La gestion financière de la commune de Saint-François est sur la sellette. Depuis le conseil municipal du 5 juin dernier qui a vu le rejet du compte administratif 2023 et du budget 2024, la situation est dans une impasse. L’opposition, devenue majoritaire, soulève des questions légitimes : comment une commune ayant affiché un déficit de 16 millions en 2020 peut-elle prétendre à un excédent de 1,6 million pour 2024 ? Cette discordance suscite la méfiance, non seulement au sein du conseil municipal, mais aussi parmi les habitants.
D’autant que les besoins sont nombreux. Le 8 mars 2023, Bernard Pancrel (2e à gauche photo ci-dessus), alors maire de Saint-François, avant son inéligibilité et son remplacement par Jean-Luc Périan (1er à gauche photo ci-dessus), signait un « contrat péyi » avec Guy Losbar (3e à gauche photo ci-dessus), président du Département. Ce contrat prévoit le cofinancement de plusieurs projets d’envergure, notamment la rénovation de la gare maritime, dont les quais en béton se détériorent, ainsi que des travaux au stade municipal et sur les terrains de sport des différentes sections. Il inclut également la modernisation des foyers socio-éducatifs.
L’examen des comptes : un débat technique et politique
Le 13 septembre, la Chambre régionale des comptes (CRC) a confirmé la conformité du compte administratif 2023 avec le compte de gestion, tous deux semblant refléter une comptabilité rigoureuse. D’après l’avis budgétaire issu du délibéré des magistrats financiers le 1er août, les recettes de fonctionnement s’élèvent à 31 298 887,15 euros pour des dépenses de 30 340 357,11 euros, laissant un résultat positif de 958 530,04 euros. De même, en investissement, les recettes atteignent 4 004 901,55 euros contre 2 994 074,19 euros de dépenses, dégageant un excédent de 1 010 827,36 euros. À première vue, tout semble en ordre.
Pourtant, l’opposition au conseil municipal avait refusé d’entériner ces comptes, les trouvant déconnectés de la réalité financière de la commune. Les voix dissonantes pointent des zones d’ombre dans la gestion des finances, notamment en raison des restes à réaliser et des budgets annexes du golf, du port et de l’aérodrome, qui cachent des réalités bien plus contrastées.
Le golf, une gestion déficitaire
La situation du golf municipal est particulièrement préoccupante. En 2023, ce dernier affiche un déficit abyssal de 2 848 906,89 euros, largement alimenté par un déséquilibre entre des dépenses d’exploitation s’élevant à 2 370 055,03 euros et des recettes à peine supérieures à 1 million d’euros. Les investissements, eux aussi, plongent dans le rouge avec un déficit de 1,5 million d’euros. Pour une commune de 12 322 habitants, cette perte devient une épine dans le pied du budget global.
« Les finances du golf sont hors de contrôle, et les agents ont même exercé leur droit de retrait en 2024 face aux conditions de travail déplorables », confie un élu sous couvert d’anonymat. La mairie s’était alors engagée à dératiser les locaux et à acheter le matériel nécessaire à l’entretien du green. La rénovation du patrimoine bâti du golf, estimée à 1,1 million d’euros, s’ajoute aux nombreuses dépenses non financées, accentuant la pression sur les comptes.

