Au CHU, le plan de délocalisation prévu depuis plusieurs semaines n’a toujours pas été communiqué. En attendant, les services se vident petit à petit. Reportage.

11 h 50 à l’amphithéâtre de l’Ifsi. Il règne une chaleur insupportable au CHU de Pointe-à-Pitre ce lundi 26 mars. Dans la tour sud, en attendant le nettoyage et la décontamination des locaux, la climatisation a été coupée.  » Il ne manquait plus que ça ! « , s’insurge une dame assise au premier rang. Pour cette nouvelle assemblée générale du collectif de défense du CHU, l’amphithéâtre est bien moins bondé qu’à l’accoutumée.  » L’attente commence à décourager les gens. On nous promet une délocalisation mais le plan n’existe toujours pas « , balance un biochimiste, en droit de retrait depuis bientôt deux moins maintenant. Gaby Clavier, assis sur l’estrade, à sa place habituelle, fait face à son audience.  » Nous allons faire un bilan de ce qu’il se passe dans les différents services en droit de retrait « , propose-t-il,  » on commence par les labos ?  »

Effondrement des services

 » Les travaux de décontamination n’ont pas abouti « , explique une technicienne bio médicale.  » Malgré le changement des climatiseurs, les extracteurs d’air, il n’y a eu aucun changement.  » Dans les laboratoires, qui se situent au troisième étage non loin des blocs opératoires et de la maternité, certains agents ont été parmi les premiers à faire valoir leur droit de retrait.  » Le collectif nous a proposé une délocalisation à l’institut pasteur. Nos chefs parlent de l’Ifsi. Au final aucune décision n’a été prise mais les spéculations vont bon train  » ajoute-t-elle. La médecine C est le seul pôle complètement fermé. Il concerne les activités de diabéto-endocrinologie et fait partie des premiers services qui ont rouvert dans la tour nord après l’incendie.  » Cela fait quatre semaines que nous sommes en droit de retrait  » lance un membre du personnel, lassé par la situation,  » nous demandons une délocalisation totale. Seulement aujourd’hui nous sommes en ‘lettre morte’. Nous n’avons obtenu aucune réponse. Les patients sont dans la nature. Alors quand on sait qu’il y a une prévalence de 10 % de diabète en Guadeloupe, c’est plutôt inquiétant.  » En médecine B, la situation n’est pas meilleure. Après que l’aile de médecine C a fermé, les malades ont été transférés en médecine B, pour ensuite être envoyés ailleurs.  » C’est un vrai foutoir !  » Peut-on entendre au fond de la salle.  » Tous mes collègues ont été envoyés à Choisy « , explique un agent de service hospitalier (ASH), dépité,  » il ne reste que nous les ASH et les brancardiers « . Ce pôle, qui se situe dans la tour nord, regroupe les consultations externes de neurologie et maladies de l’hémostase.  » Quand le cadre est venu à Ricou il nous a dit qu’il n’avait besoin ni d’ASH ni de brancardiers. Nous sommes livrés à nous-mêmes.  » Aujourd’hui, le personnel des urgences a décidé d’utiliser son droit de retrait. Un infirmier des urgences adultes prend la parole :  » Depuis l’incendie nous avons subi délocalisation sur délocalisation. La clinique des Eaux claires, l’Escrim, et là au niveau des consultations externes sur le parking.  » Le personnel souffre de cette situation.  » Nous demandons des conditions de travail meilleures et du matériel afin de proposer une véritable offre de soin aux patients.  » Au service de réanimation rien n’a vraiment changé.  » Les collègues ne se mobilisent pas car on leur a dit que tout allait bien. Il y a principalement des contractuels donc ils ont peur. En plus les cadres exercent une pression sur nous pour que nous ne quittions pas notre poste.  » Assise au dernier rang de l’amphithéâtre, cette infirmière a décidé de représenter son service où le personnel semble comme  » pris au piège « .  » Nou ka fè konsi nou pè goumé !  » intervient de nouveau la dame au premier rang, révoltée. À 72 ans elle est prête à se battre s’il le faut.  » Nous voulons un état des lieux réels de la tour sud. Nous ne devrions pas avoir besoin de négocier  » conclut Gaby Clavier.

