La visite de Manuel Valls compte beaucoup d’absences. Absence de renfort, absence de mesures, absence de Saint-Martin. Une liste, non-exhaustive, qu’il convient de compléter à l’éclairage d’une présence : celle d’une maîtrise parfaite de la communication.
En visite officielle à la demande de la population, de la pression médiatique et du ramdam fait par la répétition inlassable du triste palmarès de meurtres que détient notre territoire, Manuel Valls a fait un passage éclair peu éclairant pour les autorités policières et très éclairé pour les décrypteurs de communication. La venue du ministre de l’Intérieur n’aura pas eu les effets escomptés. Premières absentes de la série : les mesures. Absence, à relativiser puisque l’extension de la zone de sécurité prioritaire de Pointe-à-Pitre/Abymes à la ville de Baie-Mahault fait partie des avancées concédées. Petit rappel : cette extension ne s’accompagne pas d’un renfort. Pour une zone plus importante, le même effectif de gendarmes et de policiers sera affecté. Bien sûr la violence ne se limite pas à quelques quartiers chauds. Toutefois, avec les difficultés à l’enrayer dans ces quartiers, on demeure perplexe quand le ministre de l’Intérieur en visite officielle annonce que la solution à ce problème de violence grandissante est dans une meilleure utilisation des forces de police et de gendarmerie. Les renforts étaient donc les deuxièmes absents de cette visite, à laquelle s’ajoutent les questions. Le timing quasi militaire du déplacement du ministre n’a laissé aucune place pour les traditionnelles questions-réponses avec les journalistes. En lieu et place, Manuel Valls a accordé trois interviews cadrées pour ne pas dire quadrillées où il n’a jamais été mis hors de sa zone de confort.
Tous sous contrôle
Bien que cette visite soit son premier déplacement officiel en Guadeloupe, Manuel Valls ne s’est pas embarrassé de façons. Avec les annonces tapageuses d’une Guadeloupe effrayées, qui a peur de sortir de chez elle, on pouvait s’attendre à ce que le ministre s’enfermer à double tour pour discuter sécurité et lutte contre la violence avec la préfète et les autorités locales. autorités locales. Pourtant dès le vendredi 18 octobre, au lendemain de son arrivée en Guadeloupe, il assistait tout sourire dehors à la revue des forces de sécurité civile au lycée du Raizet. Il se paiera même le luxe d’écourter son séjour et d’éviter l’escale à Saint-Martin. Le troisième temps de la valse en quelque sorte. Qui a dit que la Guadeloupe a peur ?
Contacté pour répondre à nos questions concernant l’organisation de cette visite ministérielle, le service communication du ministre de l’Intérieur » n’a pas voulu s’exprimer » sur les rouages qui ont fabriqué le message diffusé lors d’un déplacement. Elle n’a pas non plus apporté plus d’explications sur le poids réel des impératifs qui ont rappelé Manuel Valls dans l’Hexagone.
PASSEMENT DE JAMBES
Violences : Victorin Lurel passe le relais aux élus locaux
Lors de son passage à la 19ème conférence des présidents des régions ultrapériphériques qui s’est tenue à Saint-Denis de la Réunion les 17 et 18 octobre derniers, Victorin Lurel ministre des outre-mer s’est dit satisfait des moyens déployés en Guadeloupe contre la violence.
