Matériel de la société Respire + vendu aux enchères après la liquidation judiciaire

Rodrigue Solitude, ancien chef de cabinet de la Région, se défend d’être actionnaire de Respire + à Saint Domingue. Respire + c’est la société de production de masques chirurgicaux qui a donné son nom à une affaire présumée de « prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics, escroquerie aggravée et corruption ».

Dans un article du 28 avril dernier Le Canard enchaîné révèle que le parquet de Basse-Terre lui a confirmé l’ouverture début mars d’une enquête préliminaire pour « prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics, escroquerie aggravée et corruption ». L’article évoque un financement occulte de campagne électoral. Au cœur de cette enquête, l’usine de fabrication de masques sanitaires portée par la société Respire + située à Jarry (Baie-Mahault). Cette société a été subventionnée par la Région à hauteur de 450 000 euros. Rodrigue Solitude, à l’époque chef de cabinet de la Région, aujourd’hui conseiller de la présidente du Comité de tourisme des îles de Guadeloupe, est désigné dans l’article du Canard comme l’un des actionnaires d’une autre société Respire +, créée et basée en République dominicaine. Dans une lettre adressée aux élus, et rendue publique sur les réseaux sociaux, Rodrigue Solitude nie avoir jamais apposé sa signature sur ces statuts. Il a déclaré qu’elle a été imitée. Il explique ne s’être jamais rendu en République dominicaine. Et avance pour preuve son passeport qui ne comporte aucune trace de passage dans ce pays. L’argument du passeport n’est pas irréfutable. Il est possible de signer des statuts en Guadeloupe et les faire acheminer en République dominicaine. Le Courrier de Guadeloupe a consulté le document enregistré le 13 juillet 2020 en République dominicaine et domicilié dans le pays comme étant les statuts d’une entreprise qui a pour nom Respire+. Il comporte 28 pages rédigées en espagnol. Le capital est de 58 000 pesos dominicains à peu près 1 000 euros. Ce qui paraît dérisoire. Au rang des actionnaires, on retrouve Didier Lazare Gobard’han déjà actionnaire à 90 % de Respire plus Guadeloupe. Il possède 40 % des parts de la société dominicaine. Léocadie Rodrigue Solitude y figure en tant qu’actionnaire à hauteur de 40 %. Les 20 % restants sont attribués à un Burkinabé du nom de Mahamadou Nombre. Toutes les pages sont paraphées par les actionnaires, et tamponnées comme enregistrées par les services dominicains. La dernière page porte la signature des titulaires des parts et le sceau de l’administration dominicaine. Joint au téléphone mercredi 5 mai, Rodrigue Solitude a réitéré qu’il n’a jamais signé de statuts. Selon ses dires, une enquête est en cours qui démêlera le vrai du faux.

 

À contretemps

Au-delà des embrouilles qui l’affectent, l’entreprise de fabrication de masques sanitaires subventionnée par la Région n’a pu faire illusion que quelques mois.

 » La première usine de masques chirurgicaux de la Caraïbe  » a été inaugurée le 7 septembre 2020 dans des locaux situés à Jarry. Comme en témoignent les images de l’événement, le président de Région était à la manœuvre, ciseaux et ruban à la main, entouré des élus de sa majorité et de son staff, en présence de la rectrice d’académie et de personnalités du monde économique. L’objectif était de fabriquer localement les masques chirurgicaux qui avaient tant manqué en Guadeloupe pendant les premiers mois de la crise covid-19. Le budget total était de 1,2 million dont 450 000 euros de subvention de la Région et quelque 500 000 euros d’exonération d’octroi de mer pour le matériel importé. La capacité de production était annoncée entre 3,5 et 4 millions d’unités par mois avec un large éventail de modèles (type 1, 2 et 2R, mais aussi les FFP2 et FFP3). Ce qui devait permettre de couvrir le marché local tout en visant l’exportation vers la Martinique, la Guyane et la Caraïbe. Les porteurs du projet affichaient le soutien des groupes Hayot et Blandin et derrière eux, celui du Medef qui avait produit une vidéo promotionnelle de présentation de l’usine. Dans les premières semaines de production, les masques Respire + étaient visibles dans les rayons des grandes surfaces locales qui pratiquaient alors la vente à prix coûtant, sans marge pour le distributeur. Afin de permettre à la production guadeloupéenne d’être compétitive face aux masques importés. Les entreprises, invitées à passer commande chez Respire +, ont fini par renoncer au regard des longs délais de livraison et des prix peu attractifs. Nécessaire en avril 2020, en pleine pénurie planétaire de masques, quand la Chine ne pouvait plus fournir le monde et que les prix flambaient, l’usine guadeloupéenne de masques, pourtant mise sur pied en un temps record par un alignement des astres et une Région Guadeloupe bienveillante penchée sur son berceau, est arrivée à contretemps, quelques mois après la bataille. Au-delà des questions qui se posent sur les conditions du soutien régional et sur des liens éventuels avec une autre société en République dominicaine, c’est probablement la crédibilité de l’étude de marché qui aurait dû interpeller les services de la Région, avant d’attribuer en quelques semaines des aides régionales de près de 1 million d’euros.

 

La Région mobilisée

Le service presse de la Région a publié un communiqué le 27 avril en réaction aux révélations publiées par Le Canard enchaîné sur les usines Respire + de fabrication de masques (lire ci-contre). « La collectivité suivra de près ce dossier et se réserve le droit de se constituer partie civile » peut-on lire. Une enquête administrative pour vérifier la conformité de l’utilisation de la subvention d’investissement accordée pourrait être déclenchée. Tout en rappelant la pertinence de la présence d’une usine de masque en Guadeloupe, le conseil régional au nom duquel est livrée la communication serait préoccupé face à ces accusations et reste « mobilisé afin de répondre dans la pleine mesure de ses capacités et en proximité, à toutes les urgences qui touchent la Guadeloupe ». Une posture incarnée par l’exécutif régional Ary Chalus, qui en plus de ses déclarations, a dénoncé via le journal télévisé la volonté d’émergence de polémiques préélectorales de la part de ses concurrents pour les élections régionales de juin prochain.

 

Le PS veut des comptes

Suite aux révélations du Canard enchaîné sur l’enquête liée à de possibles détournements de fonds publics via les usines de fabrication de masques Respire + (lire ci-contre), la fédération locale du Parti socialiste demande davantage de transparence aux principaux impliqués à savoir la collectivité régionale (au sein de laquelle siègent des élus PS), son président Ary Chalus et un ex-membre de son cabinet Rodrigue Solitude. Elle demande à la majorité régionale ainsi qu’à l’entreprise bénéficiaire des fonds publics la réponse à plusieurs questions parmi lesquelles la justification relative à la durée de fonctionnement de cette entreprise ainsi que la justification du rôle administratif de la collectivité et de l’ancien chef de cabinet de son président dans la création de cet établissement. À cela s’ajoute la demande de reconnaissance de l’échec de l’implantation de Respire + dans l’industrie locale. Reste à savoir comment cela se traduira en conseil régional.

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