LES SÉNATEURS S’Y PENCHENT

Le vendredi 23 mars, Victorin Lurel et Victoire Jasmin, sénateurs de Guadeloupe, ont rencontré la commission spécialisée des droits des usagers en présence de la directrice générale de l’ARS Guadeloupe et du président de la conférence régionale de santé et de l’autonomie. Le thème abordé concernait la situation du CHU, les problématiques auxquelles est confronté le centre hospitalier, ainsi que l’offre de soin en Guadeloupe. C’est  » en restaurant la confiance que les décisions collégiales permettront de garantir dans les meilleurs délais et conditions un système de santé opérationnel pour la prise en charge de tous les Guadeloupéens  » a déclaré la sénatrice sur sa page Facebook. Dans un communiqué daté du 13 mars, Victoire Jasmin propose une liste de mesures visant à restaurer la confiance et assurer la stabilité de l’offre de soin.

LES DATES CLÉS D’UNE SITUATION DE CRISE

Quatre mois. C’est le temps qu’il a fallu pour organiser la réponse du système de santé et gérer l’interruption de l’activité au CHU. Retour sur les dates clés d’une crise où sidération et improvisation ont remplacé planification. 

Pas de prévention. Pas d’unité ni de force dans la réponse. L’incendie au CHU a nécessité son évacuation. Et a de facto, compte tenu  de la taille et des expertises de l’établissement, provoqué un débordement des capacités d’action hors de la Guadeloupe. Une situation qui aurait tout autant pu être déclenchée suite à un séisme (le CHU étant de surcroît placé sur une faille) ou un cyclone. Des risques à probabilité forte, identifiés, mais non planifiés. Les acteurs le répètent à l’envi, rien n’a été prévu, on réagit sur le moment.

28 novembre, 14h…

Un incendie se déclare au local technique du CHU de Guadeloupe. Il faudra plusieurs heures aux pompiers pour obtenir les plans de l’établissement. Puis éteindre le feu. Les patients sont évacués. Les urgences, la maternité ainsi que les blocs opératoires sont les plus touchés.

28 novembre, 17 h 15

La préfecture active le Plan blanc élargi (PBE). Le dispositif doit comprendre les actions à mener par les acteurs du système de santé pour maintenir les capacités nécessaires à la prise en charge des patients ou victimes. Le représentant de l’État est le Directeur des opérations de secours, et peut procéder aux réquisitions nécessaires de tous biens et services et de tout établissement de santé. Ces réquisitions sont prononcées par un arrêté motivé qui fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition et peuvent être exécutées d’office. Aucun arrêté n’est publié. 42 patients sont évacués vers la Polyclinique et la clinique des Eaux claires. Quatre sont en cours d’évacuation vers le Centre gérontologique du Raizet.

2 décembre 2017

L’Élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale (Escrim) arrive à l’aéroport Pôle Caraïbes vers 7 h 30, accompagné de la ministre de la Santé et des solidarités, Agnès Buzyn. Installé sur le parking du CHU, il est opérationnel le lendemain. D’une superficie de 1 000 m², cet hôpital de campagne assure le pôle urgence et la filière urgence pédiatrique. Durant huit semaines, près de 5000 personnes sont prises en charge.

Du 2 au 7 décembre

Malgré de fortes réserves émises par le préfet, le directeur du CHU annonce la reprise d’activités. Tour nord, caisson hyperbare, chimiothérapie, pédiatrie, soins intensifs neuro…

4 décembre

L’Agence régionale de santé indique que le CHU de la Martinique a accueilli des dizaines de patients critiques en provenance de Guadeloupe. L’ARS parle  » d’entraide mutuelle « . Fi du ‘plan zonal de mobilisation’ qui est l’équivalent d’un PBE, mais à l’échelon d’une zone dite de défense composée de Martinique et Guadeloupe. Fi de l’obligation de prise en charge et de relais dévolue au CHU de Martinique, ‘établissement de santé de référence de la zone’. Interrogé par Le Courrier de Guadeloupe sur l’activation de ce plan, le préfet de zone (préfet de Martinique) n’a pas apporté de réponse. Le 8 décembre, face caméra, le secrétaire du CHSCT du CHU de Martinique dénonce sur Martinique la 1ère  » le climat actuel au CHUM après l’arrivée des patients de Guadeloupe « .

5 décembre

Le personnel hospitalier se plaint de maux de tête, vomissements, vertiges, céphalées. Certains font valoir leur droit de retrait. Les cas se succèdent.

6 décembre

L’ARS et le CHU évoquent l’envoi par le ministère de la Santé d’un  » juriste pour cadrer les ‘partenariats’ avec les autres établissements « . On comprend que ni le Plan blanc propre au CHU, ni le PBE ne précisent comme ils l’auraient dû, les outils à mobiliser.