Le Premier ministre était déjà venu et avait répondu avec un arsenal de moyens dont on n’a pas encore évalué les effets. Toutefois, de là où je suis, je peux assurer que depuis le mois de juin, la grosse criminalité, notamment la violence armée a baissé. Est-ce durable ? Nous verrons bien. » Ainsi, pour ceux qui en doutaient encore, le déplacement du ministre de l’Intérieur Manuel Valls n’était que purement protocolaire. La grosse artillerie avait déjà été déployée avant, par le Premier Ministre. Or, les policiers pestent contre l’état des commissariats et la fermeture de postes en campagne. Cette inquiétude le ministre des outre-mer la balaye. La qualité de la couverture du terrain ne dépend pas forcément du nombre de forces déployées mais des stratégies mises en place par la direction de la police (NDLR : message également martelé lors du déplacement de Manuel Valls). « C’est souvent un problème de doctrine, d’emploi des forces de sécurité. Sans pléthore d’effectifs, il n’est pas impossible de faire beaucoup et d’avoir de bons résultats. Je prends pour exemple la Californie qui obtient de bons résultats simplement après un bon changement de vision de l’organisation » indique Victorin Lurel. Et de noter tous les changements de vision de l’organisation » indique Victorin Lurel. Et de noter tous les changements qui ont été faits. » Sont déployés sur le terrain en Guadeloupe 75 gendarmes mobiles et 25 policiers en plus. Nous avons augmenté les fonds ministériels de lutte contre la violence et nous attendons de la préfète une meilleure coordination de la police et de la gendarmerie » continue le ministre des outre-mer. Bref, ne cherchez plus de solutions auprès de l’État quand, en réalité, elles sont locales. « Je veux rappeler leurs tâches aux élus. C’est en co-production que nous allons pouvoir augmenter le système de vidéo-surveillance, installer des portiques dans les écoles et renforcer la police municipale » termine Victorin Lurel. En clair, une violence de voisinage, familiale, donc de proximité nécessite la mise en place de moyens de proximité.
VISITE MINISTÉRIELLE
» Les solutions ne sont pas essentiellement policières et judiciaires «
Au lendemain de la venue en Guadeloupe de Manuel Valls ministre de l’Intérieur, l’heure est au débriefing. Lucette Michaux-Chevry, maire de la ville de Basse-Terre et ancien ministre, livre ses impressions sur une visite qui ne pouvait guère apporter de solutions.
Lucette Michaux-Chevry : Cette visite était plus qu’un éclair. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle apporte quoi que ce soit. Le Premier ministre avait déjà pris certains engagements lors de sa venue, mais je pensais tout de même qu’il y aurait un véritable contact avec la population et je regrette qu’il se soit résumé à un déjeuner républicain et une simple visite de la préfecture. Je trouve qu’il aurait pu aller à la rencontre de la jeunesse guadeloupéenne.
Le Courrier de Guadeloupe : Pensez-vous que dispositions seront annoncées a posteriori ?
L.M-C : Je ne crois pas à tout cela. Car, cette violence dans laquelle s’enfonce notre jeunesse va bien au-delà de postures politiques. Quand on parle de renforts de police, nous sommes déjà dans une approche répressive. Or ce n’est pas ce dont la jeunesse a besoin. Nous devons établir un registre d’actions afin de reconstituer le lien familial qui a été perdu. Il faut bien prendre conscience qu’il y a deux mondes qui cohabitent en Guadeloupe. Celui de ceux qui travaillent, gagnent de l’argent, et de l’autre, celui de ceux qui sont restés sur le bord de la route. Vous ne pouvez pas vous imaginer la profondeur du sentiment d’exclusion que vivent certains jeunes.
Le Courrier de Guadeloupe : Quelles solutions peut-on mettre en place au niveau local ?
L.M-C : Il faut avoir une démarche de proximité telle que celle que j’ai mise en place depuis des années dans ma commune. Je ne dis pas que j’ai le monopole de la vérité et que ce que je fais est parfait, mais au moins mes solutions ont le mérite d’exister. Je suis présente dans les quartiers difficiles, je discute avec les jeunes. Je tire ces réponses de mon expérience de l’humanitaire. Il est urgent que les élus arrêtent ensemble un programme afin de ramener cette jeunesse dans le droit chemin. J’ai, par exemple, pris la décision d’utiliser les politiques d’intérêt général afin qu’ils n’aient pas la prison pour seule perspective (NDLR : intervention auprès du juge afin que dans les cas où c’est possible les peines soient transformées en travaux d’intérêts généraux). Je fais souvent des rondes avec la police municipale, je vais dans les quartiers difficiles et j’écoute cette jeunesse qui a été ghettoïsée dans les logements sociaux et qui a les escaliers pour seul avenir. Le problème de l’irrégularité des transports est un drame pour eux. Trouvez-vous normal que certains de mes jeunes ne puissent même pas aller prendre un bain à Sainte-Anne ?
