Spiritualité, philosophie, ésotérisme, grandes questions de l’époque contemporaine. Les francs-maçons guadeloupéens se réclament de toutes ces notions. Ils sont aussi quelques-uns à reconnaître que beaucoup utilisent le réseau maçonnique afin d’obtenir des faveurs ou des passe-droits pour eux-mêmes. Ou leurs amis. Stéphane Banuls, grand maître de la Grande loge indépendante et souveraine des rites unis a installé samedi 8 avril à Pointe-à-Pitre la loge du rite opératif de Salomon qui se réclame des plus expérimentés.
Samedi 8 avril 19 heures. Morne de la poterie à Pointe-à-Pitre. Des hommes habillés en blanc et noir, en compagnie de femmes tout de blanc vêtues occupent par petits groupes ce site discret, situé derrière l’hôpital Ricou. L’endroit est connu pour accueillir depuis tout le temps des francs-maçons. Ce samedi soir, ils sont plus de quatre-vingt à s’engouffrer les uns après les autres dans le grand temple. Pendant quatre heures, ces femmes, ces hommes endimanchés, tous francs- maçons, vont s’enfermer dans cette grande bâtisse. Ils procèdent ce soir-là à la création d’une nouvelle loge baptisée rite opératif de Salomon. Le rassemblement est discret. Le maître de cérémonie se nomme Stéphane Banuls. À 46 ans, il est déjà grand maître de la Grande loge indépendante et souveraine des rites unis (Glisru). Le grand maître est venu de Perpignan (Pyrénées-Orientales) pour officier. Interrogés après la cérémonie, plusieurs participants ont décrit « une ambiance empreinte d’une énorme émotion, une certaine transmutation énergétique« . Après la loge de Thalès (rite égyptien) le rite opératif de Salomon est la deuxième loge créée en Guadeloupe sous l’égide de la Glisru.
Cinq mille francs-maçons actifs
La franc-maçonnerie est vivace en Guadeloupe. Outre la création de la nouvelle loge opérée sous l’égide de la Grande loge indépendante et souveraine des rites unis (Glisru), samedi 8 avril en début de soirée à Pointe-à-Pitre, en cinq ans, une vingtaine a vu le jour. Selon un initié interrogé le 12 avril, toutes les obédiences françaises sont représentées en Guadeloupe. Certaines loges ont même été créées sans être affiliées à aucune obédience. C’est le cas de celle de Trois-Rivières. Plusieurs francs-maçons que Le Courrier de Guadeloupe a rencontrés, évaluent le nombre de francs-maçons dans le département à plus de cinq mille. Des initiés qui sont regroupés dans 58 loges. Et nos interlocuteurs de précisés que dans ces effectifs, tous opèrent. Les francs-maçons sont obligatoirement actifs. » Il ne peut y avoir de frère dormant, sinon il est radié « , explique un autre maçon, rencontré lors de l’interview de Stéphane Banuls venu installer la loge de la Glisru. » Il faut obligatoirement payer sa cotisation et connaître le mot du semestre. Sinon vous n’accédez pas aux réunions « , (tous les six mois les francs-maçons adoptent un mot de passe nouveau qui donne accès à leurs assemblées, ndlr). » Interdiction de se refiler le mot de passe entre frères » insiste l’interlocuteur. » Et la consigne est plutôt bien respectée « , conclut-il. Enfin, Éric, fonctionnaire d’une soixantaine d’années, franc-maçon depuis plus de trente ans, a la parfaite connaissance de la franc-maçonnerie en Guadeloupe l’affirme : « Les Guadeloupéens sont depuis longtemps très attirés par la franc-maçonnerie. Ils y viennent stimulés par une quête spirituelle, la maîtrise de leur propre énergie, l’approfondissement des grands sujets de notre époque « .
Stéphane Banuls : » Ce rite appelle une force intérieure énorme «
Le grand maître de la Grande loge indépendante et souveraine des rites unis, Stéphane Banuls a installé samedi 8 avril à Pointe-à-Pitre la loge du rite opératif de Salomon. Stéphane Banuls indique que le rite opératif de Salomon regroupe les maçons guadeloupéens les plus expérimentés.
Le Courrier de Guadeloupe : Vous êtes venu en Guadeloupe pour un allumage de feu (créer une loge maçonnique, ndlr) qu’est-ce qui détermine cette démarche ?
Stéphane Banuls : La franc-maçonnerie est une quête, une recherche personnelle. C’est une philosophie de vie. Des frères guadeloupéens ont éprouvé le besoin de créer une loge. Et pas n’importe laquelle. La plus riche et la plus symbolique, le rite opératif de Salomon. Ce rite appelle une force intérieure énorme. Les frères et sœurs qui ont participé à cet allumage sont des maçons expérimentés. Les rites de la porte de Salomon ne sont pas simples. Ils sont extrêmement ésotériques, philosophiques, spirituels et complets. Il fait appel à tous les symboles de la maçonnerie. Je suis venu sur place créer cette loge.
Quels sont les symboles que vous évoquez ?
Quelques-uns comme le compas et l’équerre sont connus de tout le monde ou presque. Un bon maçon ne divulgue pas les autres.
