Harry Durimel reste déterminé à poursuivre son action pro-réparation et anti-chlordécone. Il l’a expliqué à la radio RCI le 15 octobre, et a relayé son entretien sur sa page Facebook le même jour. L’avocat et écologiste se réjouit des suites réservées à la pétition déposée devant la commission des pétitions du Parlement européen (Peti) : « Il a été prouvé que la France a violé le règlement du conseil de l’Europe puisque le chlordécone n’a jamais été approuvé au plan européen. De ce point de vue nous sommes satisfaits, nous avons mis la France au banc de l’Europe. »
Harry Durimel s’appuie sur le communiqué de la Peti aux membres du Parlement européens le 8 juin 2020. Le document de 7 pages cite la réponse de la Commission, reçue à la Peti le 29 avril 2016 : « La substance n’a jamais été approuvée en Europe mais a été autorisée en France en application de dispositions transitoires nationales jusqu’en 1993. (…) Conformément au règlement CE n° 1107/20092, une substance non approuvée à l’échelle européenne ne peut être commercialisée ou utilisée, sauf dans des circonstances très spécifiques. Cette exception s’applique si une dérogation en cas de situation d’urgence a été notifiée à la Commission. (…) Le chlordécone n’a jamais été notifié à la Commission au titre de l’article 53. » Un véritable imbroglio chronologique.
94,5 % puis 5 % de chlordécone
La Commission soutient que le chlordécone est interdit en Europe, mais on retrouve mention du chlordécone encore en 2018 dans le règlement UE 2018/669. L’étiquetage de la substance y est réglementé, et la Commission y précise que « les fournisseurs devraient se voir accorder suffisamment de temps pour adapter l’étiquetage et l’emballage des substances et des mélanges, et pour écouler leurs stocks. » Entré en application à partir du 1er décembre 2019, ce règlement mentionne « 606-019-00-6 chlordécone (ISO) ; 205-601-3 ; 143-50-0 ; Carc. 2 ; Acute Tox. 3* Acute Tox. 3*; Aquatic Acute 1 ; Aquatic Chronic 1 ; H351 H311 H301 H400 H410 ; SGH06 SGH08 SGH09 ». Une série de chiffres et de lettres destinés aux fabricants et qui doit informer l’utilisateur du danger mortel, du danger pour la santé et pour l’environnement du chlordécone.
Ces dangers sont très précisément celui de la cancérogénicité suspectée. Celui de la toxicité aiguë qui sur une échelle très toxique (1) à nocif (4) est « au minimum » toxique avec la note de 3. Cet a minima s’entend au regard des normes d’aujourd’hui. Un règlement européen (le 2019/521) entré en application au 17 octobre 2020 stipule que les produits de toxicité aiguë 3 ont ce classement pour autant que le composé toxique soit dosé à un seuil inférieur à 0,1 %. Or, les produits épandus en Guadeloupe et Martinique de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon dont les larves se nourrissent des racines du bananier, étaient de concentration 50 à 1 000 fois supérieure. Connus sous les noms commerciaux de Képone puis Curlone les pesticides dosaient respectivement à 94,5 % puis 5 % de chlordécone*. Les personnes exposées, aujourd’hui âgées de 50 ans et plus, étaient à ce moment-là bien loin des seuils pour lesquels ces formulations étaient ‘seulement’ « susceptibles de provoquer le cancer, toxique en cas d’ingestion, toxique par contact cutané, très toxique pour les organismes aquatiques ».
Dépistage systématique
Lors du dépôt de la pétition jugée recevable dès avril 2015, Harry Durimel demandait que l’État français reconnaisse « la crise sanitaire et environnementale qui affecte la Guadeloupe et la Martinique, qu’il établisse une cartographie objective de la pollution actuelle et qu’il prenne des mesures de contrôle et de prévention eu égard aux pathologies provoquées par cette pollution (notamment, un dépistage systématique du cancer de la prostate pour les travailleurs des bananeraies). » Une cartographie existe aujourd’hui. Et un plan contre la pollution au chlordécone est en cours.
Insuffisant selon Harry Durimel pour qui « l’Union européenne a les moyens de contraindre la France à instaurer une vraie politique de traçabilité et de surveillance des produits qui parviennent dans nos assiettes. Pour les LMR, les limites maximum résiduelles – la quantité de chlordécone qu’on vous autorise à ingurgiter chaque jour- nous disons que cela n’a pas de sens. Nous voulons que la norme soit zéro chlordécone, zéro poison. » Une demande qui pourrait se traduire dans les zones à risque, par l’obligation de produire des cultures et élevages non-sensibles au chlordécone, et son corolaire l’interdiction de productions sensibles. La mesure qui figure parmi les recommandations du rapport Procaccia Le Deaut.
Non conformes
En 2017, malgré l’instauration de zones d’interdiction de pêche, « encore près de 3 produits de la pêche sur 10 en moyenne, pêchés localement et vendus sur les marchés, demeurent non conformes » selon la préfecture de Guadeloupe. Côté culture et élevage, la responsabilité revient aux exploitants qui ont obligation de garantir la qualité de leurs productions. La Peti concluait que « la Commission réexamine actuellement les LMR fixées pour les produits d’origine animale dans le règlement (CE) no396/2005 en vue de protéger les consommateurs de l’UE, y compris ceux qui résident en Guadeloupe et en Martinique. Les nouvelles LMR devraient s’appliquer courant 2021. » Le projet de règlement visant à abaisser les LMR pour le chlordécone dans les produits d’origine animale devait être présenté aux États membres lors de la réunion du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, section « résidu de pesticides », prévue les 15 et 16 juin 2020. Les conclusions ne nous étaient pas parvenues au moment de mettre sous presse cette édition.
* Selon le rapport n° 487 remis par la sénatrice Catherine Procaccia et le député Jean-Yves Le Deaut et intitulé « Impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution ».
Enlisement
Harry Durimel contre le chlordécone, c’est plus de 10 ans d’engagement. L’enlisement aussi. Dans une lettre ouverte au ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, Harry Durimel dénonçait ce 18 septembre un « dossier [qui] n’avance pas, ce qui provoque aux Antilles un sentiment d’injustice ». Conseil de l’Union régionale des consommateurs et de l’Union des producteurs de Guadeloupe, qui ont déposé le 24 février 2006 une plainte pour mise en danger d’autrui et administration de substances nuisibles, l’avocat appelle le ministère à se pencher sur les délais de procédure.
« D’aucuns affirment que cette inertie augure d’une volonté de l’État français de se départir de toute responsabilité. Ce qui est certain, c’est qu’elle génère un délai de procédure outrageusement déraisonnable, qui est contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Il s’agit, tout comme les dossiers de l’amiante ou du sang contaminé, d’un sujet de santé publique et d’intérêt général, qui doit trouver son épilogue » plaide-t-il.
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