29 janvier 2018

L’Escrim repart. Les urgences adultes sont transférées à la place des consultations externes rez-de-chaussée et deux tentes sont installées sur le parking couvert de la maternité.

9 février 2018

Le chef de service neurologie fait un malaise au CHU et est placé dans un caisson hyperbare.

16 février

Un Collectif de défense du CHU est créé par des médecins et des représentants du personnel. Porté par le docteur Mona Hedreville, cardiologue au CHU, et Gaby Clavier, du syndicat UTS- UGTG, il dénonce la mise en danger du personnel et des patients, et un bâtiment  » malsain « .

20 février

La thèse de  » l’acte humain  » est lancée. Un mégot de cigarette serait à l’origine du feu, selon le dernier rapport émis par les experts et transmis au parquet de Pointe-à-Pitre. De son côté l’expert de la Société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM) assure que la destruction totale du local technique rend impossible l’identification de l’élément à l’origine du feu.

23 février

À la Polyclinique qui accueille les services de la maternité du CHU pour une période indéterminée, le directeur et les personnels qui ont débrayé convoquent la presse. Face caméra, ils se disent inquiets et mettent en cause l’activité du CHU  » qu’ils ont accueillie  » et qui ne leur est pas payée. On comprend que l’application – si elle a lieu —, du PBE fait grincer des dents.

1er mars 2018

Suite à une réunion du CHSCT, une délocalisation partielle en interne est annoncée par la direction. Le collectif de défense du CHU revendique une délocalisation totale et externe. Ce jour-là, Michel Corbin, architecte, dénonce le manque de rigueur dans le traitement du bâti après l’incendie.  » Les autorités auraient dû faire établir dans les deux jours qui ont suivi l’incendie un diagnostic d’urgence du bâti.  »

3 mars

La ministre des Outre-mer, Annick Girardin, suspend la délocalisation partielle interne.  » Cette décision n’est pas, me semble-t-il, suffisamment éclairée aujourd’hui  » affirme-t-elle.

15 mars

La nouvelle directrice de l’ARS prend ses fonctions. Elle rencontre le collectif de défense lors d’une réunion tumultueuse, à huis clos. Pour la délocalisation sont cités le centre gérontologique du Raizet, la clinique de Choisy et le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau.

19 mars

De nouveaux experts en charge de l’analyse de l’air et des mesures toxicologiques arrivent.

21 mars

Un plateau télé est organisé par Guadeloupe la 1ère entre direction du CHU, ARS, syndicats, collectif de défense et usagers. Manque le préfet dont on ne sait pas s’il assure bien la direction des opérations de secours, mais dont on devine qu’il en a confié le commandement à l’ARS. La représentante de la CGTG interpelle le directeur du CHU :  » Vous dites que le CHU a été nettoyé. Mais il faut dire que les collègues sont compétents pour l’hygiène pas pour la décontamination « . Décryptage : les locaux ont été réinvestis par personnels et patients après un coup de serpillière.

27 mars 2018

Un envoyé spécial d’Europe 1 publie l’information selon laquelle au moins 43 morts suspectes ont été dénombrées au CHU depuis janvier 2018. L’augmentation de la mortalité  » était la petite chose qu’on nous cachait  » avance l’article, largement repris. La directrice de l’ARS parle d' » un sentiment probable de certaines pertes de chance « . D’autres pointent la fiabilité de la comptabilité établie par le Collectif de défense. Pourtant l’affaire est claire. Les règles d’état civil prévoient que la ville des Abymes, territoire auquel est rattaché le CHU, recense l’ensemble des décès survenus dans l’établissement avant d’envoyer leur retranscription aux mairies d’origine des décédés. Bien que la ville qui qualifie l’information de  » sensible  » n’ait pas souhaité répondre à notre demande, nul doute que les chiffres confirmeront une hausse vertigineuse de la mortalité au CHU en 2018 par rapport aux mêmes mois en 2017.

Depuis l’incendie

Dans les foyers on se désole du destin de celui-là arrivé pour opérer l’appendicite et pas revenu. De celle-là opérée d’un furoncle ailleurs, puis admise quelques jours après au CHU qui ne l’a pas sauvée. De tel autre arrivé suite à un arrêt cardiaque, qu’on devait évacuer le soir même vers la Martinique… mais qui n’a pas tenu. De celui-ci victime d’un AVC non pris en charge dans les heures qui ont suivi, et qui est désormais dans un état préoccupant. On se préoccupe du sort des patients et futurs patients. Et autant de questions autour de la réparation intégrale qui pointent le bout de leur nez.

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