Votre obédience disposait déjà d’une loge. Vous en créez une autre. Les Guadeloupéens ont-ils quelque prédisposition à devenir francs-maçons ?
Je ne sais pas si les Guadeloupéens ont une quelconque prédisposition. Je sais en revanche qu’ils sont des francs-maçons d’une extrême rigueur, d’une grande fidélité et ils ont beaucoup de cœur.
Pourquoi devient-on franc-maçon ?
La franc-maçonnerie n’est pas une fin en soi. Sans être une religion, c’est une quête spirituelle qui vise à l’amélioration de soi et à cultiver ce qu’il y a de meilleur dans l’homme. Cette exigence se cultive, s’éclaire. La franc-maçonnerie c’est l’école de l’humanité en ce qu’elle a de meilleur.
Beaucoup y entrent parce qu’ils pensent acquérir quelque pouvoir, non ?
Peut-être. La franc-maçonnerie est un microcosme. Quelques malotrus peuvent s’y faufiler. En revanche, dans notre obédience les principes sont stricts. N’entre pas qui veut. Il faut un casier judiciaire vierge, avoir de bonnes mœurs. Après avoir par écrit sollicité son entrée, tout postulant fait l’objet de plusieurs enquêtes. Nous excluons systématiquement les gens qui véhiculent des idées extrémistes, de xénophobie, de racisme ou d’exclusion. Les gens qui dans leur conversation ou dans leur comportement se réclament du Front national par exemple sont radiés. Pis, lorsqu’un ancien frère déchu essaie d’adhérer à une autre obédience, nous sommes interrogés. Les obédiences tiennent compte de notre avis et vice-versa.
D’où vous vient ce goût du secret ?
Nous n’avons pas le goût du secret. Nous cultivons la discrétion.
Que pensez-vous de la campagne électorale de cette présidentielle ?
Elle est particulière. Elle déroutante. Je trouve qu’elle remet en question les us et coutumes des hommes politiques. Ce qui n’est pas plus mal. La campagne montre de vraies différences. Nous ne sommes plus sur le même affrontement gauche/droite. Quelque chose a changé. Les partis politiques ont longtemps changé de nom et gardé les mêmes hommes. Aujourd’hui ce sont les partis eux-mêmes qui risquent de disparaître. Du moins dans leurs formes et contenu actuels.
Quel président souhaitez-vous pour la France ?
J’espère que cette élection désignera un bon président.
Vous ne dévoilez rien quant à votre choix…
Observez. Je n’ai pas dit une présidente.
Entre spiritualité et affairisme, les deux visages de la franc-maçonnerie en Guadeloupe
Jacques, 36 ans exerce une profession libérale. Il a changé deux fois d’obédience. Il témoigne : » Plusieurs obédiences vous font comprendre tout de suite qu’elles ne peuvent rien vous apporter en ce qui concerne votre condition sociale. Elles débattent des grandes questions du siècle : les migrants, la laïcité, la République, la démocratie. Ce n’est pas le cas de toutes « . La grande question débattue par sa loge porte sur la fin d’un monde. Celui qui a porté les valeurs héritées du siècle des Lumières : la vérité, la raison, l’altérité. » Nos réflexions et travaux portent sur le phénomène de post-vérité où chacun peut construire la sienne, et la diffuser au mépris du vrai. C’est un fléau qui met en danger l’humanité. » Le thème de l’altérité est lui aussi très débattu. » Les Chinois ont beaucoup de difficultés avec cette notion. L’autre est difficilement reconnu par la plupart d’entre eux quand il n’est pas lui-même Chinois. C’est pour cela que le Grand Orient cherche par tous les moyens à créer des loges maçonniques en Chine. «
» La fraternelle «
Selon Jacques, la franc-maçonnerie a un autre visage, moins reluisant. Il soutient que dans plusieurs obédiences, s’est installée une pratique qui favorise le fonctionnement des réseaux. » Les gens y viennent obnubilés par le carnet d’adresses, l’entregent, le filon. Et certains s’en servent allègrement. Le réseau est très actif « . Jean est artisan coiffeur. Il participe aux débats sur les grandes questions de société. « J’aime surtout le caractère mystérieux des rites et des travaux « , précise-t-il. Tout comme Jacques, Jean reconnaît que certains frères utilisent la franc-maçonnerie comme tremplin. La franc-maçonnerie use-t-elle en Guadeloupe de son influence et de ses réseaux afin de faire accorder à celui-ci ou à celui-là un poste, un avancement, un emploi ? Robert Zamor qui a participé à la rédaction d’un fascicule sorti à l’occasion du 150e anniversaire de la loge des élus d’occident (région de Basse-Terre) est plus circonspect : » Le pouvoir supposé des francs-maçons a toujours fait couler beaucoup d’encre. En Guadeloupe, ils ne sont plus partout. Ils sont encore très présents uniquement chez les professions libérales « . Luc n’a pas du tout la même vision. Fonctionnaire, il dit avoir assisté dans son administration à des injustices. Ce retraité a quitté la franc-maçonnerie à cause de la puissance des réseaux.
» Les frères trois points membres d’un même corps de métier créent entre eux une autre confrérie. Ils appellent cela » la fraternelle « . Ils l’actionnent systématiquement. Au détriment des personnes méritantes. C’est profondément injuste « .
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