LCG : A-t-on les moyens de sauver cette jeunesse ?
L.M-C : Tout n’est pas une question de moyens. On parle ici d’un combat bien plus profond. Il faut remettre en place les fondamentaux de la société guadeloupéenne. Redonner à la femme son rôle de poto mitan, réapprendre le respect dans les écoles. On n’a pas besoin d’argent pour établir un dialogue avec les jeunes. S’il n’y a pas une majorité d’élus qui se regroupent pour construire et redonner des directives, les dérives que nous connaissons actuellement s’amplifieront. On pense trop à l’argent, on oublie qu’il y a des cœurs, des cerveaux.
LCG : Mais tout de même, il faut de l’argent…
L.M-G : Arrêtez de mettre l’argent à l’origine et au centre de tout ! Qu’est-ce que ça coûte d’aller vers les jeunes. L’argent n’est pas la finalité, le problème qui nous concerne est d’ordre humain. Nous avons perdu le sens du mot « donner ». Penser à l’autre. Tant que nous ne mettrons pas l’humain au centre de tout, les dérives continueront. C’est seulement après que nous avons besoin d’argent pour faire. La construction d’infrastructures vient après le besoin d’accompagnement.
LCG : Que pensez-vous de la politique globale du gouvernement en matière de lutte contre la délinquance ?
L.M-C : C’est difficile de donner des leçons. J’ai été choquée par la perte de crédibilité du Président face à une gamine de 15 ans. Il faut maintenir une ligne de respect. C’est vrai que c’est difficile. Quand on touche à l’humain, on ne peut pas le traiter avec des directives ficelées mais au cas par cas. La mission des élus est de tout mettre en œuvre afin que la jeunesse guadeloupéenne retrouve la pureté de son âme.
LCG : La police nationale en Guadeloupe est à la peine, que pensez-vous de la révision générale des politiques publiques ?
L.M-C : Je tiens à dire qu’aucun poste n’a été supprimé en Guadeloupe. Les policiers peuvent dire qu’ils ont besoin de plus d’effectifs mais nous n’avons pas supprimé de postes. Je précise aussi que je ne suis pas contre la police. Simplement, il ne faut pas plus de police, car il est clair qu’en Guadeloupe elle n’est plus dissuasive puisque les jeunes la provoquent régulièrement. Il y a une cassure profonde et grave. Je n’ai jamais vu cela. C’est à peine croyable que certains délimitent leurs territoires en suspendant une catégorie de chaussures sur les fils électriques. Ils veulent montrer que dans les espaces qu’ils occupent ils sont les maîtres.
LCG : Doit-on renforcer les prérogatives de la police municipale ?
L.M-G : Nous n’avons pas besoin de cela. C’est mon rôle, je le fais naturellement. La police municipale vient en renfort. Si quelqu’un part en voyage, la police fait des rondes pour surveiller sa maison, si une personne âgée est isolée j’ai créé une cellule dont le rôle est d’aller à sa rencontre pour la sortir de son isolement. Quand on me parle de la réforme de l’éducation et des rythmes scolaires, je constate que cela fait des années – depuis 1999 – que nous pratiquons cela avec les PEM. Je le répète. Les solutions pour répondre à l’ampleur de la violence et de la déstabilisation ne sont pas essentiellement policières et judiciaires. Il faut retisser le lien social, replacer la mère au centre du foyer, redonner de la force à la famille.
LCG : Que pensez-vous du projet de réforme pénale défendue par Christiane Taubira la garde des Sceaux, ministre de la Justice ?
L.M-C : C’est du spectaculaire. Je ne vais pas rentrer dans une critique contre une compatriote, mais cette réforme va renforcer l’impunité des crimes, alors même que la prison a cessé d’être dissuasive. Les lycéens disaient d’ailleurs qu’on peut rentrer en prison et qu’on peut en sortir. Elle ne prend pas en compte le besoin de structure familiale, le travail vers un retour à nos valeurs traditionnelles.
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