Le licenciement d’une employée de Canalsat Caraïbes pour faute grave a allumé le feu. L’UGTG accuse l’entreprise de favoriser les salariés blancs. Le Courrier de Guadeloupe a enquêté auprès de la direction, du personnel et des syndicats sur ses accusations graves de racisme.
MALAISE SOCIAL
Un différend qui dépasse le simple conflit du travail
» Cadres parachutés de l’Hexagone, racisme à l’embauche, volonté d’éliminer le syndicat « , l’UGTG porte de graves accusations sur la politique d’embauche d’une des plus importantes entreprises privées de Guadeloupe. À tort, selon la direction de Canalsat Caraïbes.
Les salariés affiliés à l’UGTG au sein de l’entreprise Canalsat Caraïbes tiennent depuis le 2 mars un piquet de grève devant le siège de l’entreprise à Jarry. Ils protestent contre le licenciement de leur collègue Gladys Barfleur. La direction de l’entreprise fait état d’une faute grave motif du licenciement de ce cadre. Ce que conteste l’intéressée. Le différend entre le syndicat et la direction de Canalsat Caraïbes a vite dépassé le simple cadre d’un conflit du travail. L’UGTG dans un tract daté du 3 mars, adressé aux médias a posé sans ambages la question : » Canal + Antilles/Canal satellite caraïbes racistes ? » Le syndicat a écrit encore dans le même document que » les cadres guadeloupéens licenciés sont remplacés immédiatement par des cadres parachutés de France. » La direction de Canalsat Caraïbes est accusée aussi, cette fois par Gladys Barfleur, de vouloir éliminer l’UGTG de l’entreprise. Mercredi 30 mars, Le Courrier de Guadeloupe a interrogé par téléphone Aline Alix-Donat directrice générale de la filiale de Canal + dans la Caraïbe. Elle s’est dite » profondément choquée qu’une telle question puisse être posée en ces termes à propos de Canalsat Caraïbes. » Aline Alix-Donat les juge diffamatoires. Dans ce même entretien, la directrice générale a indiqué qu’elle ne donnera pas de détails concernant la faute de Gladys Barfleur. Elle dit vouloir » croire en la médiation proposée par l’entreprise au syndicat mercredi 30, en début d’après-midi. »
INTERVIEW
» Ma seule faute, c’est mon adhésion à l’UGTG «
Gladys Barfleur licenciée le 2 mars conteste son licenciement. Les salariés affiliés à l’UGTG au sein de Canalsat Caraïbes ont entamé avec elle un bras de fer avec la direction et exigent depuis un mois sa réintégration. Soutenue par un piquet de grève dressé devant le siège social à Jarry, c’est là que Gladys Barfleur a répondu au Courrier de Guadeloupe.
Le Courrier de Guadeloupe : Que vous reproche la direction de Canalsat Caraïbes ?
Gladys Barfleur : La direction m’a demandé de trier les réclamations des abonnés avant de les dispatcher aux services concernés. Prévu pour trois mois, cela a duré un an. Après quoi, j’ai, par e-mail, demandé à mon chef de service, soit d’intégrer à ma fiche de poste cette tâche qui m’occupait trois jours pleins de la semaine, soit d’examiner les solutions que je proposais pour un traitement plus efficace des réclamations. Mon supérieur m’a convié à un entretien au cours duquel il ne m’a pas parlé des solutions que je préconisais. Seulement de textes de réclamations que j’aurais supprimés. Je lui ai expliqué que je recevais des réclamations sans texte.
Quelle a été sa réaction ?
Il a répondu : » Très bien nous allons revenir vers vous. »
Le temps qu’il vérifie vos dires ?
Je ne sais pas s’il a vérifié quoique ce soit. Je crois que la direction savait déjà ce qu’elle voulait.
Quels sont les éléments qui vous font penser cela ?
Le 15 février, j’ai été convoquée à un entretien préalable avant licenciement. Je me suis présentée à cette convocation avec tous les éléments qui prouvent qu’en aucune manière je ne pouvais supprimer les textes des réclamations. Le directeur des ressources humaines présent à cet entretien, a déclaré qu’au vu des preuves apportées, cela méritait approfondissement.
