !
OUVERTURE DU MÉMORIAL ACTe
Demandez le programme !
Les festivités démarreront mardi 7 juillet à 9 heures avec les discours du président du Mémorial ACTe Jacques Martial, du maire de Pointe-à-Pitre Jacques Bangou et du président de Région Victorin Lurel.
Une variété d’animations sera proposée tout au long de la journée.
Les » jeux Banaré » animations, épreuves intellectuelles et physiques autour de la culture amérindienne (pour jeune public, de 10h à 16h).
» Le bus pirate » : invitation au voyage à travers des jeux multimédia (10h-17h). Un espace de recherche généalogique afin de retrouver ses ancêtres (10h-19h). Une boutique éphémère : présentation de créateurs locaux avec initiation et découverte de créations de bijoux (10h-19h).
Des films seront projetés dans la salle des Congrès : Amistad de Steven Spielberg (10h), Music is the Weapon de Fela Anikulapo Kuli (12h), Le pays à l’envers de Sylvaine Dampierre (14h) et Kinshasa kids de Marc-Henri Wajnberg (16h).
À 14h vous pourrez assister à l’arrivée dans la baie du raid » Sea Maroon II » depuis Sainte-Anne. De 16h à 18h aura lieu une animation sur le « morne mémoire » : le conteur et flûtiste Fay nous emmène dans l’imaginaire magico-religieux des contes de la Caraïbe.
19h, exploration chorégraphique intitulée « Mario Coco » sur la thématique de l’abolition de l’esclavage Compagnie Sakitaw.
Et enfin à 19 h 45, le Big Bang Ka clôturera la journée dans une œuvre en trois actes en hommage aux Maîtres Ka avec 41 musiciens percussionnistes, chanteurs et danseurs.
JACQUES MARTIAL A LA VILLETTE
Des évolutions, et un très large public conquis
Arrivé à la Villette en 2006, personne ne l’attendait. Quel président fut Jacques Martial à la tête de l’une des plus prestigieuses institutions culturelles françaises ? Décryptage de la » méthode Martial » au moment où il prend les rênes du Mémorial ACTe.
Le prestigieux Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette, avec ses 40 millions d’euros de budget et ses 200 salariés, est l’une des principales grandes institutions culturelles françaises. Aussi, lorsqu’en 2006, celui que le grand public connaissait surtout comme l’incontournable Bain-Marie de la série télévisée Commissaire Navarro a été bombardé à sa tête, on imagine avec quel scepticisme il a été accueilli ! En plus, pour la première fois un Noir, et pour la première fois un artiste et non un énarque… Voilà qui bousculait copieusement les habitudes. » Il avait été nommé par décret par le président Jacques Chirac, auquel l’avait recommandé le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, se souvient un membre des équipes de programmation. On soupçonnait du piston, on disait que c’était parce qu’il fallait de la couleur à La Villette ! Il ne semblait pas avoir vraiment de projet, il a été très décrié « .
Un homme de théâtre
Pour commencer, ses détracteurs avaient juste oublié, ou ignoraient, que cet acteur (qui en plus de Navarro a tout de même joué dans 19 films et 17 téléfilms) était avant tout un homme de théâtre. Élève puis enseignant à l’atelier de Sarah Sanders, metteur en scène éclectique de Racine, Shakespeare, Koltès, Saunders, Giraudoux, Claudel, Maryse Condé… Sa nomination, pour surprenante qu’elle fut, n’était donc pas totalement aberrante. Et » même si pour l’administration il s’est beaucoup appuyé sur la directrice générale, il a tenu son rôle de président, estime un employé du parc. Il suivait de près l’exploitation du parc, il avait des avis. Même s’il n’a pas énormément renouvelé, il a insufflé des choix de programmation. Et puis il était très affable ! » La méthode Martial ? Ne rien arrêter, ne rien freiner, accompagner, développer l’existant et encourager, soutenir les nouvelles propositions. Lesquelles ont attiré un public très large et diversifié, comme le grand spectacle Decouflé, les grosses expositions telles que Des bêtes et des hommes… En deux mandats, Jacques Martial a également apporté sa touche propre, à travers le festival de cirque contemporain Hautes Tensions, qui s’est enrichi de l’espace Chapiteaux, une résidence d’artistes, ou par une autre grosse exposition, Kréyol Factory, en 2009 : » Il est important et urgent de parler de cette culture née de l’esclavage, de la colonisation « , disait à l’époque le président, qui a mis en scène cet art sur 2 800 m2 au cœur de la Grande Halle. Notables également, la programmation répétée du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, l’arrivée des cultures urbaines, avec une salle dédiée aux sonorités hip-hop…
Un parcours cohérent
Des innovations personnelles certes, mais collant néanmoins parfaitement à la vocation de ce lieu que Jacques Martial décrit comme « ouvert sur une mixité de populations, un endroit où les origines diverses de nos publics sont visibles sur le parc. Un lieu idéal pour se pencher sur les identités, ce qui s’inscrit dans la tradition de la Villette : parler des grands enjeux de société « .