Le port et l’aérodrome : des poches faussement stables
À l’inverse, les comptes du port et de l’aérodrome de Saint-François sont présentés excédentaires. Le port dégage un excédent de 293 090,34 euros en 2023, tandis que l’aérodrome, plus modeste, affiche un bénéfice de 24 022,99 euros. Cependant, ces chiffres positifs, bien que bienvenus, ne suffisent pas à masquer une réalité préoccupante.
En février 2024, la CRC décrivait un aérodrome dont la « gestion présente des négligences, d’importantes défaillances et comporte des risques graves pour les usagers et les occupants. » Le rapport relevait parmi les dysfonctionnements, l’absence de contrôle des clôtures et des accès, un éclairage insuffisant, un manque de sécurité pour les véhicules et les personnes, ainsi que des défaillances dans le stockage des carburants et l’entretien des zones enherbées. Et presque tous les occupants du site en situation irrégulière.
Pour la Marina, les Saint-franciscains tirent la sonnette d’alarme sur une gestion qu’ils jugent laxiste. Ils dénoncent l’accès libre et gratuit à l’eau des pontons, permettant aux navires de passage de remplir leurs cuves sans frais. Même constat pour l’électricité, parfois utilisée 24h/24 par certains pour alimenter la climatisation des bateaux. Le stationnement gratuit des navires durant les week-ends et jours fériés aggrave la situation. Conséquence : la ville manque de fonds. « Pas d’argent pour faire cesser les rejets des égouts de la ville dans la marina. Pas d’argent pour rétablir l’éclairage. Pas d’argent pour réparer le nombre grandissant de bornes électriques défectueuses des pontons. Pas d’argent pour remplacer le deck, qui arrive en fin de vie, du pourtour de la marina et des pontons. »
Vers une tutelle de la préfecture ?
Si les comptes 2023 semblent conformes d’un point de vue strictement comptable, les divergences d’analyse sur les restes à réaliser et les engagements financiers à long terme font planer le doute sur la capacité de la commune à redresser la barre.
« La commune de Saint-François est au bord du précipice financier, avertit un conseiller municipal. Si aucune solution n’est trouvée rapidement, la préfecture pourrait décider de placer la commune sous tutelle. » Une telle perspective, très alarmiste, serait un coup dur pour Saint-François, dont la gestion financière a déjà été épinglée par le rapport d’observations définitives de la CRC sur les exercices 2018 à 2022. La Chambre évoquait alors, c’était le 27 février 2024, « de nombreuses omissions dans la tenue des comptes peuvent être encore constatées, lesquelles concourent à sous-estimer le déficit du budget principal fin 2022 de 4,92 millions. »
Le problème des « restes à réaliser » : une bombe à retardement ?
Au-delà des chiffres présentés, une question cruciale se pose : qu’en est-il des restes à réaliser (RAR) ? Ces engagements financiers non encore honorés à la fin de l’exercice constituent une part importante du budget, notamment pour les projets d’investissement pluriannuels. En février 2024, la CRC notait que les dépenses d’investissement restant à réaliser au 31 décembre 2022 s’élevaient à 5,5 millions d’euros.
Mais dans l’avis qui est rendu ce 13 septembre, la CRC indique que les comptes sont étudiés sans tenir compte des restes à réaliser. « Ignorer les RAR revient à ignorer une partie des engagements financiers de la commune, explique un expert en finances publiques. Cela donne une image trompeuse de la situation budgétaire réelle. »
En ne tenant pas compte de ces restes à réaliser, les comptes seraient-ils artificiellement équilibrés ? La question est importante alors que des projets majeurs précités, mais aussi l’Opération grande site de la Pointe des Châteaux estimée à 2,5 millions dont 10 % financés par la commune, pèseront sur les finances futures. La première phase de ces travaux, terminée en septembre 2023, a coûté 211 000 euros, et d’autres aménagements sont encore à financer.




Photos : FB Commune de Saint-François
Des infrastructures en piteux état et un avenir incertain
En parallèle, l’état déplorable des infrastructures routières continue de susciter la colère des habitants. « C’est une honte pour la plus belle ville de Guadeloupe », déclare une habitante excédée. « La route de Sainte-Marthe, on en reparle ? Tous les six mois, c’est la cata ! » lance un autre. « Cayenne nord urgent, déjà deux pneus éclatés » complète un autre. « Desvarieux route de Bebet des nids d’autruche partout » fustige un dernier. Ces témoignages soulignent l’urgence d’un plan de rénovation global, alors que la commune peine à assainir ses finances.

À cela s’ajoute la réhabilitation du foyer rural de Dubédou, la construction d’un marché d’intérêt communautaire, autant de projets pour lesquels les marges de manœuvre financières semblent inexistantes.
L’urgence du plan de redressement
En février 2024, la CRC pointait le fait que « malgré le plan de redressement de la chambre régionale des comptes mis en place depuis 2017, la commune a dégradé sa situation financière. [elle] n’est toujours pas en mesure de financer ses opérations d’investissement et demeure dépendante des ressources externes ou de recettes exceptionnelles, à l’image de la cession du terrain Anse-Champagne en 2022 ». Pour l’heure, Saint-François navigue dans des eaux troubles. L’incapacité du conseil municipal à valider les comptes 2023 et le budget pour 2024 empêche toute avancée significative. Et la vie quotidienne des habitants se fait plus difficile.
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