Le licenciement est néanmoins intervenu…
Le 2 mars, mon chef de service m’a couru après dans les couloirs. Il voulait me remettre en mains propres ma lettre de licenciement. J’ai refusé de la prendre. Je me suis entretenue avec la directrice générale qui m’a confirmé que la décision de me licencier avait déjà été prise.
Comment expliquez-vous cette décision ?
La direction admet aujourd’hui qu’elle est allée loin. Voyez vous-même, dans cette même période, une autre salariée a détourné de l’argent. Elle a eu une mise à pied d’une semaine et elle a déjà repris son travail. Il est vrai qu’elle n’est pas affiliée à l’UGTG.
Comment pouvez-vous affirmer cela ?
Je pense que la seule faute que me reproche vraiment la direction, c’est mon adhésion à l’UGTG. Elle veut débarrasser Canal Satellite de ce syndicat. Elle préfère avoir pour interlocuteur la CFTC. Syndicat docile dont elle a favorisé l’implantation dans l’entreprise.
La CFTC n’aurait pas pu s’implanter s’il n’y avait pas de salariés adhérents…
La CFTC est un syndicat de cadres. L’essentiel du recrutement des cadres est réalisé dans l’Hexagone. Canalsat Caraïbes a recruté en janvier un responsable secteur (venu d’ailleurs). Il continue fin mars à arriver à 11 heures le matin, parce qu’il se perd tout le temps.
Que reprochez-vous aux salariés venus de l’Hexagone ?
Au vrai, rien. Sauf qu’ils vivent en réseau. Ils ne sont au courant de rien de ce qui se passe en Guadeloupe. Ils partent en bateau le week-end. C’est leur seule motivation.
REACTION
» Offusquée « , la directrice générale répond
Dans un communiqué daté du 7 mars l’UGTG reproche à Canalsat Caraïbes » de mener une politique d’épuration syndicale et ethnique. » Aline Alix-Donat jointe réagit à ces graves accusations.
« Je suis offusquée. Ce sont des propos diffamatoires. » Aline Alix-Donat fulmine au téléphone. La directrice générale de Canalsat Caraïbes jointe le 30 mars répond aux questions du Courrier de Guadeloupe avec un mélange de fureur et d’indignation dans la voix. Dans les communiqués diffusés à partir du 2 mars, le syndicat UGTG soupçonne la direction de Canalsat Caraïbes de racisme à l’embauche. » Non il n’y a aucune discrimination à l’embauche. Les cadres qui sont embauchés sont tout simplement compétents, qu’ils soient noirs ou blancs » rétorque Aline Alix-Donat. Même son de cloche plus tard, chez une salariée rencontrée à la sortie du travail au siège social de l’entreprise à Jarry. Quand on lui parle du responsable secteur » récemment arrivé qui se perd souvent et embauche tard le matin « , la dame assise au volant de sa voiture bondit : » Il ne connaît pas la Guadeloupe. Il n’a pas le sens de l’orientation, et alors ? Il est directeur financier et a de grandes références. Que veut-on vraiment dans ce pays ? » La jeune femme parle de souffrance psychologique des 120 salariés qui eux ne font pas grève. » Cette grève pourrit l’ambiance » déplore-t-elle. Aline Alix-Donat ne dit pas autre chose. Au téléphone, la directrice répète qu’elle fera « tout pour que ce conflit ne s’enlise pas « . Est-elle prête à réintégrer Gladys Barfleur ? Pas de réponse. Gladys Barfleur a-t-elle oui ou non commis une faute ? Pour la salariée interrogée cela ne fait pas l’ombre d’un doute. « Les réclamations reçues sans les textes… C’est du vent. Vous croyez que l’informaticien ne peut pas vérifier cela ? » Oleg Baccovich, précédent directeur général Caraïbes, a contacté Le Courrier de Guadeloupe mercredi 30 mars. Interrogé sur la politique des ressources humaines de Canalsat Caraïbes, le désormais directeur général Caraïbes et Océan indien choisit de répondre autrement : « Le père d’Aline Alix-Donat est un martiniquais, il est noir. La directrice de la communication est Guadeloupéenne, la directrice de la logistique est Guadeloupéenne. Le directeur commercial est un black. Moi je suis né au Venezuela. De quoi parle-t-on ? »
REPORTAGE
