Le préfet Xavier Lefort (à gauche) à l’occasion de la cérémonie commémorative de la deuxième et définitive abolition de l’esclavage en Guadeloupe (27 mai) au Fort Delgrès à Basse-Terre. Photo : Préfecture Guadeloupe

« Aujourd’hui nous ne venons pas uniquement pour pleurer les souffrances d’un passé douloureux. Nous ne venons pas seulement honorer le combat des révoltes, des marrons, des insurgés, des résistants et des abolitionnistes. » Ces mots sont extraits du discours prononcé par le préfet Xavier Lefort (à gauche photo ci-dessus) à l’occasion de la cérémonie commémorative de l’abolition de l’esclavage hier (27 mai) au Fort Delgrès à Basse-Terre.

Le représentant du gouvernement a aussi déclaré : « Aujourd’hui, nous affirmons notre devoir de mémoire comme un héritage de responsabilité, non pas pour renvoyer sans cesse aux fautes du passé, mais pour être aujourd’hui les acteurs d’une société plus juste et plus fraternelle. Pour nous appeler collectivement à la vigilance, car la tentation de l’oppression et de la servitude est toujours présente dans nos sociétés. »

Un discours marqué par une volonté d’ancrer la mémoire dans l’action républicaine. Un appel à dépasser la seule commémoration des souffrances pour assumer un « héritage de responsabilité ». La formule suggère un recentrage du devoir de mémoire sur la cohésion nationale et les valeurs républicaines. Au détriment de la reconnaissance de blessures spécifiques liées à l’histoire coloniale guadeloupéenne ?

Des mots imprudents, au regard du vécu historique du territoire qui n’a obtenu de commémoration formelle qu’après des manifestations parfois violentes, et qui revendique une mémoire active, ancrée dans son histoire et tournée vers une intégration réelle dans le récit national.

« Réaffirmer que les valeurs de la République, ‘Liberté, Égalité, Fraternité’, ne doivent pas connaître d’exception et doivent être notre combat de tous. Vive la liberté ! Vive Louis Delgrès ! Vive la République ! Vive la France ! » a conclu Xavier Lefort.

Cette posture, qui fait primer l’engagement civique sur la dénonciation historique, s’inscrit dans une stratégie de conciliation. Mais elle n’est pas exempte d’ambiguïté : en mettant à distance les « fautes du passé » auxquelles il ne faudrait pas « nous renvoyer sans cesse », le chef de l’administration décentralisée de l’État apparaît soucieux de neutraliser la portée politique des revendications mémorielles locales.

Ce déplacement du regard, du passé vers un avenir fraternel, peut être entendu comme un véritable appel à l’unité. Mais il peut aussi être entendu comme une manière de minimiser la mémoire, par ailleurs pas totalement mise au jour, d’un territoire encore en quête de considération au sein d’une République qui peine à assumer les cruautés de son histoire.

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