L'affaire Respire + (Respire plus), du nom de l'entreprise créée en mai 2020 pour fabriquer des masques chirurgicaux au début de la pandémie de covid-19, a été jugée le 17 octobre à Pointe-à-Pitre

L’affaire Respire + (Respire plus), du nom de l’entreprise créée en mai 2020 pour fabriquer des masques chirurgicaux au début de la pandémie de covid-19 – puis placée en liquidation judiciaire en mars 2023-, a été portée devant le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre. Après trois renvois, autant dire l’audience qui a eu lieu le jeudi 17 octobre et s’est étirée sur près de 8 heures, était très attendue.

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Seul prévenu dans cette affaire : Rodrigue Solitude, actuel directeur général par intérim du Comité de tourisme des îles de Guadeloupe (CTIG). L’ancien chef de cabinet d’Ary Chalus à la Région est poursuivi pour prise illégale d’intérêt par personne chargée de service public.

L’accusation porte sur le fait que Rodrigue Solitude aurait profité de sa position pour faciliter l’obtention d’une subvention régionale de 450 000 euros à la société Respire +. Une accusation fermement contestée par l’intéressé. À l’inauguration de l’unité en septembre 2020, Ary Chalus avait déclaré : « la Région a été aux côtés de cette entreprise et nous continuerons à l’accompagner pour monter en puissance ».

Lors de l’audience, la présidente du tribunal interroge directement Rodrigue Solitude : « C’est bien vous qui avez transmis le dossier, par e-mail, à Denis Céleste en sa qualité de directeur général adjoint du conseil régional ? » Ce à quoi Rodrigue Solitude répond : « Je ne m’en souviens plus », esquivant ainsi la question.

Les faits semblent indiquer que Rodrigue Solitude a joué un rôle actif dans l’affaire. Il aurait aidé à rédiger le business plan de l’entreprise, serait intervenu auprès des banques, des transitaires, et des fournisseurs. Il aurait également répondu aux questions des fonctionnaires de la Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Deets) concernant le projet. Selon la présidente du tribunal, ces actions s’apparentent à une gestion de fait de la société, activité qui n’est pas compatible avec le statut d’agent public.

La déposition de Patrice Luce, fonctionnaire de police, renforce davantage l’hypothèse d’un rôle actif de Rodrigue Solitude dans l’attribution de la subvention. Patrice Luce déclare : « En ce qui concerne la subvention régionale attribuée à Respire plus, la demande n’a pas suivi un cheminement légal. Elle n’est pas passée en première commission. Elle est arrivée directement en plénière. » Ce témoignage semble soutenir la thèse selon laquelle Rodrigue Solitude aurait utilisé sa position pour contourner les procédures habituelles.

Lors de l’audience, la présidente du tribunal interroge également Patrick Maldhé, président de Respire +, qui est partie civile dans ce procès et demande réparation d’un préjudice. Elle demande : « Monsieur Solitude aurait également géré la société et l’aurait mise en péril ? » Patrick Maldhé répond par l’affirmative. « Tous les moyens étaient bons pour en arriver là », ajoute-t-il.

Rodrigue Solitude, pour sa part, rejette ces accusations, affirmant qu’il n’a jamais eu de carte bancaire de l’entreprise et qu’il n’avait aucune activité directe avec Respire +. « Je donnais un coup de main », plaide-t-il, minimisant son implication.

Ce n’est pas l’avis de Nadia Boucher, avocate représentant l’entreprise Respire +. Selon elle, Rodrigue Solitude s’est approprié l’entreprise et a agi en tant que commercial, facilitant ainsi l’octroi de la subvention. « Rodrigue Solitude s’est approprié cette entreprise et a joué le rôle de commercial, et a surtout favorisé l’octroi de la subvention. Il en a déposé le dossier », affirme-t-elle. Elle soutient également que la liquidation de l’entreprise, pour un préjudice total estimé à 990 000 euros, est directement imputable à Rodrigue Solitude.

Maître Troupé, avocat de Patrick Maldhé, développe de son côté la thèse selon laquelle son client serait un « petit », contraint de se taire pour ne pas compromettre des « connexions inavouables avec une société de Saint-Domingue ». Il interroge : « Rodrigue Solitude avait-il des intérêts privés à la Région et dans cette société ? La réponse est oui puisque c’est lui qui administrait réellement la société. »

Maître Lorenza Bourjac, avocate de Rodrigue Solitude, a donné un angle politique à l’affaire. Elle a évoqué « des raisons politiques » entourant cette affaire et a fait diffuser un enregistrement audio dans lequel Victorin Lurel interpelle Ary Chalus sur la légalité douteuse dans l’octroi de plusieurs subventions durant la crise du covid.

Une déclaration qui n’apporte aucun éclairage direct sur l’affaire. Bien que l’évocation d’un complot politique soit souvent une stratégie de défense dans des procès impliquant la sphère politique, il n’en demeure pas moins que l’implication directe de Rodrigue Solitude dans Respire + reste l’élément essentiel recherché dans cette affaire. Reconnaître que Rodrigue Solitude a investi dans Respire + suggère qu’il avait un intérêt quelconque à faciliter l’octroi de la subvention.

Le substitut du procureur Etienne Moreau a requis contre Rodrigue Solitude une peine de deux ans de prison avec sursis, 40 000 euros d’amende, cinq ans d’inéligibilité, ainsi qu’une interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant cinq ans.

L’affaire a été mise en délibéré au 17 novembre, date à laquelle le tribunal rendra son verdict et le prévenu saura s’il demeure innocent ou s’il est jugé coupable.

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