Les vigiles, les grévistes et la grogne des abonnés
« Ils ont cette fois fait appel aux vigiles. » Nicole, l’une des femmes qui tient ce mardi 29 mars à 14 h 30 le piquet de grève face au siège de Canalsat Caraïbes à Jarry n’en revient pas. Un grand gaillard dans la force de l’âge, mince, esquisse un geste de dépit, se lève et enchaîne : « Ils sont ridicules. Nous n’empêchons personne d’entrer. Ils veulent nous intimider. » En compagnie de ces deux-là, une quinzaine de grévistes sous un modeste chapiteau bleu en plastic s’abrite du soleil implacable. Marc, l’œil vif a le ton conquérant : » Ils peuvent toujours courir. Nous ne lâcherons rien. « Assignés le matin pour entrave au fonctionnement des boutiques de la société, par la direction de Canalsat Caraïbes, les grévistes avaient déserté le piquet de grève. Revenus à leur poste, ils pensent tout haut à la suite qu’ils donneront à leur combat pour la réintégration de Gladys, leur collègue. » La lutte prendra d’autres formes. Sans doute. Nous sommes sûrs que nous ne céderons pas. Tout le monde connaît notre détermination à L’UGTG. » Dans la rue, le va et va des voitures s’intensifie. Certaines entrent au siège de l’entreprise. » Ce sont des abonnés » explique Marc. Ils sont là pour payer ou se plaindre du service. À cet instant, une jeep conduite par un homme à la barbe blanche quitte le siège. Le conducteur s’arrête net devant les grévistes et hurle en créole : « Je viens de résilier mon abonnement. Ce n’est pas normal ce qui se passe ici. »
VOX POP
Selon vous, y a-t-il discrimination à l’embauche dans le recrutement des cadres ?
Jacques Anicette, 56 ans, directeur financier, Baie-Mahault
» C’est une grande évidence, il y a des discriminations à l’embauche. Il suffit d’aller dans les grandes entreprises pour le constater, surtout au niveau de l’encadrement. Je l’ai moi-même vécu, même après avoir passé un concours, on peut-être encore discriminé, parce qu’on est noir. J’ai été surpris de constater un jour, qu’à un congrès organisé par un grand groupe, j’étais le seul noir. «
Fabienne Samé, 42 ans, associé, Sainte-Anne
» Je suis assez mitigée sur cette question. Je ne suis pas d’accord avec ce discours sectaire et racial. Je suis pour la compétence métier, pour une vision globale d’entreprise, et un esprit de compétitivité. Je ne sais pas où mettre la couleur de peau dans une telle vision. Pourquoi je me réveillerai aujourd’hui pour constater que la plupart des cadres des grandes boîtes sont des blancs ? «
Romain Pretrelluzzi, 21 ans, étudiant, Baie-Mahault
» Je ne pense pas qu’il y ait de la discrimination ou du racisme en Guadeloupe. Si un recruteur est raciste, anti-noir, anti-indien ou que sais-je, il n’a rien à faire ici. D’autant qu’il sera cerné ! Il est vrai que certains » fils à papa » grimpent dans la hiérarchie sans vécu, ce n’est pas normal. Pour beaucoup de ceux que je connais en revanche, ils sont montés après avoir fait leurs preuves. «
Gladys Gisors, 32 ans, fonctionnaire, Gosier
» Oui, on peut dire qu’il y a du racisme. Il y a aussi le noir qui respecte plus le blanc. Je n’ai pas connaissance de ce qui se passe à Canalsat. Ce serait inadmissible de licencier des noirs pour les remplacer par des blancs. C’est à nous de régler ça. Comment ? Par la solidarité à l’instar des Haïtiens et des Dominicains qui vivent ici. Mais attention, la solidarité ce n’est pas la bêtise. «
Georges Likion, 42 ans, informaticien, Le Moule
» Je ne me suis jamais posé cette question. Le racisme on en parle dans les soirées entre amis. Il se dit qu’il y a de plus en plus de patrons blancs et que les recrutements se passent beaucoup par filon, ou liens familiaux. Dans les entreprises familiales békés, l’encadrement est de fait béké. La question serait importante s’il y avait un encadrement blanc dans les boîtes tenues par des noirs. «
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