En définitive, les initiatives de Jacques Martial sont entrées en résonance avec l’identité du lieu. On peut dire aujourd’hui qu’il n’était pas arrivé là par hasard ! Son action s’est inscrite sans à-coups dans la lignée de son parcours de militant de la diversité des cultures, fondateur du Collectif Égalité œuvrant à la représentation des » minorités visibles « , de l’association Rond-Point des cultures destinée à mettre en avant la créativité de ces minorités, en particulier des artistes ultramarins, créateur de sa propre compagnie la Comédie Noire avec laquelle il a emmené un peu partout sur la planète le Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire… Césaire qu’il a également programmé à la Villette et à la mort duquel il a fait afficher un grand hommage sur le fronton. Un parcours qui permet de penser que la présidence du Mémorial ACTe lui ira comme un gant. À son pot de départ, il a d’ailleurs dit combien il était heureux de cette nomination. Pour sa part, son successeur Didier Fusillier à peine arrivé a lui déjà affiché son intention de tout révolutionner… y compris le parc. Une approche radicalement opposée à la méthode Martial !
APPROPRIATION
Le public va (enfin) pouvoir s’approprier le lieu
Le 7 juillet, le Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage ou Mémorial ACTe ouvre ses portes au public. Le lieu est évidemment d’abord destiné aux Guadeloupéens. C’est sur ce même endroit qu’il y a un siècle et demi, l’usine sucrière Darboussier pratiquait encore le travail forcé. C’est dans cette même baie que se déchargeait an tan lontan les navires garnis d’hommes et de femmes arrachés à leur lointaine terre africaine. L’ouverture au grand public succède à la cérémonie des officiels, le 10 mai dernier, où la République française a reconnu sa responsabilité dans la traite négrière. Le 27 mai, les cérémonies de commémoration de l’abolition de l’esclavage ont eu une résonance toute particulière. Au son des tambours, musique, danse et déclamations ont rendu comme chaque année un vibrant hommage aux ancêtres. Le mémorial n’est pas un musée dans lequel on enfermerait une histoire révolue. Le Centre proposera notamment une recherche généalogique pour retrouver ses aïeux victimes de l’esclavage, des expériences sensorielles et de la documentation renseigneront les visiteurs sur l’Histoire. Une revanche pour plusieurs générations à qui personne n’a enseigné cette période.
Lieu de mémoire, lieu touristique
C’est un lieu de mémoire, une » boîte noire » au propre comme figuré. Mais le lieu est également tourné vers le futur. Il s’agit de réconcilier aujourd’hui les blessures passées et les questions d’avenir. Et parmi ces dernières, la place du tourisme, manne mal en point dans l’archipel. Un tourisme d’abord régional, afro-caribéens, afro-américains, afro-brésiliens, afro-colombiens partage en effet les mêmes douleurs, des destinées semblables. La problématique de la traite négrière et de l’esclavage y sera présentée dans son contexte mondial. L’Unesco a d’ailleurs intégré le Mémorial dans sa » route de l’esclave « . L’attrait du site devrait se propager par cercles concentriques. Sa direction assure que » les croisiéristes représenteraient 35 % des visiteurs potentiels « . Ce type de lieu représente un atout pour la Guadeloupe afin de développer un tourisme curieux et sensible au territoire d’accueil, à son identité et à son histoire.
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